Les rives récréatives sont le résultat d’aménagements généralement récents, plus ou moins importants, cherchant à mettre en valeur les rives et permettant leur fréquentation par la population. A l’exception de la rive du centre urbain avignonnais et de Beaucaire, ces rives se trouvent toutes dans les annexes urbaines. Elles sont situées dans des espaces péricentraux non contraints par la présence d’infrastructures routières importantes. Leur mise en valeur est essentiellement à vocation paysagère et récréative. Elle peut être extrêmement simple et reposer sur la réalisation d’un chemin piétonnier qui permet à la population de circuler sur les berges en toute sécurité. Cette valorisation de loisirs se différencie de la valorisation routière qui a prévalu à Vienne et Valence. On peut citer le chemin arboré de Guilherand (figure 33) qui se trouve sur une digue entre le Rhône et un espace résidentiel et se prolonge en direction de la clinique Pasteur. Sainte-Colombe offre un quai réaménagé pour les piétons, qui fait face à Vienne au pied de la passerelle piétonne (ancien pont suspendu). Au sud de la ville, le quai cède la place à un chemin découvert sur la digue construite par la C.N.R., entre le Rhône et le contre-canal (figure 32). Au sud de Valence, c’est un port de plaisance qui a été mis en place (figure 34). On trouve encore un chemin piétonnier sur la berge de l’île de Barthelasse face à Avignon (figure 32). Plus élaboré qu’à Sainte-Colombe et Guilherand, il a été conçu et façonné par les services techniques de la ville d’Avignon. Les aménagements récents de rive de ces deux dernières décennies sont marqués par leur caractère léger : il ne s’agit pas d’infrastructures lourdes et définitives. Leur forme et leur fonction diffèrent de celles des rives solidifiées.
A première vue, on peut être tenté d’opposer les rives solidifiées aux rives récréatives. En y regardant de plus près, on constate que ces rives sont en réalité complémentaires : les rives récréatives font face aux rives solidifiées à l’intérieur d’une même ville. Ces deux usages ne s’opposent pas mais se complètent. Si, à l’évidence, les flux de transports empruntent une direction majoritairement méridienne sur les berges, les flux urbains adoptent une direction supplémentaire, la direction Est-Ouest, matérialisée par le franchissement du fleuve. Les deux rives sont alors complémentaires. Cela vient confirmer notre hypothèse selon laquelle les relations ville/fleuve ne sont pas linéaires. On observe ici la coexistence de deux usages des berges (routier et ludique) dans une même ville. Le cas de Beaucaire est plus particulier encore. En effet, cette ville est le seul cas de ville-centre à présenter une rive totalement vouée à un usage récréatif (Figure 34). Rappelons que la rive avignonnaise associe très paradoxalement un chemin piétonnier à une voie rapide. A la différence d’Avignon, la rive de Beaucaire fait l’objet d’une valorisation récréative ancienne qui perdure aujourd’hui sans avoir connu de période de rupture ni d’abandon. Si la valorisation historique est plutôt de tradition commerciale puisque les rives ont accueilli pendant plusieurs siècles des foires renommées. La valorisation récréative est affirmée dès le début du XXème siècle avec la construction du casino municipal. Aujourd’hui, la rive de Beaucaire accueille un restaurant de type « guinguette »291, des terrains de sport (un terrain de basket construit récemment par la ville), des aires de jeu de boules et un port de plaisance doté d’une capitainerie. De nombreux platanes rafraîchissent l’atmosphère de la berge durant la période estivale. A cela s’ajoute la digue de la Banquette, dont le large sommet agrémenté de bancs, constitue un espace de promenade privilégié des habitants de Beaucaire et offre, grâce à son élévation, un panorama exceptionnel composé par la ville, le Rhône et la vue de Tarascon et de son château.
Ces rives récréatives sont l’objet d’aménagements modestes et le plus souvent isolés : chemin piétonnier, terrain de sport, port de plaisance. En aucun cas, ils ne sont comparables aux aménagements qui caractérisent les opérations menées sur les fronts d’eau urbains comme à Lyon. Ces aménagements ne relèvent pas de l’urbanisme de projet. Ils sont conçus de manière ponctuelle et non à l’intérieur d’un projet plus global. Quand ils sont conçus au sein d’un projet plus vaste, ce dernier ne porte pas sur le fleuve. Ainsi le réaménagement des berges au sud de Vienne qui doit faciliter la circulation piétonne en bordure de la RN7 s’inscrit-il dans le cadre du Plan des Déplacements Urbains et non dans un projet de réa ménagement des rives du fleuve.
E.D.2005
Commentaire - Figure 33
La berge de Guilherand affirme sa vocation d’agrément par la présence d’un aménagement simple : un chemin goudronné encadré par des arbres. Sur la photographie du haut, le chemin est bordé par des lampadaires sur le côté gauche qui matérialisent la limite avec une route desservant une clinique. Sur la photographie du bas, le chemin est au contact d’un espace résidentiel composé de villas et équipé d’une piscine municipale.
E.D. 2005
Le Rhône est bien un élément qui participe au façonnement de l’identité de Vienne, Valence, Avignon, Tarascon, Beaucaire et Arles. Au terme de cette analyse, on ne peut que constater qu’il se dégage une certaine unité entre les villes du Rhône à l’aval de Lyon. Unité morphologique, unité paysagère, fondée sur des héritages et des devenirs communs, et sur la récurrence d’éléments de composition en lien avec le fleuve. La spécificité urbaine rhodanienne réside plus dans cette unité que dans des particularités inédites. L’identité urbaine rhodanienne se définit alors comme l’association régulière d’un certain nombre de traits caractéristiques des villes fluviales que sont :
Autant d’éléments qui façonnent une identité urbaine rhodanienne. On peut représenter l’unité de la morphologie urbaine rhodanienne par le modèle suivant (Figure 35).
C’est ce caractère unitaire qui est particulier au Rhône et que l’on peut mettre en relief si l’on compare Rhône et Loire. A la différence du constat opéré au sujet des villes rhodaniennes, Henri Galinié (2003) affirme qu’il n’existe « pas d’unité spécifique des villes de la Loire ». Il l’explique par des héritages historiques. La Loire n’a pas servi de fil conducteur unificateur aux deux périodes d’urbanisation qu’ont été la conquête romaine et l’an Mil car elle n’était pas un axe majeur de communication. Cela a eu pour conséquence la dissociation des villes en deux groupes : les « cités emmurées du Bas-Empire où trône la cathédrale » et les « agglomérations médiévales serrées autour de ce qui les a engendrées, l’abbaye ou le château »292. Une rapide présentation de la morphologie du centre urbain de Tours permet de distinguer nettement une ville de la Loire du modèle urbain rhodanien précédemment analysé. Le centre de la ville de Tours présente effectivement une morphologie différente des villes du Rhône. Il est structuré en trois pôles et non en deux (ville haute, ville basse). A l’ouest, un espace qui correspond à l’ancienne ville médiévale de Châteauneuf constitué autour de l’abbaye de Saint-Martin et dont l’organisation viaire est en liaison avec la Loire, ce qui en fait le quartier fluvial où s’est développé le commerce fluvial. Au centre, l’espace le moins dense est un ancien îlot de terres cultivées qui était historiquement le territoire de l’abbaye de Saint-Julien. A l’est, l’ancienne cité de Tours, historiquement emmurée et centrée sur le château et la cathédrale, fonctionne sur elle-même, la structure du paysage urbain étant parallèle au fleuve et les axes majeurs de communication non reliés à ce dernier.
L’étude approfondie de la place du fleuve à l’échelle des agglomérations permet de développer une autre analyse. On peut ainsi fortement nuancer le constat général d’une rupture contemporaine entre la ville et le fleuve. Constat dressé par un certain nombre de géographes dans les années 1990 et rappelé précédemment. Cette généralisation déforme une réalité plus complexe. Car la nature de la relation ville/fleuve semble varier selon les portions de l’agglomération. Si certains centres-villes semblent coupés matériellement du fleuve par la présence de voies sur berges, il est évident qu’une relation ville/fleuve différente, fondée sur une fréquentation de loisirs, s’établit dans les périphéries et en particulier les annexes urbaines résidentielles. Se dégage alors une complémentarité des rives à l’intérieur de l’agglomération. Le fleuve n’apparaît alors pas comme un obstacle urbain à franchir mais plutôt comme un facteur d’unité urbaine, associant des espaces de différentes natures et aux vocations complémentaires. On ne peut donc pas parler de rupture ville/fleuve car l’on voit bien dans le cas précis des villes rhodaniennes que même s’il n’y a pas eu d’opérations d’urbanisme visant à réaménager les rives et se réclamant d’un « retour au fleuve » ou d’une « réappropriation du fleuve », les villes ne sont pas pour autant en rupture avec le fleuve qui continue à fait l’objet de différents usages.
Le point le plus intéressant à notre sens réside dans la tendance générale et commune à toutes les villes rhodaniennes à l’aval de Lyon qui apparaît au terme de ce chapitre. Il s’agit du paradoxe de l’association d’un fleuve majestueux et de villes modestes et qui fait écho à l’évocation des rives urbaines délaissées, un des trois types rivulaires identifiés. En effet, le Rhône n’est pas le support de politiques publiques, d’aménagements ni de valorisations contemporaines d’envergure à l’aval de Lyon. Il ne suscite pas d’initiatives marquantes. Une seule réalisation récente marque les rives urbaines : le chemin piétonnier d’Avignon. Le Rhône ne fait pas partie des éléments utilisés pour valoriser ces villes alors même qu’il participe au façonnement de leur identité. Il appartient à un patrimoine urbain figé ou délaissé jusqu’à devenir, dans certains cas, un espace en déshérence. Les espaces fluvio-urbains rhodaniens sont donc caractérisés par une tendance à la marginalisation.
Au terme de cette première partie, un questionnement se dessine. Pourquoi les berges du Rhône ne sont-elles pas le support d’aménagements urbains comme elles le sont à Lyon avec la Cité Internationale, le Parc de Gerland, les berges du centre urbain, le projet du Confluent ? Pourquoi le Rhône est-il moins valorisé à l’aval de Lyon ? Quels sont les facteurs explicatifs de cette situation ? Quelles peuvent en être les conséquences en particulier en termes de gestion fluviale et peut-être de gestion du risque ?
Une guinguette est un lieu de plaisir populaire situé généralement dans la banlieue d’une grande ville, débit de boissons où l’on peut danser, le plus souvent en plein air. Historiquement, ces cabarets se trouvaient surtout sur les bords de Seine et de Marne, situation due à l’octroi, cette taxe qui frappait les marchandises qui entraient dans Paris. En s’établissant hors des murs de la ville, ils n’y étaient pas soumis.
Galinié H., 2003.