application et conséquences rhodaniennes

Les terrains du D.P.F. gérés par la C.N.R. peuvent être convoités par les villes. Dans le cadre de la construction des aménagements par la C.N.R., l’appropriation du D.P.F. a pu poser problème dans certains espaces urbains. La réalisation de l’ouvrage de Vaugris a donné lieu à un véritable conflit entre la C.N.R. et la ville de Vienne, comme on a pu le voir précédemment. L’enjeu est avant tout spatial. La C.N.R. maintient son projet à Reventin-Vaugris envers et contre les demandes de la ville, de sorte que les aménagements de la compagnie peuvent constituer un obstacle au développement urbain dans certains cas.

Dans d’autres, c’est le statut foncier du D.P.F. concédé qui pose problème et qui peut complexifier les projets d’aménagement urbain. Ainsi la commune de Guilherand souhaite-t-elle aménager des installations nautiques (de loisirs) sur les berges du Rhône en 1969. Elle doit obtenir, outre l’agrément des services classiquement concernés (c’est-à-dire la direction départementale de la jeunesse et des sports), celui de la C.N.R. Cette dernière accorde les autorisations d’occupation temporaire du D.P.F.

Le statut juridique du Rhône peut aussi freiner les réalisations urbaines. La C.N.R. refuse par exemple en 1984 l’agrandissement de l’aire de jeu du stade de Valensolles (commune de Valence) en direction de la digue édifiée par la Compagnie. Les raisons qui sont officiellement données au maire sont « liées à la conservation et à l’exploitation des ouvrages »459. Mais les motivations qui sont développées à ce sujet dans une note interne de la C.N.R. sont plus complexes. La compagnie craint que cette occupation temporaire ne se pérennise et ne vienne nuire à son projet de Musée de la Batellerie dont l’implantation est prévue à proximité du terrain convoité : « Nous ne devrions pas permettre à la ville de Valence :

a) d’implanter un terrain de football réglementaire à la place du terrain actuel,

b) de détruire les peupliers,

c) de terrasser la butte.

En raison :

1) du fait que lorsque le terrain sera homologué, nous ne pourrons plus les faire partir et ils demanderont tribune, parking…

2) de la proximité du futur musée de la batellerie, qui ne pourra jamais s’étendre au Nord alors qu’il ne peut plus s’étendre au sud ; les vestiaires étant déjà semble-t-il dans la partie nord du terrain où le musée doit s’implanter. » 460

L’occupation du D.P.F. suscite un conflit d’usage : des projets différents, portés par des acteurs distincts, convoitent des espaces proches voire identiques et peuvent se gêner. La ville et la C.N.R. sont des acteurs en concurrence. Le rapport de force s’établit au profit de la C.N.R. qui est le concessionnaire doté du pouvoir d’octroyer ou non les autorisations d’occupation temporaire. Dans la mesure où il existe un conflit d’intérêt, les projets urbains peuvent être contrariés par la C.N.R. La concession du D.P.F. à la C.N.R. réduit donc la capacité de production de l’espace fluvio-urbain par la ville.

Dans certains cas, les villes peuvent d’ailleurs ne pas se satisfaire de l’autorisation d’occupation temporaire du D.P.F. Ce statut pose une limite à l’appropriation spatiale et l’investissement nécessité par un aménagement, ou les subventions octroyées pour sa mise en place, peuvent être remis en cause par le caractère non pérenne de l’autorisation d’occupation. A Avignon, se pose en 1977 le problème juridique de l’occupation de terrains appartenant au domaine concédé de la C.N.R. pour la création par la municipalité avignonnaise d’une base de loisirs à l’Islon461. La ville souhaite accéder à la propriété de ces terrains afin de pouvoir prétendre à l’obtention de subventions. Or la C.N.R. ne peut mettre les terrains à disposition que dans le cadre d’une occupation temporaire du D.P.F. ou d’une sous-concession, ces deux modalités impliquant une temporalité restreinte. Cela ne satisfait donc pas la ville qui doit renoncer à son projet.

Si au moment de la mise en place des aménagements de la C.N.R., des conflits ont vu le jour concernant le D.P.F., il semble aujourd’hui que la situation se soit nettement pacifiée. Les villes doivent soumettre leur P.L.U. à l’avis de la C.N.R., concernant les espaces urbains relevant du D.P.F. Cependant la C.N.R. est aujourd’hui un acteur qui semble oublié par les villes. L’antenne avignonnaise de la C.N.R. regrette de ne pas être invitée aux réunions préparatoires à l’élaboration du P.L.U. d’Avignon et donc de ne pas être considérée comme une personne publique associée à l’élaboration de ce document d’urbanisme462. La C.N.R. peut cependant intervenir a posteriori lors de l’enquête publique à laquelle le P.L.U. est soumis. Elle se doit d’intervenir notamment lorsque le zonage du P.L.U. n’est pas en conformité avec le cahier des charges de la Compagnie. Dans le cas de Bourg-lès-Valence, la C.N.R. est bien conviée aux réunions d’élaboration et de révision du P.L.U., cependant son représentant déplore le fait que ses arguments ne soient pas toujours entendus463. Dans le cadre de la réalisation du chemin piétonnier des berges du Rhône à Avignon, la mairie n’a pas consulté la C.N.R. Elle a obtenu une autorisation préfectorale pour la réalisation de ces travaux. Or la préfecture n’a pas consulté la C.N.R. alors même que ces travaux concernent le domaine concédé : ils affectent le profil de la berge et le plan de récolement de la ville. La compagnie a émis des réserves après l’autorisation préfectorale mais n’a pas empêché les travaux. Elle n’est intervenue qu’à la fin du chantier de manière à réimplanter le bornage qui avait été enlevé. Sur le même mode qu’Avignon, la ville de Guilherand a aménagé ses berges afin d’y développer une circulation douce, piétonne et cycliste. L’antenne valentinoise de la Compagnie a laissé la municipalité réaliser son projet sur le principe d’une « entente tacite »464. Mais cela posant tout de même un problème juridique, la C.N.R. a régularisé l’affaire en octroyant a posteriori une autorisation d’occupation temporaire du domaine concédé.

La Compagnie semble être aujourd’hui un acteur assez absent de la gestion des berges urbaines alors que dans la période de la mise en place des aménagements hydroélectriques sa place était forte et déterminante. Comment l’expliquer ? La C.N.R. étant passée d’une phase d’aménagement intensif à une phase de gestion, les enjeux fonciers ont donc diminué. Le processus d’appropriation de l’espace fluvial par la C.N.R. a pris fin. Le statut de la concession est entériné par les acteurs en présence. La Compagnie ne souhaite pas forcément non plus participer à la réalisation d’ouvrages qui concernent uniquement le développement urbain, ce par souci d’économie. D’où l’acceptation tacite de certaines initiatives dans le D.P.F. Les berges urbaines n’étant plus l’objet d’un aménagement par la C.N.R., certaines villes (comme Avignon) développent un mode d’appropriation spontanée de ces espaces en évinçant de fait la compagnie qui n’est pas considérée comme un acteur urbain.

Notes
459.

Lettre de la C.N.R. au député-maire de Valence en date du 27 novembre 1984, archives de la C.N.R.

460.

Note interne de la C.N.R., direction des études et travaux, en date du 22 novembre 1984, archives de la C.N.R.

461.

Source : compte-rendu de la réunion du 24 mai 1977 à la préfecture de Vaucluse, objet : aménagement d’Avignon, zone de loisirs de l’Islon, Archives de la C.N.R.

462.

Informations recueillies lors d’un entretien du 19 mai 2005 avec M. Santoni, Compagnie Nationale du Rhône, Antenne d’Avignon.

463.

D’après un entretien du 6 juin 2005 avec M. Pellez, C.N.R., antenne de Valence.

464.

D’après un entretien du 6 juin 2005 avec M. Pellez, C.N.R., antenne de Valence.