Des aménagements fluvio-urbains limités et sectoriels

Les projets des villes à l’aval de Lyon sont limités. Ils sont le plus souvent monovalents et mobilisent un nombre réduit d’acteurs contrairement à la logique de globalité propre au projet urbain. Ces aménagements concernent deux domaines bien spécifiques : le tourisme fluvial et les loisirs urbains.

Les seuls projets fluvio-urbains concrets développés par la ville de Valence se concentrent sur le site de l’Epervière et ont une vocation de loisirs. Ces projets restent de petite dimension et ponctuels car les contraintes sont fortes, que ce soit en termes d’inondabilité (il s’agit d’un espace d’expansion des crues) ou pour respecter le champ de captage d’eau potable. Il s’agit par exemple d’aires de pique-nique, d’aires de jeux, de parcours de santé ou de chemins piétonniers.

La ville d’Arles se concentre à l’heure actuelle sur le développement des appontements pour les bateaux à passagers et du port de plaisance. Lors du 6ème colloque fluvial européen du Sud intitulé « patrimoine, tourisme et fleuves en partage », qui s’est tenu à Lyon les 16, 17 et 18 novembre 2006, Philippe Pouliquen, directeur du département Développement et Aménagement du Territoire de la ville d’Arles a fait une communication portant sur Arles et son fleuve : « Arles et le projet de port ». Cette communication a révélé et souligné deux aspects de la production de l’espace fluvio-urbain arlésien. Un nouvel aspect est apparu suite à l’inondation de 2003 qui a considérablement endommagé la ville d’Arles. Dans la gestion des rives rhodaniennes, telle qu’elle est envisagée par la ville, s’est ajoutée une donnée : la nécessaire protection contre le fleuve doit s’ajouter au développement urbain. Un nouvel enjeu apparaît dans la gestion arlésienne : le risque d’inondation. Deuxième élément fort souligné par la communication de P. Pouliquen : la polarisation de la valorisation du fleuve autour du développement portuaire, celle-ci se plaçant dans la continuité directe de la charte précédemment évoquée. Paradoxalement, le projet considéré comme central par P. Pouliquen est le port de plaisance. Et ce port ne se trouve pas sur le Rhône mais sur le canal d’Arles à Bouc. Le Rhône fait l’objet du projet de développement du port fluvio-maritime et des chantiers navals. Les fonctions économiques se concentrent sur le fleuve tandis que le développement récréatif se déporte du Rhône vers le Canal. Cette dynamique, déjà présente dans la charte, se renforce.

Avignon associe les réalisations ludiques et touristiques. Le cheminement piétonnier réalisé en rive droite sur l’île de la Barthelasse a été doublé par un deuxième chemin en rive gauche, bordant les allées de l’Oulle. Ce deuxième chemin a été élaboré à la fois pour développer et faciliter la circulation piétonne en bord de Rhône à l’attention des citadins mais aussi en lien avec la création d’appontements pour les bateaux de passagers le long des allées. L’intérêt étant de capter les flux de touristes en leur offrant un accueil de meilleure qualité. Les allées de l’Oulle ont fait l’objet d’une réflexion rappelant celle lancée à la fin des années 1980 à Valence. De multiples projets ont été proposés pour le réaménagement des allées mais ils se sont heurtés, comme à Valence, au maintien de l’infrastructure routière (rocade) sur place. Ces aménagements ont été réalisés par les ingénieurs du service de la voirie. On ne trouve pas ici la multiplicité des acteurs d’un projet urbain ni d’ailleurs le croisement des compétences. Cela a occasionné des difficultés car les ouvrages réalisés ne sont pas adaptés à l’hydrologie rhodanienne. Ces chemins piétonniers n’ont pas été pensés pour résister aux crues. A l’occasion de la crue de novembre 2002, le chemin de la Barthelasse a été submergé sous 2,50 m d’eau pendant environ une semaine. L’ouvrage a été fortement détérioré : les plateaux d’éclairage ont été pliés, les espaces verts détruits. Surtout les opérations de déblaiement des limons recouvrant le chemin parfois sur un mètre d’épaisseur ont abîmé le béton désactivé qui en forme le revêtement. L’absence de sollicitation d’acteurs possédant des compétences en hydrologie a pénalisé cet ouvrage.

Les rives du Rhône ne sont actuellement l’objet d’aucun projet urbain de la part de la ville de Beaucaire. Le seul projet concernant spécifiquement l’espace fluvio-urbain est celui de l’extension de l’urbanisation au sud de la ville mais il a été suspendu dans l’attente du résultat d’une étude préfectorale428 concernant l’inondabilité de cet espace. L’hydrologie se pose ici comme une contrainte au développement urbain de la ville. Autre projet : la remise en communication du Rhône et du Canal du Rhône à Sète. On retrouve ici un projet lié au développement du tourisme fluvial. Dans les années 1960, la C.N.R. avait proposé de rétablir une écluse entre le fleuve et le canal mais la municipalité avait refusé, occupée par un autre projet (construction de logements sociaux dans le périmètre de l’écluse). Aujourd’hui, avec le développement du tourisme fluvial, le port de plaisance de Beaucaire, créé en 1988 sur le canal, est situé dans un cul-de-sac. La communication avec le Rhône ouvrirait donc des possibilités de développement de la navigation très importantes. La C.N.R. refuse d’assumer les travaux de reconstruction d’une écluse pour une raison financière : son coût est estimé à 12 millions d’euros dont 50 % seraient financés par les collectivités locales. Mais l’Etat n’a pas à ce jour donné son accord. Le projet se heurte donc à des problèmes de financement et d’autorisation étatique. Cela dit, la municipalité n’abandonne pas ce projet, elle a réalisé une véritable politique de réserve foncière sur les terrains proches du canal. Elle a doublé ce premier projet d’un second. Elle envisage la construction d’une cité lacustre : « les marinas de Beaucaire »429 sur les bords du canal, comportant 400 logements ainsi que des surfaces dévolues à des commerces et des bureaux le long d’un plan d’eau d’une superficie d’un hectare. A Beaucaire, on peut comprendre que le Rhône ne soit pas l’objet de projets urbains d’envergure car il a fait l’objet d’aménagements récents avec la construction de la base nautique en 1990 et 1991, le développement d’une zone industrielle au sud et car son champ de foire est un espace animé par différentes festivités (fête foraine, feux d’artifice, activités sportives).

La ville de Tarascon ne développe aucun projet concernant son espace fluvio-urbain. Les seuls projets sont portés par la C.N.R. et consistent en des implantations industrielles au Sud de la ville où sont prévues aussi l'installation d’une prison et d’une station d’épuration430. L’espace fluvio-urbain de la périphérie apparaît comme une marge où rejeter les activités non valorisantes. Cela s’explique par une raison administrative simple mais paradoxale : la berge en rive gauche du Rhône, celle bordant le centre-ville de Tarascon, est située sur la commune de Beaucaire.

A Vienne, le fleuve n’occupe pas une place prépondérante dans les aménagements urbains. Malgré plusieurs études portant sur la requalification des quais de la ville – la première datant de 1979431–, la situation n’a pas évolué. Cette « reconquête » est intégrée dans un discours qui vient encadrer, supporter d’autres projets. Elle ne fait pas l’objet de réalisations d’envergure. Dans la même lignée que les autres villes rhodaniennes de l’aval de Lyon, Vienne réalise des aménagements relatifs à la circulation piétonnière au bord du fleuve et projette une halte fluviale dans le but de capter les flux touristiques des bateaux passagers. Le seul projet concernant le fleuve porte sur la berge située au sud de la ville, sur laquelle est implantée une large voie express. La ville souhaite la réaménager grâce à la réalisation de trois carrefours desservant le quartier Sud dans le cadre d’un contrat de Plan Etat-Région (2000-2006). La vocation routière des berges du Rhône se renforce à Vienne qui affirme sa volonté d’améliorer sa desserte urbaine à partir des quais du Rhône. Selon le directeur des services techniques de la ville de Vienne, M. Gaviot-Blanc, les objectifs432 de cet aménagement sont triples :

Ce dernier objectif serait permis par la configuration de la construction des carrefours qui ménagent un terre-plein entre le Rhône et la voie express. Il semble très paradoxal que le renforcement de l’axe routier du Sud viennois puisse permettre la requalification des berges rhodaniennes. On observe une véritable distorsion entre un discours qui annonce une « reconquête » des berges et des réalisations qui renforcent leur fonction routière. La requalification des berges du Rhône n’est pour le moment qu’un objectif rhétorique, appartient plus au discours qu’à la réalité.Est-il possible d’associer sur un même espace des fonctions routières d’une part, et d’agrément d’autre part ? La reconquête des berges est en réalité un horizon stratégique lointain. Il ne s’agit pas d’une priorité immédiate. Ou alors elle est un simple argument permettant de rendre l’aménagement plus populaire auprès du public : le réaménagement des berges présente un intérêt collectif publiquement justifiable. L’intention de l’acteur est annoncée au-delà de l’action immédiate. L’objectif ultime de la municipalité en ce qui concerne la berge sud consiste en « un renversement de la structure actuelle de circulation piétons/voitures, au profit des piétons et des cycles sur la berge du Rhône. »433 Le véritable enjeu réside dans l’amélioration de la circulation et de la desserte au Sud et dans la valorisation de l’entrée de ville Sud plus que dans la « reconquête » du Rhône. Le réaménagement de la berge du Rhône au sud de Vienne a donc été intégré au Plan des Déplacements Urbains (P.D.U.). Cela est symptomatique de la conception qu'a la ville de ses berges. Elles sont considérées comme des espaces de transit. L’aménagement des berges n’est pas abordé en tant que tel mais est abordé par la marge à l’occasion du traitement des déplacements urbains. Il n’est donc pas au cœur des préoccupations urbaines. L’analyse des éléments du paysage suscite l’énonciation de 23 objectifs. Sur ces objectifs au total, neuf concernent le Rhône :

Les objectifs rhodaniens sont paysagers pour l’essentiel. Il s’agit de conserver un paysage existant ou de le mettre en valeur. La berge, qui comporte un chemin de halage en contrebas, ne fait pas l’objet d'une réorganisation spatiale, son accessibilité n'est que ponctuellement améliorée. La ville de Vienne a aussi mis en place un projet de halte fluviale déposé auprès de V.N.F. à l’initiative de l’office du tourisme. Dans le cadre du projet d’agglomération435 de la Communauté d’agglomération du Pays viennois436, la valorisation de la façade fluviale de Vienne est remise à l’ordre du jour. Mais la mise en oeuvre du projet est subordonnée à la réalisation des contournements nord-est, puis sud-est et au rabattement des deux grandes infrastructures de contournement de Lyon, dont les tracés ne sont pas encore arrêtés, au sud de l’agglomération. Le projet n'est donc pas encore d'actualité. La possibilité d’une requalification du front fluvial de Vienne est envisagée au sein d'une stratégie d'agglomération, ce qui rappelle une des caractéristiques des opérations menées dans les grandes villes françaises. On peut se demander si cela relève uniquement d'une tendance éphémère ou bien si cela constitue l'amorce d'une modification profonde de la production de l'espace fluvio-urbain de Vienne et donc l'émergence d'un nouveau processus. La question reste ouverte à ce jour.

On voit que ces projets ne relèvent pas de projets urbains au sens propre, ils n’en possèdent ni la logique de durabilité ni la logique de globalité et n’ont qu’une dimension très ponctuelle et restreinte. La répétition systématique de cette absence dans toutes les villes du Rhône à l’aval de Lyon amène à se poser la question des origines de ce phénomène.

Notes
428.

Informations recueillies lors d’un entretien avec Alain Matéo, services techniques de la ville de Beaucaire, le 27 octobre 2003.

429.

Communication de M. Cellier, maire de Beaucaire intitulée « projet de port et marina » lors du 6ème colloque fluvial européen du Sud « patrimoine, tourisme et fleuves en partage », tenu à Lyon les 16, 17 et 18 novembre 2006.

430.

Informations recueillies lors d’un entretien avec Mme Vernet, directrice des services techniques de la ville de Tarascon, le 27 octobre 2003.

431.

O.R.E.A.M. Rhône-Alpes, 1979, Réhabiliter les quais viennois. Premiers éléments de réflexion, Lyon.

432.

Informations recueillies lors d’un entretien du 3 septembre 2004 avec M. Gaviot-Blanc, directeur des services techniques de la ville de Vienne.

433.

D.D.E. – SANO de Vienne, Atelier de Paysage Elément Terre, Mai 2003, Analyse et diagnostic urbains – Vienne – étude de paysage – Propositions pour la RN7 au sud de Vienne.

434.

D.D.E. – SANO de Vienne, Atelier de Paysage Elément Terre, Mai 2003, Analyse et diagnostic urbains – Vienne – étude de paysage – Propositions pour la RN7 au sud de Vienne.

435.

Le projet d’agglomération peut être consulté sur le site : www.paysviennois.fr

436.

Créée en 2002, elle regroupe dix-huit communes.