La ville et le fleuve, un couple tumultueux

Si de nombreuses villes sont solidaires d’un cours d’eau, cela ne signifie pas pour autant que leurs rapports soient régis par la seule nécessité. Les relations entre une ville et son fleuve sont complexes, simultanément incertaines et mouvantes.

L’eau fournie par le fleuve est à la fois un bienfait, qui satisfait les différents types de consommation urbaine, et un danger lors des crues débordantes. Le cours d’eau a un effet structurant ambivalent sur l’organisation de l’espace urbain : il peut être un atout en matière d’urbanisme (les espaces plans des lits majeurs peuvent être urbanisés ou réservés à une expansion future), comme une contrainte en matière de franchissement et d’urbanisation (urbanisation asymétrique des rives, rupture dans le tissu urbain). La ville a aussi un effet sur le fleuve. Le métabolisme de celle-ci fait qu’elle prélève de l’eau potable, rejette des eaux usées et se pose comme une contrainte pour les aménageurs. Elle peut aussi chercher à modifier la géométrie du chenal, les hauteurs d’eau pour ses besoins propres. Comment ces impératifs s’insèrent-ils dans l’aménagement d’un fleuve ?

Les villes, tout comme les cours d’eau, sont définis comme des « systèmes complexes »86. Ces deux systèmes sont régis par des dynamiques spécifiques. La « dynamique fluviale » fait l’objet d’un chapitre, écrit par J.P. Bravard et D.J. Gilvear, dans l‘ouvrage de référence Hydrosystèmes fluviaux 87 . D. Pumain consacre un ouvrage entier à la question de La dynamique des villes 88. Ces dynamiques sont à la fois spatiales et temporelles. Les cours d’eau sont des milieux « changeants et mobiles »89. Pourquoi ? Parce que « le transit permanent ou temporaire des flux d’eau et des flux de matière se fait dans le chenal fluvial ou à la surface des lits majeurs qui ne sont pas des enveloppes stables. »90 L’espace fluvial s’ajuste donc « en permanence à la dynamique des flux »91. La ville connaît de la même manière des évolutions spatiales liées à sa croissance (le phénomène actuel de l’étalement urbain) et des évolutions liées au vieillissement de certaines constructions (réhabilitation/rénovation de certains quartiers, reconversions de friches industrielles).

Ces systèmes sont aussi animés par des évolutions temporelles. J.P. Bravard postule ainsi avec les géomorphologues « l’instabilité des formes fluviales »92. Instabilité qui s’exprime à différentes échelles de temps. D. Pumain et B. Lepetit expliquent la diversité des « temps sociaux urbains »93 par les processus et éléments à l’œuvre dans les dynamiques urbaines : ils « se situent dans des registres divers –économiques, sociaux, politiques, institutionnels, spatiaux – qui n’ont ni les mêmes durées, ni les mêmes rythmes94

Les échelles de temps communes aux villes et aux fleuves sont les suivantes :

  • le temps historique (échelle séculaire),
  • le temps contemporain (actuel),
  • le temps instantané (temps court à l’échelle annuelle ou pluriannuelle),
  • les « scénarios du futur »95 qui, pour les villes, sont « à la fois contenu dans leurs évolutions antérieures et difficile à projeter »96.

Seule l’échelle des temps géologiques (« échelle du Tardi-glaciaire et de l’Holocène »97), propre aux hydrosystèmes, ne s’applique pas aux villes.

La constatation établie par J. Bethemont pour les fleuves s’applique aussi aux villes qui sont aussi « en perpétuel mouvement et renouvellement, non seulement d’un instant, d’un jour ou d’une saison à l’autre, mais sur des pas de temps considérables »98. La mise en contact de ces deux systèmes dynamiques ne peut donc produire que des relations « simultanément mouvantes et incertaines »99.

Différents types de relations sont donc possibles entre cet espace en expansion à très forte densité humaine qu’est la ville et ce milieu naturel spécifique, naturellement instable, objet d’aménagements anthropiques. Parmi ces relations, on peut citer la domination, la transformation, le compromis et la distanciation évoqués dans différentes publications. Ces relations sont fonction de l’évolution du milieu et de l’évolution urbaine. Cela explique que les analyses de ces relations ville/fleuve aient adopté une dimension diachronique.

Notes
86.

Pumain D., Lepetit B., 1993, p.VIII et Bravard J.P., Petit F., 1998, p.9.

87.

Amoros C., Petts G.E., 1993.

88.

1982.

89.

Bravard J.P., Petit F., 1997, p.3.

90.

Bravard J.P., Petit F., 1997, p.3.

91.

Bravard J.P., Petit F., 1997, p.3.

92.

Bravard J.P., 1998, p.5.

93.

Pumain D., Lepetit B., 1993, p.VII.

94.

Pumain D., Lepetit B., 1993, p.VII.

95.

Bravard J.P., 1998, p.8

96.

Pumain D., Lepetit B., 1993, p.VII

97.

Bravard J.P., 1998, p.5.

98.

Bethemont J., 1999, p.47.

99.

Labasse J., 1989, p.11.