Les conséquences de la crue générale de 1856 : la naissance d’une protection programmée des villes du Rhône

Dans le contexte d’essor urbain lié à la Révolution industrielle et de progrès technique, le risque devient progressivement une donnée à gérer et à contrôler. La compréhension rationnelle de l’hydrologie participe à l’élaboration d’une réponse humaine, scientifique et technique au risque d’inondation.

Dans la vallée du Rhône, la crue exceptionnelle de 1856 fonctionne comme un élément déclencheur, point de départ d’une série de nouveautés en matière de gestion des inondations. 572 km² sont submergés entre Lyon et Beaucaire et 1644 en Camargue, causant d’innombrables dégâts. L’extension spatiale de cette inondation est aujourd’hui considérée par convention comme l’extension du lit majeur du Rhône. C’est suite à cet événement que l’Etat napoléonien a pris une série de mesures concernant le risque d’inondation et en particulier les villes. On a vu que la loi du 28 mai 1858 est élaborée dans le but de protéger les villes des inondations. Elle crée les moyens techniques et financiers pour lutter contre les inondations urbaines. Elle permet l’élaboration de plans de défense dans les villes du Rhône, menés à bien dans la décennie 1860. Le 4 avril 1860, le projet définitif de défense de Tarascon est approuvé par décret impérial et les travaux sont achevés en 1863 sous la conduite des ingénieurs du Service Spécial du Rhône. Cette gestion du risque fondée sur les lois de l’hydraulique est bâtie à la fois sur l’idée d’une expansion des eaux à l’amont des villes (par exemple dans la plaine de Miribel-Jonage à l’amont de Lyon) et de l’évacuation rapide des eaux vers l’aval par le remodelage du linéaire fluvial grâce à un endiguement régulier. C’est donc une vision techniciste du risque qui se met en place au milieu du XIXème siècle avec la mise en œuvre d’aménagements de lutte contre l’aléa. Elle sera la vision dominante au cours des XIXème et XXème siècle en France.

L’inondation de 1856 révèle une évolution progressive résultant de la combinaison de trois ensembles de facteurs. Des facteurs techniques, avec l’amélioration des techniques de lutte contre les inondations appuyée sur la diffusion des savoirs de l’ingénieur dans des traités d’hydraulique et enseignés dans les écoles d’ingénieurs à partir de la Révolution Française (Polytechnique et Ponts et Chaussées)584, participent à cette évolution, relayée dans la vallée du Rhône par le Service Spécial du Rhône. Des facteurs socio-économiques entrent aussi en jeu : l’attention de l’Etat se porte sur les villes, qui s’affirment avec le temps comme des centres névralgiques dans un contexte d’accélération de l’urbanisation et de l‘industrialisation. L’interventionnisme de l’Administration de plus en plus marqué relève d’un troisième ensemble de facteurs : les facteurs politico-institutionnels. Il est particulièrement appuyé dans le cadre du Second Empire et du contrôle exercé par les ingénieurs des Ponts et Chaussées.

La catastrophe témoigne de l’évolution du rapport entre la société et le risque, et accélère la constitution d’une politique de gestion du risque. L’inondation exceptionnelle est un facteur d’élaboration des politiques de gestion du risque. L’hydrologie est une composante agissant directement sur cette construction politique.

Les conséquences de l’inondation de 1856 se font ressentir jusqu’en 1911 avec l’établissement des Plans des Zones Inondables en application de la loi de 1858. Pendant près de 100 ans (de 1856 aux années 1960), la gestion du risque d’inondation dans la vallée du Rhône reste sous le coup de la réglementation née de la crue de 1856. Entre 1911 et 1960, les crues du Rhône sont relativement modérées : elles ont toutes une période de retour inférieure à 50 ans aussi bien à Valence qu’à Beaucaire et aucune nouvelle mesure d’envergure ne sera prise en matière de gestion et de réglementation du risque rhodanien.

Notes
584.

Sur ce point voir Laganier R. et Scarwell H.J. (2004).