La relation ville/fleuve est aujourd’hui décrite, au sein d’un relatif consensus interdisciplinaire, selon une chronologie qui serait rythmée par les trois étapes suivantes.
Sans aller jusqu’au déterminisme littéraire de H. Murakami selon lequel les fleuves auraient « fait les villes »100, le discours scientifique semble placer le fleuve à l’origine de la ville. Isabelle Backouche définit la Seine comme « le fleuve-origine »101 de Paris, J. Pelletier identifie les « sites fluviaux » à des éléments « générateurs de ville »102. L’élaboration de la ville paraît indissociable du fleuve au point que, selon Philippe Pelletier, « l’histoire d’Hiroshima est inséparable de celle du fleuve jusque dans leur genèse respective et réciproque »103. La période dite d’osmose s’étendrait donc des origines de la cité jusqu’au commencement de l’époque contemporaine, la borne chronologique finale variant quelque peu selon les espaces étudiés et les auteurs. Pour le cas lyonnais, Jacques Bethemont et Jean Pelletier (1990) datent l’atténuation progressive de l’osmose de la fin du XVIIIème siècle tandis que Jean Frébault, Jean Dellus et Martine Rivet (1989) l’arrêtent au milieu du XIXème siècle. La dernière partie de la thèse d’Isabelle Backouche (2000) place l’éloignement de Paris et de la Seine dans les années 1800-1850. Cela montre qu’il s’agirait d’un phénomène progressif et contemporain de la Révolution industrielle en Europe. Au Japon, il aurait lieu à la même époque puisque c’est « la modernisation du Japon, après la restauration de Meiji (1868), [qui] subvertit le rapport de la société aux rivières et canaux urbains »104.
Cette osmose désigne une véritable interpénétration entre la ville et le fleuve qui entretiennent des rapports nombreux et étroits. Durant cette phase, la ville tisse des liens organiques avec un fleuve qualifié d’ « artisanal »105. Ce dernier est le support d’activités diverses : qu’elles soient ludiques (« les grèves et la rivière sont les lieux de promenade »106) ou portuaires (« dans le passé, ports de commerce, ports de voyageurs se situaient au cœur des villes, le long des berges »107). Il possède différentes fonctions :
André Guillerme108 complète ce panel par trois éléments :
Frédérique Joubert-Milot définit cette période comme la « phase artisanale de la fonctionnalisation du cours d’eau »110. Le concept de fonctionnalisation est dérivé du fonctionnalisme urbain, élaboré par les C.I.A.M.111 et Le Corbusier en particulier. Selon ce concept, les activités humaines (fonctions) doivent chacune recevoir un traitement rationnel spécifique en architecture comme en urbanisme. La notion de fonction urbaine est construite par analogie avec les fonctions physiologiques. La fonctionnalisation du cours d’eau signifie donc que sa forme doit être l’expression d’une ou plusieurs fonctions car les aménagements dont il fait l’objet doivent permettre l’accomplissement de ces activités urbaines. Cette période est caractérisée par la prédominance de la société locale parmi les acteurs qui façonnent le territoire fluvial. Dès la fin du XVIIIème siècle, soit à la fin de cette période, la figure de l’ingénieur apparaît mais l’affirmation du pouvoir technique reste limitée car il lui manque l’appui du pouvoir politique. La symbiose est telle que le fleuve constitue un véritable élément urbain. Ainsi Jean Pelletier peut-il affirmer que l’intensité des relations entre les activités du bord de l’eau et les quartiers centraux était si forte que « les cours d’eau navigables constituaient de véritables rues »112.
Murakami H., 1990 : La Course au mouton sauvage, Paris, Seuil, p.111.
Backouche I., 2000, p.10.
Pelletier J., 1982, p.11.
Pelletier P., 1990, p.290
Berque A., 1990, p.256.
Cottet-Dumoulin L., 2004.
Bethemont J., Pelletier J., 1990, p.301.
Pelletier J., 1990, p.235.
Guillerme A., 1990.
Guillerme A., Hubert G., Tsuchya M., 1992.
Joubert-Milot F., 1998, p.4.
Congrès Internationaux d’Architecture Moderne.
Pelletier J., 1990, p.235.