Les politiques dites de « reconquête » s’établissent dans le contexte de l’essor des concepts d’environnement, de développement durable et d’écologie urbaine qui s’affirment avec la montée en puissance de l’écologie politique à partir des années 1970.
La première conférence des Nations Unies sur l’environnement, tenue à Stockholm en 1972, marque l’apparition, sur la scène internationale, du concept d’environnement au sens des réalités biophysiques formant l’environnement de la société155. Le terme d’environnement acquiert alors « une connotation écologiste qui renvoie à l’impact négatif des activités humaines sur les réalités biophysiques »156. Durant la décennie 1970, la France développe une réflexion environnementale spécifique puisqu’elle ne se limite pas à la protection de la nature. Elle invente « une conception de l’environnement originale s’étendant à la qualité de vie, les paysages, l’éco-développement, les nuisances urbaines et qui, ainsi se distingue du modèle classique de politique sectorielle »157. L’environnement est conçu comme « une nature travaillée par la politique (…), un ensemble d’éléments convertis en ressources, ouvragés par l’activité humaine »158, ainsi que le définit Pierre Lascoumes. La politisation française de l’enjeu environnemental se matérialise concrètement avec la création du Ministère de l’Environnement en 1972, création marquant la « régulation publique »159 et l’institutionnalisation de ce concept. En 1989, la nomination de Brice Lalonde, élu vert, comme secrétaire d’Etat à l’environnement dans le gouvernement Rocard ainsi que la mise en place, la même année, d’un Plan National pour l’Environnement sont les signes d’une évolution nette de la place des préoccupations environnementales160. Traitées secondairement jusqu’alors, elles gagnent le devant de la scène à la fin des années 1980. Les mouvements écologistes affirment leur puissance en termes de pourcentage des suffrages recueillis lors des élections et en nombre de mandats électifs. Les médias donnent un écho important à certains problèmes récurrents (inondations et sécheresses répétées à la fin des années 1980). Cela crée « une fenêtre politique »161 pour les thématiques environnementales qui, de ce fait, influent de plus en plus sur les politiques publiques.
Un autre concept apparaît dans les années 1970 : celui de développement durable 162. Il vise à répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satisfaire ceux des générations futures. Concept ancien, il ressurgit dans le contexte de la fin des Trente Glorieuses marquée par la flambée des prix du pétrole suite à la crise d’octobre 1973 et la constatation des effets néfastes d’une industrialisation incontrôlée. Il est porté, lui aussi, par la montée en puissance des mouvements écologistes et est défini dans le rapport Brundtland (1987), du nom de la présidente de la commission de l’ONU chargée d’étudier l’éco-développement. « Au sens le plus large, le développement soutenable vise à favoriser un état d’harmonie entre les êtres humains et entre l’homme et la nature »163. Le premier sommet de la Terre (Rio, 1992) marque son sacre international. Les politiques environnementales se fondent sur ce principe : elles prennent en compte la protection des milieux dans les décisions d’aménagement et de développement économique. Elles régulent une « tension fondamentale entre des mesures de développement social et économique et un ménagement des milieux écologiques »164.
Les villes entretiennent un rapport étroit avec ces thématiques. Il ne faut pas oublier que « l’environnement est un concept issu de la veille intellectuelle mise en place par les planificateurs américains et les prospectivistes français devant la consolidation du système urbain »165 dans les années 1960. Pour Florent Charvolin, « les débats autour de la création du ministère de la Protection de la Nature et de l’Environnement questionnent l’aptitude de l’administration française à intégrer dans des structures de gestion territoriale une question relative au développement urbain »166. L’environnement est défini par l’auteur comme une problématique urbaine qui se diffuse à l’ensemble de la société par son institutionnalisation à un niveau national. Les villes seraient en quelque sorte le « lieu-origine » du concept, d’où l’acuité de la problématique ville/fleuve. Les villes sont donc le lieu privilégié de l’expression de considérations environnementales, que ce soit en termes de discours ou en termes d’action.
La création et la diffusion de ces nouveaux concepts témoignent de l’élaboration et de « la montée en puissance de nouvelles rationalisations »167. Au sein de ces nouvelles rationalisations, l’anathème est jeté sur le fonctionnalisme ainsi que sur l’aménagement du territoire fonctionnaliste et technocratique. Cela a un impact nécessaire sur les actions et les politiques publiques. En effet, « l’émergence des enjeux environnementaux durant ces 30 dernières années a été un facteur de changement décisif dans les mobilisations collectives, privées et publiques »168. Ces enjeux ont eu une répercussion très importante sur le plan local car les préoccupations écologiques y ont un retentissement particulier.
La sensibilité particulière des villes explique que ces concepts sous-tendent en grande partie les actions urbaines contemporaines menées sur les fleuves. Jusque dans les années 1970, l’aménagement du fleuve dans la ville relevait de problématiques essentiellement techniques et économiques (transports et industrie). A partir de la décennie 1980, il commence à relever de la problématique environnementale au sens large. La gestion urbaine du fleuve, auparavant quantitative, c’est-à-dire fondée sur des impératifs et des considérations techniques et économiques, devient qualitative. L’intérêt pour les fleuves et les rivières s’est tout d’abord manifesté par la prise de conscience de l’état de dégradation des milieux aquatiques et de la qualité des eaux, de la réduction en quantité de la ressource et avec la recrudescence des inondations. A partir des années 1970-1980 sont mis en oeuvre des dispositifs de protection des espaces naturels, en particulier des milieux aquatiques. Les opérations de dépollution des eaux se développent, par exemple l’opération « Seine-propre » à Paris, engagée en 1984. La nouvelle loi sur l’eau du 3 janvier 1992 témoigne de la volonté de protéger les milieux naturels et de l’intérêt grandissant du public pour l’écologie. Elle instaure les Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux (S.A.G.E.) qui fixent les objectifs généraux d’utilisation, de mise en valeur et de protection de la ressource pour une meilleure gestion, globale et équilibrée, de l’eau et des milieux aquatiques. Les nouvelles politiques de l’eau et du développement durable tendent à mieux prendre en compte le fonctionnement naturel des fleuves et rivières, considérés dans l’ensemble de leurs parcours. Les actions de requalification des rives entreprises aujourd’hui par des collectivités locales169 visent non seulement la protection et la valorisation d’un patrimoine naturel170, mais aussi l’amélioration de la qualité et du cadre de vie avec l’ouverture au public de nouveaux espaces naturels et l’aménagement d’itinéraires de promenade sur berges. Cette gestion de l’eau peut créer les conditions préalables au bon fonctionnement des rivières et participer à l’attractivité de celles-ci, récréative, culturelle et touristique.
Lévy J., Lussault M., 2003, p. 317.
Lévy J., Lussault M., 2003, p. 318.
Lavoux T., 1999, p.90.
Lascoumes P., 1994, p.10.
Lascoumes P., 1999, p.13.
Le Bourhis J.P., 1999, p.134.
Kingdon J., 1984, Agendas, Alternatives and Public Policies, Glenview-Londres: Foreman and Co, cité par Le Bourhis J.P., 1999, p.134.
Voir sur ce thème Brunel S., 2005.
Rapport Brundtland, 1987, chapitre II.
Lascoumes P., 1994, p.21.
Charvolin F., 1999, p. 50.
Charvolin F., 1999, p. 51.
Lascoumes P., 1999, p.15.
Lascoumes P., 1999, p.11.
Souvent en partenariat avec les Agences de l’eau ou Voies navigables de France (V.N.F.).
Avec, par exemple, la création de zones humides, de prairies inondables et de bassins de retenue, la réhabilitation ou la « renaturation » des berges, qui permettent la régulation de l’étiage et des crues, l’épuration naturelle de l’eau et le maintien de la vie aquatique.