Tarascon et Beaucaire : un doublet urbain

Tarascon et Beaucaire constituent, selon la terminologie proposée par A. Allix (1935) un «  doublet  » urbain. Ce sont deux villes implantées sur des sites distincts de part et d’autre du fleuve et qui répondent à « une même situation géographique »243, c’est-à-dire au même « ensemble de conditions régionales de relief, de climat, d’activité économique et surtout de circulation»244. Elles sont dotées d’un nombre d’habitants comparable : Tarascon compte 12 668 habitants en 1999 et Beaucaire 13 748245 (Tableau 2). Elles ont le même rang administratif : chef-lieu de canton dans deux départements distincts (Tarascon dans les Bouches-du-Rhône et Beaucaire dans le Gard). Marquées par un dualisme administratif, elles possèdent chacune leur mairie, leurs écoles primaires et leurs collèges. Leurs activités économiques sont très voisines. L’industrie occupe plus de 20 % de leurs actifs (tableau 4) dans des secteurs bien particuliers. La filière agro-alimentaire est une des industries dominantes aussi bien à Tarascon (viennoiserie, abattoirs, conserverie246) qu’à Beaucaire (embouteillage247, silo et abattoirs), avec les industries de matériaux de construction. La production de matériaux isolants (laine de verre et autres) est aussi importante à Beaucaire qu’à Tarascon. Cela dit, à Beaucaire, le reste de la production se concentre sur le ciment et le béton, tandis que Tarascon s’est tournée vers les constructions métalliques. Cette dernière se démarque par sa spécialisation dans l’industrie papetière avec la présence de l’usine de pâte à papier248 du groupe canadien TEMBEC, société intégrée de traitement des produits forestiers. Cette usine a un effet local d’entraînement avec l’implantation d’entreprises de reprographie et de sérigraphie.

Cependant, cette gémellité urbaine est imparfaite. Si le poids démographique des deux villes est similaire, leur dynamisme est légèrement différent. Tarascon possède un dynamisme plus fort. En témoigne sa population communale : elle s’est accrue de 18 % entre 1982 et 1999 (passant de 10 735 à 12 668 habitants) alors que celle de Beaucaire n’a cru que de 7 % dans la même période249. Ces nuances démographiques soulignent les évolutions distinctes de ces villes. L’accroissement démographique de Tarascon s’explique notamment par un solde migratoire positif entre 1990 et 1999. Autre différence, si les deux communes sont marquées par la présence d’activités industrielles et agricoles (Tableau 4), à Beaucaire, la part des actifs employés dans le secteur agricole représente le double de celle de Tarascon (soit 10,1 % des actifs beaucairois contre 5 % des actifs tarasconnais).

Après avoir dessiné les caractéristiques de ce doublet urbain, on peut s’interroger sur ses origines. Il convient bien sûr d’évoquer l’obstacle naturel que représentent le Rhône et sa petite île dite de « la Barthelasse »250 qui divise l’espace urbanisé en deux entités. Cela dit, ce seul obstacle naturel ne peut justifier à lui seul la pérennité de ce doublet. L’explication de la dualité administrative réside dans un « obstacle conventionnel et historique »251 puisque le Rhône, qui a servi de frontière entre le comté de Provence et le Royaume de France jusqu’en 1481, est toujours le support de la frontière administrative entre les deux départements des Bouches-du-Rhône et du Gard et au-delà de deux régions (Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Languedoc-Roussillon). Cette dualité a eu une importance historique car le franchissement du Rhône est ici un point de contrôle d’une voie Ouest-Est, initialement la voie domitienne, qui permettait de circuler de Provence en Languedoc et plus largement d’Italie en Espagne. Cette dualité administrative est toujours vivace puisqu’elle a eu raison d’un projet d’intercommunalité entre Tarascon et Beaucaire. En effet, en 2000, les maires des deux communes ont émis le souhait de créer une communauté de communes. Ce projet était né dans le contexte d’une coopération croissante entre les deux communes qui géraient ensemble une piscine et deux hôpitaux. Il permettait aussi à Tarascon d’éviter d’entrer dans une intercommunalité avec Arles (connue pour ses difficultés financières) et de s’associer avec une commune économiquement aussi dynamique qu’elle. Devant le refus que leur a opposé le préfet du Gard, les deux maires ont même présenté un recours devant le Conseil d’Etat. Mais à l’automne 2001, le maire de Tarascon (Mme Thérèse Aillaud) s’est retiré du projet. Considérant ce projet comme un frein potentiel au développement de sa commune, Mme Aillaud a préféré une possible association avec les communes de la vallée des Baux, dans le nord des Bouches-du-Rhône. Cet échec souligne la persistance de la dualité urbaine, qui ne se limite pas à un fait historique mais constitue une réalité spatiale et politique.

On ne peut donc que s’étonner que les villes installées sur les rives d’un fleuve majestueux et profondément aménagé soient aussi modestes. Il s'agit d'un véritable paradoxe rhodanien.

Avignon et Arles conservent une forte orientation agricole qui devient problématique dans le cadre de la mise en concurrence avec les productions des pays de l’Europe méditerranéenne au sein de l’espace Schengen ; Vienne et Valence sont caractérisées par les petites industries, tandis que Tarascon et Beaucaire associent activités liées à l’agriculture et petite industrie. A l’exception d’Avignon et de ses dynamiques tertiaires, aucune des villes étudiées ne s’inscrit dans une dynamique d’activités en essor.

Comment expliquer cette modestie urbaine ? Pourquoi le fleuve n’a-t-il pas suscité l’essor durable de communautés urbaines ? Doit-on attribuer cet état de fait à une certaine faiblesse du milieu rhodanien, et aux « insuffisances du substratum humain et économique »252 ? Quel est le rôle du fleuve ?

Tableau 3. Évolution démographique des aires urbaines de Vienne, Valence, Avignon, Beaucaire et Arles entre 1982 et 1999
Tableau 4. Répartition des actifs par secteur d’activités (aires urbaines de Vienne, Valence, Avignon, Beaucaire et Arles en 1990 et 1999)
Notes
243.

Allix, A., 1935, p.125.

244.

Allix, A., 1935, p.125.

245.

I.N.S.E.E., recensement de la population, 1999.

246.

S’ajoutent à ces industries des entreprises d’emballage et d’expédition de fruits et légumes.

247.

Les Chais Beaucairois est la première entreprise française d’embouteillage (groupe Marie Brizard).

248.

L’usine de Tarascon peut produire 250 000 tonnes de pâte kraft blanchie issue de résineux par an, qui est réservée à la production de papier ménager de carton, de papiers couchés pour publications, de papiers spéciaux d’impression et d’écriture, et de papiers pour usages spéciaux. Elle emploie 280 salariés en 2004.

249.

La population communale de Beaucaire en 1982 est de 12 840 habitants et de 13 748 en 1999, selon l’I.N.S.E.E.

250.

A ne pas confondre avec la grande île du même nom située à Avignon. Ce terme local désigne une barque à fond plat.

251.

Allix A., 1935, p.126.

252.

Bethemont J., 1972, p.209.