La variabilité de l’aléa rhodanien

La nature de l’aléa hydrologique confère au risque d’inondation une géométrie variable d’une ville à l’autre. L’aléa rhodanien varie d’amont en aval. L’influence océanique, prédominante à Vienne (Figure 38), soumet cette ville à des crues moins rapides et moins brutales que l’influence méditerranéenne qui caractérise l’hydrologie du Rhône au droit d’Avignon, Tarascon, Beaucaire et Arles. A l’aval de Valence, les crues du Rhône peuvent adopter un caractère tout à fait exceptionnel dès lors qu’elles se produisent en même temps que celles des affluents méditerranéens. Cet aléa varie aussi dans le temps de manière différente d’un tronçon du fleuve à l’autre. Les villes du Rhône sont en situation d’inégalité face à l’aléa rhodanien depuis la fin de la décennie 1970. Les crues méditerranéennes et cévenoles ont été plus nombreuses que les autres depuis la fin des années 1970. Les graphiques des débits moyens journaliers à Valence et Beaucaire (données collectées de 1920 à 2002, figure 76) montrent très nettement les faits suivants. Si Valence et Beaucaire connaissent un nombre similaire (13) de crues supérieures ou égales à la crue quinquennale569 entre 1920 et 1970, entre 1970 et 2002 Beaucaire connaît plus de crues (8) que Valence qui profite d'une période de calme hydrologique au cours des décennies 1970 et 1980. Ainsi, la fréquence des crues méditerranéennes a-t-elle accentué le risque d’inondation des villes méditerranéennes (Avignon, Tarascon, Beaucaire et Arles).

Les années 1990 ont été une période marquée par de nombreuses crues aussi bien à Valence que sur le Bas Rhône. Cette forte fréquence semble pouvoir être mise en relation avec le constat climatologique établi par J. Comby (1998) pour la vallée du Rhône. Depuis les années 1970, se produit un accroissement des épisodes pluvieux intenses, en particulier dans la partie sud du couloir rhodanien qui concentre le plus grand nombre d’épisodes pluviométriques paroxysmiques570. Selon ce constat, les précipitations n’augmentent pas en quantité mais se produisent sur des pas de temps plus courts571, les intensités sont supérieures ce qui peut constituer un facteur d’explication de l’augmentation du nombre des crues cévenoles et méditerranéennes.

Si l’on constate l’existence d’une tendance hydrologique à la récurrence de crues importantes dans la décennie 1990, il ne faut pas préjuger pour autant de l’évolution hydrologique du Rhône. Replaçons notre constat dans la longue histoire des crues rhodaniennes. Ainsi, la période 1861-1995 fait-elle suite à celle du Petit Age Glaciaire (« flood-dominated regime »572). Elle correspond, selon G. Arnaud-Fassetta (2003), à un régime plutôt marqué par les étiages que par l’abondance. Durant cette période, même si de grandes crues se sont produites (1886, 1897, 1910, 1935, 1951, 1955, 1993, 1994), leur fréquence a notablement diminué par rapport à la précédente : de l’ordre de 2 à 3 par décennie entre 1950 et 2000 contre plus de 10 durant certaines période du Petit Age Glaciaire. Sans compter que l’Etude Globale menée par l’Etablissement Public de Bassin Territoire Rhône, à partir d’études statistiques des séries de débits du Rhône, n’a pas mis en évidence d’évolution significative des volumes et des fréquences des crues fréquentes et moyennes573 du fleuve entre 1920 et 1998. Cela dit, l’Etude Globale a mis en évidence le faible nombre des crues entre 1957 et 1993574 qui a fait croire que la C.N.R. protégeait les plaines, car cette période de déficit hydrologique est contemporaine de l’aménagement du fleuve par la Compagnie. Si l’analyse de l’hydrologie permet de caractériser l’aléa rhodanien, elle ne permet pas de définir le risque fluvial puisqu’elle ne donne aucune information sur la vulnérabilité des sociétés urbaines. Reste à mettre en relation l’aléa décrit précédemment avec l’état de la protection contre les inondations et de la gestion du risque si l’on veut comprendre la nature du risque fluvial dans les villes du Rhône.

Figure 74. Le régime de l’aléa
Figure 74. Le régime de l’aléa

Notes
569.

Beaucaire : débit moyen journalier de la crue quinquennale : 6600 m3/s ; Valence : 4700 m3/s.

570.

Episodes concentrés essentiellement en automne.

571.

J. Comby replace cette évolution dans le contexte du durcissement récent des conditions climatiques de l’hémisphère nord.

572.

Arnaud-Fassetta G., 2003, p.157 qui emprunte ce concept à R.F. Warner, 1994, « Instability of channel and floodplains in southeast Australia : natural processes and human activity impacts », in Revue de Géographie de Lyon, 69, pp.17-24. Il faut noter que le Petit Age Glaciaire a été duré plusieurs siècles et a connu plusieurs phases hydrologiques distinctes.

573.

Période de retour égale ou inférieure à 10 ans.

574.

Nous analysons cette période en et dans la Figure 76.