Arles, une inégalité sociale face à l’inondation

Le Rhône atteint son maximum le 31 mai avec 5,65 m. au-dessus de l’étiage, soit 7,30 m489. La pente de la ligne d’eau est alors très forte, soit 0,2 ‰ pour ce tronçon du Rhône proche de l’embouchure490.

Se produisent ensuite différentes ruptures de digues qui abaissent le niveau des eaux en provoquant leur étalement. Dès 17 heures, une brèche de 300 à 400 m se produit entre la pointe de Trinquetaille et le pont de Fourques (qui commence à 80 m environ du Pont de Fourques et se trouve donc hors du cadre de la Figure 50 qui se concentre sur l’espace urbain). Puis la rupture de la chaussée de la Parade provoque l’inondation du bas Plan-du-Bourg. Au nord de Tarascon, la digue de Boulbon cède et l’eau envahit la ville, sa plaine, et au-delà la ville d’Arles. Le pont de bateaux qui relie Arles à Trinquetaille est emporté ce même jour. Le 1er juin, ce sont les chaussées de Boulbon, de Saint-Pierre-de-Mézoargues et la digue de la Montagnette, clé de voûte du système de défense, qui sont emportées. Cela provoque l’inondation du Trébon et du Bas Plan-du-Bourg pour la seconde fois. Il semble bien que les bas quartiers d’Arles aient été baignés par les eaux du Rhône, ainsi que le montre la carte des Ponts et Chaussées sur laquelle nous nous sommes appuyés pour la délimitation de l’inondation sur la Figure 56. Il est certain que les hauteurs d’eau atteintes n’ont pas été de l’ordre de celles connues par Avignon du fait de l’absence de brèches dans les remparts. L’inondation est due à la remontée des eaux souterraines, à des infiltrations, à une irruption des eaux rapidement arrêtée par la porte de la Cavalerie491, et probablement à une courte submersion des quais de la ville. La Gazette du Midi signale que le Rhône, à la cote 4,40 m, est encore à fleur de quais. Il est donc logique qu’à 5,65 m, il ait submergé les quais et inondé les bas quartiers. Ce débordement a duré seulement le temps du maximum puisque les brèches ont ensuite provoqué un abaissement de la hauteur du Rhône. Cette courte submersion des quais est confirmée par la zonation très étroite et parallèle aux quais de l’espace inondé visible sur la carte des Ponts et Chaussées et reproduite sur la Figure 50.

L’inondation disparaît très rapidement de la ville : le 2 juin les eaux se sont retirées mais la décrue est très lente. Le 9 juin, le Rhône est encore « à fleur des quais à Arles »492.

Les brèches ne commencent à être réparées que le 12 juin ; il était impossible d’entreprendre des travaux jusque là du fait de la présence d’un niveau d’eau encore élevé. Le 18 juin 1856, le Maire donne « ordre aux propriétaires et aux fermiers d’ouvrir des rigoles dans leurs champs pour faciliter l’écoulement des eaux de l’inondation et de procéder à la destruction des matières végétales qui gisent sur le sol »493.

En définitive, la submersion du centre urbain d’Arles est moins importante que celle d’Avignon. C’est environ la moitié de la ville qui est inondée et avec des hauteurs d’eau moindres. A la différence d’Avignon, des faubourgs sont épargnés par la crue. Les quartiers inondés sont essentiellement des quartiers populaires, comme la Roquette, le quartier des mariniers, et Trinquetaille, le faubourg ouvrier d’Arles. De fait, il existe, à Arles, en 1856, une inégalité socio-spatiale face à l’inondation. Car les quartiers des bords du fleuve n’ont pas toujours été populaires. Dans l’Antiquité, alors que le Rhône ne connaît pas de crue importante, les patriciens les occupaient et y construisaient de riches villas. Par la suite, les populations aisées ont abandonné ces quartiers au profit des quartiers hauts (et notamment la Hauture) probablement en partie à cause du changement de la dynamique hydroclimatique qui a soumis les quartiers du bord du fleuve au risque d’inondation. La nature sociale de ces quartiers s’est donc transformée, engendrant une forte inégalité sociale face au risque naturel. Il faut ajouter que ces quartiers populaires sont d’autant plus sensibles à l’inondation qu’ils sont parfois dans un état de relatif délabrement et offrent donc moins de résistance aux dommages de l’eau.

Notes
489.

Cote N.G.F. au P.K. 282 sur le Grand Rhône communiquée par le service d’urbanisme de la mairie d’Arles.

490.

Cette valeur a été calculée entre les points kilométriques 282 et 283 aux cotes N.G.F. respectives de 7,30 et 7,10 m.

491.

Provenant de la rupture des digues amont et notamment du Petit Plan du Bourg et confirmée par l’ingénieur de l’arrondissement d’Arles dans un courrier du 1er juin au Maire, J. 41, Archives municipales d’Arles.

492.

Selon la Gazette du Midi.

493.

D 200, Archives municipales d’Arles.