Les limites de la délimitation du Domaine

La délimitation du D.P.F. est un point important pour les villes qui souhaitent aménager leurs espaces fluvio-urbains. Les espaces qui relèvent du D.P.F. sont soumis à un régime spécifique, précédemment évoqué, et surtout au paiement d’une redevance auprès du concessionnaire. Par exemple, concernant le projet de la base de loisirs de l’Islon à Avignon, la redevance due à la C.N.R. pour l’autorisation d’occupation temporaire aurait dû s’élever à 350 000 francs de l’époque (1977), ce que la municipalité dénonce d’ailleurs. Ce statut a donc un coût pour les municipalités. Surtout, ce régime particulier suppose que le domaine public fluvial soit clairement délimité. Or ce n’est pas le cas de manière systématique dans la vallée du Rhône. La construction des aménagements entraîne des modifications du D.P.F., par exemple par des acquisitions de terrains pour les besoins de la C.N.R. Et certains espaces ne sont pas redéfinis immédiatement après les aménagements. Ce flou en matière de délimitation suscite des conflits. La mairie d’Avignon se plaint avec virulence du manque de clarté dans la délimitation à l’occasion de la négociation concernant le projet de la base de loisirs de l’Islon465. Elle a besoin d’identifier les terrains du domaine public non aliénables et ceux du domaine privé aliénables dans le cadre de son projet. En 1977, la mairie se plaint de ce que le bornage des terrains faisant partie des dépendances immobilières de la concession n’a pas été effectué alors qu’il aurait dû intervenir l’année qui a suivi la mise en exploitation des ouvrages, soit en 1974. De fait, la DDE réclame ce bornage. Au début des années 2000, à l’occasion du réaménagement de la berge du Rhône et de la rocade implantée sur les allées de l’Oulle à Avignon, une négociation a enfin été conduite entre la mairie et la C.N.R. afin de déterminer la limite du D.P.F. Ce dernier se limite à une bande de dix mètres de large définie à partir de la berge. Au-delà de ces dix mètres, l’espace relève du Domaine Public Communal.

On peut citer aussi le cas des ouvrages dits « orphelins ». Il s’agit des ouvrages implantés sur le domaine concédé à la C.N.R. mais qui n’ont pas été construits par cette dernière, c’est par exemple le cas des quais maçonnés du XIXème siècle. D’une manière générale, la C.N.R. n’en revendique pas la propriété et n’en assure pas la gestion. Or paradoxalement, la gestion et l’occupation de ces ouvrages quasiment abandonnés par la C.N.R. doit faire l’objet d’une autorisation d’occupation. Dans le cas d’Avignon, et face au refus de l’Etat de financer la réparation des quais, c’est le maire qui a pris en charge dans les années 1970 la gestion des anciens quais, implantés dans le domaine concédé. Ici la municipalité s’est insérée dans un véritable vide administratif.

En l’absence d’aménagement ou de projet important porté par des acteurs extérieurs à la C.N.R., le Domaine Public Fluvial reste dans un certain flou en matière de délimitation. Cela peut occasionner des conflits mais aussi des difficultés de gestion de l’espace et des ouvrages afférents, comme en témoigne le cas de la ville d’Arles.

Le S.Y.M.A.D.R.E.M., syndicat mixte de l’aménagement des digues du Rhône et de la Mer, a été créé par arrêté préfectoral en décembre 1996 pour gérer les digues camarguaises du Rhône. Sa création est une conséquence des crues de 1993 et 1994 qui ont révélé le mauvais état général de l’endiguement dans cette partie du Rhône. Son périmètre d’action comprend, dès sa création, outre les digues en terre de Camargue, les ouvrages de la partie agglomérée d’Arles. Ces ouvrages se distinguent des digues de Camargue par leur nature mais aussi par leur statut foncier : c’est l’Etat qui est le propriétaire des ouvrages de protection de la ville d’Arles, à la différence des ouvrages du reste de la Camargue dont le statut est resté inconnu jusqu’en 1996 (une partie des ouvrages n’étant même pas cadastrée). Ces quais étant dans un état de dégradation avancée, le S.Y.M.A.D.R.E.M. envisage leur réhabilitation, conformément à sa mission, mais il se heurte à un problème foncier. Afin de mener à bien des travaux, il faut déterminer qui est le propriétaire des quais d’Arles et qui doit financer les opérations. Or la confusion règne. A travers l’Etat, propriétaire du D.P.F., deux ministères sont concernés : l’Equipement (relativement aux voies navigables) et l’Environnement (relativement à la protection contre les inondations). Devant la difficulté à établir un partage des charges financières entre les deux ministères, le syndicat mixte. est désigné par la préfecture comme le maître d’ouvrage des travaux à réaliser, qui sont la réhabilitation des quais. Cependant, l’entretien ultérieur des ouvrages doit faire l’objet d’un partage entre Voies navigables de France (V.N.F.), le S.Y.M.A.D.R.E.M. et la ville d’Arles. Pour cela, une délimitation spatiale des portions des quais dont est responsable chaque partie est élaborée en novembre 2000. Au final, V.N.F. est responsable de l’entretien des parties basses des quais, le syndicat mixte de la partie haute et la municipalité de la partie des quais orientée vers la ville. Le plan suivant (Figure 47) donne un exemple des modalités du partage spatial. Selon le rapport de proposition de gestion des quais réalisé par V.N.F. le 9 novembre 2000, le S.Y.M.A.D.R.E.M. doit entretenir 11 274,93 m² de quai contre 9 690,21 m² pour V.N.F. Le résultat de cette négociation s’intègre en 2001 dans une charte de partenariat signée entre V.N.F., la ville d’Arles et le SYMADREM

Figure 53. Le partage de gestion des quais d'Arles - quai de la Roquette Source : V.N.F., Arles.

Commentaire - Figure 53

L’ensemble des quais de la ville d’Arles ont fait l’objet d’une délimitation très précise afin de distribuer leur gestion. Nous proposons ici un exemple de coupe des quais établissant une répartition spatiale. Le bas-port et son soubassement, indiqués en vert, doivent être entretenus par V.N.F. tandis que la gestion du mur de quai et de son soubassement, en jaune, est attribuée au S.Y.M.A.D.R.E.M. Le reste est considéré comme relevant de la voirie municipale. Ce découpage illustre deux faits : d’une part le flou juridique qui existe quant à la délimitation du D.P.F. et aux acteurs responsables de sa gestion et de son entretien, et d’autre part le caractère lourd de la gestion d’un tel espace (du fait des coûts mobilisés et des capacités techniques nécessaires).

Les espaces fluvio-urbains rhodaniens sont marginalisés par l’absence de recomposition spatiale qui les caractérise. On peut même parler de décomposition spatiale dans les cas où les espaces sont abandonnés et dégradés. Cette non-recomposition s’explique par les caractéristiques de l’hydrosystème rhodanien qui en font un milieu contraignant pour les villes et complexe, dont l’aménagement nécessite des compétences très spécifiques et des financements importants.

Or ces contraintes posées par le milieu rhodanien ne sont pas surmontées par les acteurs en présence. Le système d’acteurs dysfonctionne : les acteurs d’envergure nationale, gestionnaires du D.P.F., et les acteurs locaux n’arrivent pas à établir de véritables synergies du fait de l'existence d'une déconnexion scalaire. Ce système reste aussi incomplet : les villes pratiquent une sorte d’absentéisme en prenant peu d’initiatives en matière d’aménagement fluvio-urbain, et certains types d’acteurs indispensables dans les processus actuels de recomposition urbaine sont largement sous-représentés, comme les architectes et les paysagistes. Ce jeu d’acteurs ne permet pas l’élaboration de projets fluvio-urbains d’autant plus qu’il s’insère dans un cadre réglementaire et administratif (celui du D.P.F. et de sa concession à la C.N.R.) qui crée encore d’autres obstacles à la recomposition spatiale.

Les difficultés de la gestion actuelle des espaces fluvio-urbains rhodaniens se traduisent donc sur le plan urbanistique par cette non-recomposition spatiale. Mais ces difficultés ont nécessairement d’autres conséquences. On peut se demander quels sont leurs impacts en matière de gestion du risque d’inondation.

Notes
465.

Préfecture de Vaucluse, création d’une base de plein air et de loisirs en bordure du Rhône, procès-verbal de la réunion tenue à la préfecture de Vaucluse, le 24 mai 1977, archives de la C.N.R.

466.

Source : V.N.F., Arles.