A la fin des années 1980, Valence a l’ambition de mener un projet d’envergure sur son espace fluvio-urbain. Ceci dit, une partie du terrain d’assiette sur lequel porte une des phases structurantes de ce projet n’appartient pas à la commune et n’est pas géré par celle-ci. Il s’agit du terrain occupé par l’autoroute qui est alors gérée par la Direction des Routes (du Ministère de l’Equipement, du Logement et de l’Espace), responsable des autoroutes à l’époque et représentant de l’Etat au nom de l’intérêt général.
Le projet de réaménager les berges du Rhône à Valence est consécutif à la mise à l’étude d’un schéma de développement des autoroutes et des déviations routières, en coordination avec le tracé du T.G.V. et la desserte de la gare T.G.V., de même que de l’aéroport. La direction des Routes a programmé un premier tronçon de contournement à l’est de Valence, déchargeant la ville du trafic en provenance de l’est (A49) et rejoignant l’A7 au sud de Valence. L’idée apparaît alors dans l’esprit des services techniques de la ville et de la D.D.E. qu’il ne doit pas être impossible de prolonger ce contournement autoroutier est jusqu’au nord de l’agglomération et d’assurer sa jonction avec l’A7. De là à supputer la suppression de l’autoroute dans la traversée de l’agglomération valentinoise, il n’y a qu’un pas. En conséquence, la ville de Valence avait prévu dans son schéma directeur de 1986 la réalisation d’un contournement autoroutier est, accompagnée d’un déclassement de l’A7 dans les traversées de la ville et de la commune voisine de Bourg-lès-Valence. Le contournement devait s’inscrire dans le cadre du raccordement de l’autoroute A7 à la liaison Grenoble – Bourg-de-Péage par l’A49. Parallèlement, la réalisation de deux nouveaux ponts sur le Rhône aux abords immédiats de la ville devait décharger l’unique pont de la ville, le pont Mistral, et permettre un nouvel axe de développement en direction de l’Ardèche, sur l’autre rive. Dans l’hypothèse d’un déclassement de l’autoroute, l’idée de la mairie est alors de recourir à un appel international d’idées422pour la requalification des berges du Rhône et l’aménagement de la dizaine de kilomètres de rives ainsi libérée. L’opération est lancée en juillet 1989. Le budget prévu de 1 700 000 francs permet de rémunérer quatre équipes et de financer une opération de communication importante.
Les failles de cette démarche sont évidentes. D’une part, il ne s’agit là que d’un appel à idées, c’est-à-dire d’une réflexion sans suite concrète immédiate et sans engagement financier des collectivités locales. Cela ne s’insère donc pas dans une démarche de projet concret mais dans celle d’une prise de conscience, d’éveil d’un débat autour de l’intérêt de la suppression de l’A7 dans le centre valentinois. D’autre part, cette démarche est conditionnée par la réalisation du contournement autoroutier de Valence. Or c’est bien là que le château de cartes s’écroule. Si l’Etat fait bien réaliser la partie sud du contournement reliant l’A49 à l’A7, le reste de la déviation se heurte à un blocage dans le contexte déjà houleux de la contestation du tracé du TGV, et l’enquête publique tombe à l’eau.
Quatre équipes sont retenues par le jury de l’appel international à idées :
On peut noter que certains des participants à ces équipes se sont depuis illustrés dans des réalisations en lien avec l’eau et les fleuves. C’est le cas d’Alexandre Chemetoff qui a réalisé les « jardins d’eau » de Nancy (1996), les aménagements de l’île de Nantes « site chantiers navals – prairie aux Ducs » sur la Loire (2001-2008), le quai Henri IV des bords de Seine à Paris (2000). C’est d’ailleurs son équipe qui propose le projet le plus radical, le seul rompant avec la vocation routière des berges. Il s'intitule la « ville paysage » et considère que reconquérir les berges du fleuve, c'est réapprendre à habiter au bord du fleuve. Pour cette équipe, Valence est un théâtre (figure 51) : la cité est assise sur les gradins des terrasses qui contemplent le fleuve, la montagne de Crussol devenant la toile de fond de ce décor. L’ancienne autoroute doit disparaître et laisser la place à des parcs, des jardins et des liaisons vers le Rhône afin de permettre à la ville de se mirer dans le fleuve. Ce projet renoue un lien paysager entre la ville et son fleuve, lien qui existe en Avignon. Cette dernière ville est particulièrement soucieuse de son paysage car elle tire une partie de son dynamisme économique de son patrimoine historique et paysager (Palais des Papes, Pont Saint-Bénézet). On peut rappeler que c'est pour cela que la municipalité d'Avignon a réclamé le maintien d'une hauteur d'eau minimale afin de conserver la spécificité de son paysage lors de l'aménagement du Rhône par la C.N.R.
Les projets Huet/Massa et Fuksas ont un point commun : la transformation de l'autoroute en boulevard urbain. Marco Massa et Bernard Huet (Figure 52) proposent l'idée d'une « ville compacte ». Leur priorité n'est pas l'espace fluvio-urbain mais plutôt la structuration de la croissance urbaine de l'agglomération valentinoise. C'est pourquoi ils envisagent d'une part le renforcement de la centralité de l'agglomération de Valence-Bourg-lès-Valence par la densification et la requalification de zones consacrées à l'habitat, au commerce et à des activités tertiaires, et d'autre part la création de deux pôles d'activités aux portes de l'agglomération. L'autoroute déclassée ne disparaît pas mais est ramenée à une série de tronçons de voirie urbaine et prend l'apparence d'un boulevard urbain agrémenté d'arbres. Les différents éléments, jardins, places, immeubles d’habitations et de bureaux, sont organisés selon une trame géométrique qui se dissout sur les berges du Rhône, aménagées en terrasse, tandis qu’une galerie commerciale à l’italienne prend place sur le pont Mistral. Cela rappelle l'aménagement des berges du Rhône au nord de Lyon dans le quartier de la Cité internationale. Un chemin se trouve sur la berge, surmonté par un boulevard urbain complanté d'arbres et bordé par des immeubles comprenant des logements et des activités (bureaux d'Interpol, salles de cinéma, musée d'art contemporain). L’équipe unissant l’architecte Massimiliano Fuksas et les paysagistes Alain Marguerit et Stefan Tischer suggère de conserver l’axe structurant en le réduisant de six à quatre voies, l'autoroute devenant un boulevard urbain, lieu de passage et de rencontre d’un nouveau quartier ponctué de bâtiments phares les pieds dans l’eau (résidences, commerces, équipements culturels), précédés par une longue promenade plantée sur les berges. Le maintien de cette voie de communication est justifié par son statut de donnée historique, qui l'intègre aux stratifications urbaines.
Le projet de « ville étape » de l’équipe Luscher tente de redonner au site son rôle de boulevard de circulation à caractère urbain. L'idée est de faire de Valence, ville de passage, une ville d’étape. Le lien qui est recherché ne concerne pas la ville et son fleuve, mais la ville et ses flux routiers. La mise en relation proposée est celle de l'axe rhodanien et de la ville. L'enjeu réside dans la création d'une interface population locale/automobiliste et non pas homme/nature, ville/fleuve. L'autoroute est dans ce projet également remplacée par un boulevard urbain, mais l’architecte prévoit de la conservation des bornes, des bretelles et des stations-services. Il veut utiliser l’infrastructure comme une aire de repos de l’A7 à l’échelle de la ville. Un nouveau front urbain serait formé par l'adjonction de nouvelles industries de pointe, d'un parc, d'un musée, et des équipements urbains et de tourisme.
Qu’une seule des quatre équipes envisage la disparition de la vocation routière semble ironique au regard du projet de la mairie qui veut sensibiliser la population, les acteurs socio-économiques et politiques à l’intérêt de la présence du fleuve dans la ville. Pour la majorité des équipes, l’axe routier présente une certaine inertie. Comme si la berge était irrémédiablement vouée à supporter des transports routiers.
Et si ce concours international d’idées n’avait été en définitive qu’un moyen de faire rêver les habitants par des images attrayantes… ? En tout cas, il a permis un véritable échange avec la population car il a été l'objet de conférences, de nombreuses publications dans la presse régionale. Mais il s’est finalement réduit simplement à des intentions. Le maire de l'époque, Rodolphe Pesce, n'a pas atteint son objectif, les résultats de la consultation devant servir à maintenir la pression pour éviter tout retour en arrière et imposer un rapport de force face au lobby autoroutier. Au terme de la consultation, seule l'équipe Luscher est retenue, mais uniquement pour travailler sur le contournement est. La mise en service, fin 2004, de la déviation de Bourg-lès-Valence et du deuxième pont sur le Rhône permet le contournement complet de la ville, écartant les véhicules de transit du coeur de Valence. Mais l’autoroute A7 longe toujours le Rhône.
Lors d’un entretien du 17 octobre 2003, le directeur des services techniques de la Mairie de Valence évoquait un projet de grande ampleur porté par la nouvelle municipalité dans la zone de l’Epervière consistant en un pôle ludo-scientifique autour de la réalisation d’un grand aquarium. Il ne semble pas avoir connu de suites palpables à l'heure où nous écrivons ces lignes. Valence ne développe toujours pas de projet urbain concernant les espaces fluvio-urbains, c'est le chantier des Grands Boulevards qui a été mis en oeuvre dans la dernière décennie. Ce dernier est un projet de « reconquête sociale et urbaine »423Il vise à améliorer la circulation dans l’agglomération en développant des voies pour les bus en site propre et des pistes cyclables dans le cadre de la redéfinition du Plan des Déplacements Urbains. Il s’agit de lutter contre les difficultés de circulation (congestion) et d’améliorer les liaisons entre le centre-ville et sa périphérie, en particulier par la facilitation et la sécurisation du franchissement des boulevards. Troisième objectif : embellir et aérer ces boulevards de manière à favoriser le retour des promeneurs et à en faire un espace public de qualité. Le choix de mener à bien ce projet montre que les priorités de la Ville se concentrent encore pour le moment sur les transports et la circulation ainsi que sur l’aménagement du tissu urbain. Le développement des loisirs et la considération de la relation de la ville aux espaces de nature sont à l’heure actuelle très secondaires.
Voir Bayle C. 1990, et Lemonier M., 1990.
Voir www.boulevards-valence.com