Tout au long du siècle, le clergé connaît un important recrutement allant parfois même jusqu’à devenir excédentaire. Le diocèse, principalement rural, connaît une forte croissance démographique jusque dans les années 1860-1870, date à laquelle cet élan se ralentit. L’un des moyens de survie pour ces populations est la cléricature pour ceux qui refusent de partir à l’étranger (Argentine, États-Unis…). À cela s’ajoute également le prestige [de la cléricature] et la sécurité matérielle de la situation. Les enfants de famille nombreuses peuvent songer soit à entrer dans les congrégations qui se développent au cours du siècle soit à partir à l’étranger avec les missionnaires.
Le grand séminaire d’Annecy212 rouvre ses portes en 1823213 en accueillant quatre-vingt-trois élèves214. Devant un nombre toujours plus important de candidats au sacerdoce, il faut, à partir de 1826215, opérer une sélection plus sévère. Ceux qui ne sont pas reçus sont alors envoyés dans d’autres diocèses, dans les congrégations ou plus tard chez les missionnaires216. Mgr Rendu créant les chaires de droit canon et d’éloquence sacrée217 fait entrer les professeurs à plein temps au séminaire218.
Entre 1823 et 1901 ce sont 1 555 prêtres qui sont ordonnés par cinq évêques. Soit en moyenne vingt-quatre sous l’épiscopat de Mgr de Thiollaz, dix-huit sous celui de Mgr Rey et seize avec Mgr Rendu219, Mgr Magnin ordonne quant à lui, en moyenne, vingt prêtres par an220, enfin Mgr Isoard, dernier évêque du XIXe siècle en ordonne vingt-et-un annuellement. À l’évidence la période allant de l’Annexion au début de notre étude constitue « la période la plus riche de son histoire religieuse sur le plan des vocations diocésaines et missionnaires »221.
Un minimum séculaire est atteint dans les années 1856-1860 pour les quatre diocèses ; celui d’Annecy restant au-dessus de la moyenne222 avec cinquante-quatre ordinations223. Ce minimum ne fait que répondre à la constance de la baisse de la courbe des ordinations depuis les années 1840, qui passe de quatre-vingt-onze à cinquante-quatre224 entre 1841 et 1860. Sans doute la politique anticléricale de Charles-Albert et l’arrivée sur le trône de Victor-Emmanuel II n’est pas sans relation avec ce changement. Il est également possible qu’il y ait saturation du nombre des postes disponibles225. Le même phénomène – de diminution – est visible dans la « France de la Monarchie de Juillet qui enregistre une chute encore plus marquée »226. Dans le diocèse, la reprise des ordinations se fait à partir des années 1860-1865, soit un peu plus tard qu’en France ; la Savoie bénéficiant « en différé du climat favorable du Second Empire »227, auquel s’ajoutent les progrès de l’instruction. La prêtrise assure toujours une certaine aisance matérielle, un respect de la part des populations, à quoi s’ajoute pour beaucoup d’enfants de paysans la possibilité d’une ascension sociale. Soixante-huit prêtres sont ordonnés entre 1861 et 1865, et c’est surtout après 1865 que la courbe remonte très nettement, puisque entre 1866 et 1881, le nombre d’ordinations quinquennales passe de soixante et onze à cent vingt-cinq. Les années 1876-1890 enregistrent trois cent cinquante-deux ordinations228. Le maximum séculaire étant enregistré entre 1881 et 1885, avec une moyenne de vingt-cinq ordinations par an229. À partir de 1886, la tendance s’inverse et le nombre de prêtres ordonnés passe de cent six à quatre vingt-cinq à la veille de la Séparation. Doit-on voir dans ce changement le résultat d’une sélection accrue des candidats230 et leur orientation vers les congrégations231, ou un effet du ralentissement de l’accroissement de la population ? Le nombre d’entrées au séminaire semble se maintenir jusqu’à la veille de la Séparation. Entre 1883 et 1906, ce sont cinq cent seize élèves qui y entrent avec une moyenne annuelle de vingt-deux entrées. Tous ne vont pas jusqu’au sacerdoce puisque les abandons définitifs touchent environ 16,5 % des élèves232, soit une moyenne de quatre par an. Cet abandon semble plus fréquent à partir des années 1888-1889233. À cela s’ajoute l’envoi dans d’autres diocèses (Nevers, Belley, Montpellier)234 ou chez les réguliers. Le service militaire influence quelques candidats au sacerdoce, mais ce phénomène est surtout visible après 1905. Malgré tout, le taux d’encadrement de la population est de 19,2 prêtres séculiers pour 10 000 habitants en 1900-1904, alors que pour le diocèse de Chambéry, il est de 29,4.
Les familles paysannes fournissent le plus de vocations. Sur la période 1866-1905, les cantons d’Évian-les-Bains235, de Thonon-les-Bains, de Saint-Julien-en-Genevois, de Faverges et de Thônes236 sont ceux où les vocations sont les plus nombreuses. Les cantons qui donnent le moins de prêtres entre 1886 et 1905 sont ceux de La Roche-sur-Foron, Bonneville, Samoëns, Chamonix, Ugine et Seyssel, auquel s’ajoute Saint-Gervais-les-Bains qui ne donne qu’un prêtre entre 1866 et 1905237. Sans doute ces cantons sont-ils moins « traditionalistes » que ceux des Préalpes cités précédemment. Cinq font partie de la « diagonale » rouge du Faucigny et sans doute les changements de comportements politiques au cours des années 1880 ne sont pas sans rapport avec le peu de prêtres originaires de ces cantons. Il est vrai que « la conjoncture politique apparaît comme un effet prépondérant du détachement »238. C’est dans ces cantons que l’on remarque une baisse de la pratique pascale dans les années 1880.
En comparant les ordinations de 1866-1885 et de 1886-1905, nous observons que quatorze cantons voient une diminution du nombre d’ordinations et autant connaissent une hausse. Une baisse apparaît dans les cantons d’Évian-les-Bains, de Thonon-les-Bains ou encore de Saint-Julien-en-Genevois, alors que dans celui de Thônes, le nombre d’ordinations se maintient sur toute la période239. Sans doute faut-il voir ici l’influence des missionnaires qui recrutent dans ces zones du diocèse, notamment par le biais des « frères recruteurs »240. Cette explication s’applique aux cantons d’Abondance ou du Biot. Ils font partie des meilleurs cantons du diocèse au niveau de la pratique pascale, il peut alors paraître surprenant de constater qu’ils ne donnent que peu de prêtres séculiers : les vocations sont plutôt dirigées vers les missionnaires.
À l’exception de Saint-Julien-en-Genevois, les cantons qui donnent le plus de vocations sont préalpins ou vivent d’une économie préalpine. Tel est le cas dans le canton de Faverges, où Montmin, la seule paroisse à être en altitude, donne le plus de prêtres ; son attitude religieuse et son économie se rapprochent de celles de la vallée de Thônes toute proche. Concernant Saint-Julien-en-Genevois, seules deux paroisses donnent beaucoup d’ecclésiastiques. Le chanoine Dechavassine souligne par exemple que le dernier prêtre originaire de Saint-Julien-en-Genevois a été ordonné en 1889241. Cruseilles, maintenant sa pratique de plus de 95 % d’assujettis entre 1881 et 1901, multiplie par deux le nombre de ses vocations entre 1866 et 1905, passant de neuf à dix-sept ordinations. Les cantons de Saint-Jeoire-en-Faucigny et Cluses connaissent une forte diminution (-10), tout comme Boëge, La Roche-sur-Foron ou encore Samoëns, alors que Bonneville maintient – plus ou moins – ses ordinations (de quatorze elles passent à dix). Sans doute l’implantation de la gauche n’est pas étrangère à ce phénomène. À Boëge, une opposition est faite entre les paroisses d’altitude et celles de la plaine, les premières votent à droite et donnent des vocations, alors que l’inverse s’applique aux paroisses de la « plaine ». Les cantons de Thonon-les-Bains et de Sallanches donnent le même nombre de vocations (trente-cinq), sur la période 1866-1905. Sallanches voit une très nette chute des ordinations ; elles passent de vingt-huit (1866-1885) à huit (1886-1905), alors que Thonon-les-Bains connaît le phénomène inverse, passant de douze à vingt-trois, là encore les paroisses les plus hautes du canton s’opposent à celles de la « plaine » en donnant la majorité des vocations.
Bénéficiant de la proximité de l’école normale de Rumilly, les cantons de l’avant-pays (Seyssel, Alby-sur-Chéran) sont des pépinières d’instituteurs242 plus que de prêtres. La prêtrise, comme l’enseignement, est un facteur de promotion sociale pour les enfants de paysans. Le choix de l’un ou de l’autre n’est qu’une question de conviction ; ceux qui se trouvent dans des cantons où la ferveur religieuse est importante se portent plus vers le sacerdoce, alors qu’à l’inverse, ceux qui se trouvent dans des cantons plus à gauche, ou bien là où un certain détachement est visible, se tournent vers l’enseignement.
La carte des vocations se rapproche fortement de celle de la pratique243. Là où les vocations sont les plus nombreuses, il s’agit des cantons où la pratique pascale est la plus importante. Il semble également y avoir corrélation entre vocations et présence des petits séminaires. Ces derniers se trouvent à Évian-les-Bains244 et à Mélan (Taninges), où les Missionnaires de Saint-François-de-Sales assurent l’enseignement jusqu’au début du XXe siècle. Ils sont alors remplacés par des prêtres du diocèse, avant que les établissements ne ferment définitivement leurs portes. Les élèves s’y trouvant au moment de leur fermeture sont envoyés à La Roche-sur-Foron dans le collège tenu par des prêtres. Un autre établissement tenu par des prêtres est installé à Thônes, mais il est assez petit245 et ne peut accueillir que peu d’élèves. C’est sans doute ce qui explique qu’après 1905 de nombreux candidats au sacerdoce entrant au grand séminaire viennent du collège de La Roche-sur-Foron. Pour les entrées au grand séminaire d’Annecy entre 1900 et 1909, les origines des élèves se répartissent comme suit : soixante viennent de Mélan, quarante-cinq d’Évian-les-Bains, vingt-trois de Thônes et soixante-trois de La Roche-sur-Foron246, les onze autres provenant de divers collèges hors du diocèse.
Il est l’un des premiers grand séminaire fondé juste après le concile de Trente. Mgr de Thiollaz doit racheter les bâtiments du grand séminaire. Des aménagements successifs sont réalisés soit par l’acquisition de maisons voisines sous l’épiscopat de Mgr Rey, de la création de l’aile du couchant et de la création du troisième étage par Mgr Rendu ou encore par l’achat d’un verger par Mgr Magnin.
C’est de cette époque que date le règlement du grand séminaire qui sera encore en vigueur en 1914.
ch.-m. rebord, Grand séminaire du diocèse…, op. cit., p. 132.
Ibid. Entre 1826 et 1830, ce sont 118 prêtres qui sont ordonnés pour le diocèse d’Annecy, alors que pour Chambéry, Maurienne et Tarentaise, les ordinations sont au nombre de 54, 22 et 32.
Une autre solution peut être trouvée dans le cas des vicaires-régents qui s’occupent de l’enseignement dans les paroisses. Mais cette fonction n’est guère enviable, puisque ces jeunes prêtres ne sont guère appréciés de leurs confrères chargés de paroisse et surtout ils ne sont pas préparés à leur fonction, de plus ils sont mal payés.
Le premier professeur sera l’abbé Magnin, successeur de Mgr Rendu.
ch.- m. rebord, Grand séminaire…, op. cit., p. 161.
h. baud, Histoire du diocèse…, op. cit., p. 212.
I bid., p. 229.
dechavassine (Chanoine), « Les vocations sacerdotales dans le diocèse d’Annecy depuis un siècle, 1860-1960 », in La Page de Saint-André, n° 3, juillet-septembre 1963.
Elle est de 29 ordinations.
Les ordinations pour Chambéry, Maurienne et Tarentaise sont de : 27, 20 et 15.
Pour les quatre diocèses, le nombre d’ordinations passe de 172 à 116 entre 1841 et 1860.
c. sorrel, Les catholiques savoyards…, op. cit., p. 37.
Ibid.
Ibid.
121 entre 1876-1880 ; 125 entre 1881-1885 et 106 entre 1886-1890. C’est en 1884 qu’a lieu l’ordination la plus importante avec 33 prêtres séculiers.
Pour les quatre diocèses de Savoie, ces cinq années sont celles d’un maximum séculaire. En 1884, Mgr Isoard ordonne trente-trois prêtres, il faut attendre 1943 pour revoir un nombre aussi élevé d’ordinations en une année. Soulignons que ce chiffre important ne sera pas sans relation avec la guerre.
En 1897-1898, un élève est refusé à l’ordination par Mgr Isoard pour « médiocrité ». ADA, registre des entrées au grand séminaire. 1883-1899.
Sur la période 1883-1899, trois élèves partent chez les Pères Blancs ; quatre, chez les Oblats ; cinq, aux Missions étrangères. Auxquels s’ajoutent ceux qui entrent chez les jésuites (deux), au séminaire colonial (trois) et chez les cisterciens (deux).
Certains candidats sont également renvoyés pour santé fragile, ce qui est le cas pour quinze d’entre eux (2 % des entrées), dont un qui a une vocation tardive et qui perd la raison au cours des vacances. Il y a également les décès qui touchent dix-huit séminaristes sur la période, soit 3 % des entrées.
Voir le tableau des entrées et sorties au grand séminaire en annexe n° 43.
Dans le registre des entrées au grand séminaire, il arrive parfois que l’élève renvoyé d’Annecy soit accepté à Bourg, à Nevers, ou alors envoyé à Montpellier.
Les vocations proviennent surtout des paroisses du plateau de Gavot.
Des communes donnent beaucoup de prêtres, c’est le cas par exemple de Manigod, dans la vallée de Thônes ou de Bellevaux dans celui de Thonon-les-Bains.
j. raymond, La Haute-Savoie…, op. cit., t. 2, p. 912. L’auteur souligne également que peu d’instituteurs sont originaires de ce canton, et le peu qui le sont, viennent de familles non savoyardes, il s’agit souvent d’enfants d’instituteurs ou de gendarmes. Entre 1906 et 1925, le canton de Saint-Gervais-les-Bains ne donne aucun prêtre.
c. sorrel, dir., Dictionnaire du monde religieux…, La Savoie, op. cit., p. 22.
Le nombre des ordinations dans le canton de Thônes est de 22 entre 1866 et 1885, 23 entre 1886-1905.
a. lanfrey, Sécularisation…, op. cit., p. 24.
dechavassine (Chanoine) « Répertoire paroissial des vocations sacerdotales », in Nouveau supplément au dictionnaire…, op. cit., p. 1072.
j. raymond, La Haute-Savoie…, op. cit., t. 2, p. 975.
Voir la carte du recrutement par canton en 1906 en annexes no 56 et celle de la pratique pascale en annexe n° 58.
Voir annexe n° 61. Pour leur recrutement voir les cartes en annexes nos 48 et 49.
Le collège de Thônes est parfois appelé « la Petite Sorbonne ».
ADA. Registre d’entrées des élèves au grand séminaire, cahier n° 4. Avant 1900, le cahier ne précise pas les collèges d’origine des élèves. Il est intéressant de souligner qu’à la fin du XIXe siècle, le canton de La Roche-sur-Foron donne peu de prêtres, il ne semble pas bénéficier de la présence du collège. Voir les cartes en annexes nos 49 à 51.