Sites et situation : l’ambiguïté rhodanienne

La caractéristique commune des sites historiques réside non pas essentiellement dans des caractères physiques identiques, mais dans l’interprétation que l’on peut en faire, c’est-à-dire dans leur aspect éminemment et paradoxalement terrestre. La dimension terrestre de ces sites signifie que l’enjeu de la localisation urbaine réside en partie dans le contrôle et la valorisation de routes, c’est-à-dire d’un réseau de communication qui met la ville en relation avec d’autres espaces. Les sites rhodaniens sont donc établis en relation avec une situation avantageuse. Ainsi, ces villes sont-elles marquées par une communauté de situation plutôt que de sites. En d’autres termes, les villes du Rhône semblent nées d’un avantage de situation plus que des qualités d’un site.

Les sites de promontoires rocheux sont des sites urbains de défense, de contrôle d’un franchissement. Ce sont des sites stratégiques qui recherchent un contrôle de l’espace terrestre mais qui ne s’ouvrent pas forcément à l’espace fluvial. Dominer le fleuve dans une zone où il est franchissable permet de contrôler une route terrestre, une voie de passage mettant en rapport différents espaces donc une situation. « A la vérité, c’est la vallée, le long passage qu’elle ouvre au milieu des terrains les plus durs, qui les [les agglomérations urbaines] attire, qui les retient, principalement aux points où se dessinent des confluences routières. »319 Ainsi Tarascon et Beaucaire sont-elles deux villes de situation, car nées ensemble de la circulation d’Est en Ouest de la Provence en Languedoc. Le franchissement est essentiel : en témoigne l’existence supposée d’un pont à l’époque romaine et son remplacement au XIVème siècle par des corporations de passeurs et de bateliers qui assurent le passage de Languedoc en Provence. De la même manière, Avignon contrôle la croisée des routes joignant les Alpes du Sud, la Provence et le bas Languedoc ou plus globalement l’Espagne à l’Italie.

En matière de développement urbain, l’axe rhodanien (voie terrestre) semble l’emporter sur le fleuve. Valence s’installe ainsi sur la terrasse fluviale où passe la voie romaine. Cette dernière longe le fleuve sur les hauteurs afin d’éviter les bas-pays marécageux et les zones inondables. Historiquement, le Rhône devient progressivement étranger à l’activité intense qui emprunte la vallée. La rupture s’accélère lors de la construction de la ligne de chemin de fer Paris-Lyon-Marseille (1856), puis de l’autoroute A7. Le développement urbain contemporain se fait avant tout le long de ces axes de communication et non en bord de fleuve, comme nous l’avons montré précédemment.

Le Rhône joue à l’évidence un rôle ambivalent dans l’établissement des sites urbains rhodaniens. Le site fluvial n’induit pas nécessairement un rapport étroit entre le fleuve et la localisation urbaine. La réalité est plus complexe.

Notes
319.

Faucher D., 1968, p.97.