Le XIXe siècle constitue une période d’essor remarquable pour les congrégations, surtout féminines ; le diocèse d’Annecy, qui peut être considéré comme une terre d’élections pour le recrutement congréganiste, suit ce mouvement. Denis Pelletier rappelle que près de quatre cents congrégations sont fondées entre 1796 et 1880, avec un rythme moyen de six nouvelles congrégations par an entre 1820 et 1860248.
Des congrégations contraintes de se disperser lors des troubles révolutionnaires sont réintroduites en Savoie. Tel est le cas des Chartreux qui reviennent au Reposoir, des Visitandines qui retrouvent Annecy et Thonon-les-Bains ou encore des Capucins249 qui s’installent à Annecy, Thonon-les-Bains ou La Roche-sur-Foron.
En 1833, les Jésuites250 s’installent à Mélan251. En plus de leurs charges d’enseignement, ils s’attachent parfois à la pastorale missionnaire. Leur arrivée, comme leur départ, influent sur le recrutement de la compagnie. Ils s’installent à Chambéry en 1823. À partir de cette date, le recrutement est plus important dans ce diocèse que dans les autres252. Lorsqu’ils s’installent à Mélan, en 1833, la décennie 1826-1845 voit trente sujets haut-savoyards entrés dans la Compagnie de Jésus et autant pour Chambéry. Après leur expulsion en 1848, le nombre d’entrées est quasi divisé par deux, puisque quatorze entrées sont enregistrées entre 1846 et 1865 et pour la même période Chambéry enregistre neuf entrées253.
Les missions intérieures254 dans les paroisses commencent leur développement sous l’épiscopat de Mgr de Thiollaz, qui souhaite les organiser et surtout les contrôler. Joseph-Marie Favre255 et Pierre Mermier256 jouent un rôle dans ce qui marque un des « temps forts de la spiritualité religieuse »257, en souhaitant constituer une congrégation spécifique aux missions intérieures258. Ces dernières constituent une rupture majeure dans la vie religieuse ordinaire de la paroisse. Pendant deux à trois semaines, la paroisse vit au rythme de la mission, invitant les fidèles à la confession générale, à la communion. Mermier réussit à créer les Missionnaires de Saint-François-de-Sales en 1838 mais pour cela il doit attendre le changement d’évêque259.
Pour les congrégations masculines, la grande nouveauté apparaît par l’installation de frères enseignants. Ce phénomène n’est pas propre au diocèse d’Annecy, puisque Denis Pelletier souligne le même phénomène, écrivant que « en dehors des ordres anciens, la plupart des congrégations masculines se consacrent à l’enseignement »260. Entre 1830 et 1859, les Frères des Écoles Chrétiennes ouvrent vingt-trois écoles et pensionnats dans le diocèse.
En Savoie, pour les femmes, ce sont des congrégations de vie active qui se développent au cours du XIXe siècle, telles les sœurs de Saint-Joseph d’Annecy qui s’installent en 1833 à Annecy261 ou encore les Sœurs de la Charité, fondées dans le Doubs par Jeanne-Antide Thouret et qui s’installent à La Roche-sur-Foron. En 1838, en relation étroite avec le père Mermier, Claudine Échernier, fonde à Chavanod la congrégation de Sœurs de la Croix262 [de Chavanod]. Elle est approuvée en 1841 par Mgr Rey263. Entre 1850 et 1860, elles fondent pas moins de vingt écoles264. Il ne faut pas oublier les ordres anciens. Au premier plan les Visitandines, mais également les Clarisses qui s’installent à Évian-les-Bains en 1867 ou les sœurs franciscaines du Sacré-Coeur de Villeurbanne, qui s’installent à Tessy265 en 1874.
Les congrégations se tournent soit vers l’enseignement soit vers l’assistance266 ou les deux à la fois, répondant ainsi à une demande sociale. Les congrégations féminines sont moins suspectes aux yeux des gouvernements – qui reconnaissent leur utilité –, que ne peuvent l’être leurs homologues masculins. Aux yeux de la société française, ces sœurs qu’elles soient enseignantes ou soignantes « fournissent un personnel peu coûteux et moralement irréprochable »267.
L’âge d’or du recrutement des congrégations féminines se situe dans les années 1870-1880. C’est également dans cette seconde moitié du XIXe siècle que beaucoup d’hommes et de femmes quittent leur pays natal pour des mondes éloignés et mal connus. Si l’esprit missionnaire n’est pas nouveau, ce qui apparaît novateur c’est leur nombre et leur rôle. Plus d’un cinquième des prêtres ordonnés dans le diocèse entre 1861 à 1904 partent comme missionnaires268.
Ces congrégations, qu’elles soient masculines ou féminines, envoient des membres à l’étranger, de l’Algérie aux Indes en passant par les Antilles ou la Louisiane. Entre 1820 et 1942, plus de quatre cents prêtres essaimeront dans toutes les parties du monde269. Il ne faut pas oublier que certaines zones du diocèse ont une tradition d’émigration importante, si jusqu’au XVIIIe siècle, seule l’Europe est la destination des migrants, dès la fin du siècle des Lumières, des Savoyards partent vers l’Amérique du Nord270 ou du Sud.
La société des missions étrangères de Paris compte parmi ses membres des Savoyards. Le diocèse de Chambéry est celui qui donne le plus de prêtres (cinquante et un) entre 1821 et 1905, suivi par Annecy qui en donne quarante-sept271. Annecy connaît une période particulièrement féconde entre 1886 et 1905, où il donne trente missionnaires272, alors qu’au même moment, Chambéry en donne vingt-deux, Moûtiers six et Saint-Jean-de-Maurienne trois273. Il faut cependant souligner que la Savoie donne plus de missionnaires que la Haute-Savoie, puisque si nous additionnons les chiffres des trois diocèses savoyards274, nous obtenons soixante-dix-huit missionnaires pour la Savoie et quarante-sept pour la Haute-Savoie. En terme départemental, c’est donc la Savoie qui donne plus de missionnaires que la Haute-Savoie.
Les missionnaires savoyards se voient confier, entre autres, le provicariat apostolique de Vishakhapatnam, qui devient un évêché en 1886 et le diocèse de Nagpur qui en est détaché l’année suivante. Ce sont les Missionnaires de Saint-François-de-Sales275 qui oeuvrent dans cette région de l’Inde dès 1849. Ils font appel aux sœurs de Saint-Joseph d’Annecy, dont Mgr Neyret avait été l’aumônier en Savoie, pour s’occuper des femmes, de l’assistance et de l’instruction des jeunes filles. Plus de trente ans après ce sont les Sœurs de la Croix de Chavanod qui s’établissent à Nagpur, Trichinopoly et Tuticorin276 où elles installent écoles, dispensaires, orphelinats, catéchuménats. C’est entre 1881 et 1905 que les départs de sœurs sont les plus importants. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que des recrutements « d’indigènes » aient lieu dans ces zones.
Après avoir étudié le recrutement sacerdotal et congréganiste, intéressons-nous à la pratique religieuse des diocésains d’Annecy qui peut influencer la carte du recrutement277. À la mort de Mgr Isoard, le taux de pascalisants était de plus de 90 %, celui d’encadrement des populations était bon (plus de dix-neuf prêtres pour dix mille habitants), mais il est intéressant de montrer que des dénivellations cantonales sont perceptibles dans la pratique. Le diocèse d’Annecy est une terre de chrétienté qui commence cependant à devenir fragile. 90,58 % de la population est pascalisante avec une différence nette entre hommes et femmes (84,94 % et 96,63 %), les ordinations sont stables.
Concernant les congrégations enseignantes, nous les étudierons dans une seconde sous-partie. Cf. infra, p. 86 et suiv.
d. pelletier, Les catholiques…, op. cit., p. 28.
Les Capucins sont réintroduits en Savoie (Chambéry) par Alphonse Gruffat, en 1818. Il naît à Rumilly en 1769, ordonné prêtre en Italie en 1793. Il est selon Rebord : « prédicateur, homme d’action, restaurateur de la province en Savoie la province n’est restaurée en qu’en 1841, Général de l’Ordre il meurt en 1843 », in ch.- m. rebord, Dictionnaire du clergé…, op. cit., t. 1,p. 412.
La compagnie de Jésus est rétablie par le Pape Pie VII en 1814 ; elle avait été dissoute par un bref pontifical en 1773. En Savoie, la dissolution de la Compagnie de Jésus a lieu en 1729.
C’est Marin Ducrey (1766-1834) qui installe d’abord une école secondaire (1805) puis un petit séminaire (1809) dans l’ancienne chartreuse de Mélan. En 1833, il fait appel à une congrégation pour assurer l’enseignement ; « il obtient finalement, en dépit des réticences de Mgr Rey, l’accord de la compagnie de Jésus (août 1833) ». Soulignons que Ducrey est en relation avec Favre, Mermier et qu’il « est un bon témoin des préoccupations d’une partie du clergé haut-savoyard du premier tiers du XIXe , qui perçoit la continuité entre mission intérieure … et la mission lointaine et contribue à forger la dimension missionnaire du catholicisme savoyard contemporain », in c. sorrel, dir., Dictionnaire du monde religieux…, La Savoie, op. cit., p. 172-173 et ch.- m. rebord, Dictionnaire du clergé…, op. cit., t. 1, p. 283. Voir également sur l’histoire de Mélan : f. marullaz « Histoire de Mélan. Rd Marin Ducrey et le collège de Mélan (1804-1834) », in Mémoires et Documents de l’Académie Salésienne, t. 42, 1922, p. 1-191.
C. Sorrel relève onze entrées de sujets, entre 1815 et 1825, pour Chambéry, alors qu’Annecy n’en a que quatre.
c. sorrel, Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, t. 4, à paraître.
Il était nécessaire d’effacer les traces laissées par la Révolution.
Joseph-Marie Favre naît à Samoëns en 1791, ordonné prêtre en 1817, deux ans plus tard, il est professeur de rhétorique à Saint Louis du Mont, avant d’être nommé directeur des Missions de Chambéry, en août 1822. En 1833, il est maître des novices à l’abbaye de Tamié, pour une société de missionnaires diocésains. Excorporé du diocèse de Chambéry, il se retire à Conflans en 1834 et meurt quatre ans plus tard. ch.- m. rebord, Dictionnaire du clergé…,op. cit., t. 1, p. 331-332
c. sorrel, dir., Dictionnaire du monde religieux…, La Savoie, op. cit., p.15.
d. pelletier, Les catholiques…, op. cit., p. 30.
Cette volonté n’a rien d’exceptionnel; nous savons qu’à cette époque, les « missionnaires diocésains se multiplient » (D. Pelletier, Les catholiques…, op. cit., p.30) et qu’en 1815 l’abbé Rauzan avait fondé la société des missions de France.
Les Missionnaires de Saint-François-de-Sales sont crées en 1838, par les lettres patentes du roi de Sardaigne du 29 septembre 1838. Ils sont la seule congrégation masculine à être créée en Savoie pour la période contemporaine. Mgr de Thiollaz n’était pas favorable à cette initiative.
d. pelletier, Les catholiques …, op. cit., p. 28.
En 1835, l’évêque, Mgr Rey, installent les sœurs de la Croix dans les bâtiments du premier monastère de la Visitation.
Voir X., La congrégation des sœurs de la Croix, dites sœurs de Chavanod au diocèse d’Annecy, Lyon, Éd. Vitte, 1929, 30 p.
Mgr Rey naît à Mégevette en 1770, après des études à Saint-Jeoire-en-Faucigny et à Thonon-les-Bains, il est ordonné prêtre à Fribourg, où il s’est réfugié, en 1793. En 1803, il est vicaire d’une paroisse de Chambéry avant de devenir le secrétaire de Mgr Dessole, vicaire général en 1817. Évêque de Pignerol en 1824, il est transféré sur le siège épiscopal d’Annecy en 1832. Il se consacre alors à des tâches pastorales : il encourage les implantations de congrégations, mais il favorise également l’expression de la piété populaire. Proposé pour le siège archiépiscopal de Chambéry, il refuse, proposant Mgr Billiet. Il meurt en 1842. Voir c. sorrel, dir., Dictionnaire du monde religieux…, La Savoie, op. cit., p. 359-361 et ch.- m. rebord, Dictionnaire du clergé…, op. cit., t. 2, p. 674.
X., La congrégation des sœurs de la Croix, dites sœurs de Chavanod au diocèse d’Annecy, Lyon, Éd. Vitte, 1929,p. 16.
h. baud, Histoire du diocèse…, op. cit., p. 229.
Nous les évoquerons plus longuement dans une seconde sous-partie.
d. pelletier, Les catholiques…, op. cit., p. 30.
d. turpault, « Les missions lointaines » in r. barcelini, f. paoli, d. turpault et alii, Histoire du diocèse 1860-2000, op. cit., p. 13.
h. baud , Histoire du diocèse…, op. cit., p. 218.
Citons par exemple Nicolas Girod, premier maire élu de la Nouvelle-Orléans. De nombreux chablaisiens partent en Argentine pour y cultiver la terre.
Pour la même période, les diocèses de Tarentaise et de Maurienne en donnent respectivement vingt-deux et cinq.
Cette période correspond à l’épiscopat de Mgr Isoard, faut-il voir dans cette augmentation du nombre de missionnaires, les fruits d’une sélection plus accrue au grand séminaire. Nous avons rappelé que les élèves jugés insuffisants étaient envoyés chez les missionnaires ou dans d’autres diocèses. Les registres d’entrées indiquent parfois les élèves faisant le choix dès leur arrivée d’entrer chez les missionnaires.
Pour la période 1821-1845 et 1886-1905, dix prêtres d’Annecy partent, contre un pour Chambéry et deux pour la Tarentaise. c. sorrel, Matériaux pour l’histoire du peuple français, t. 4, La Savoie, non paginé, à paraître.
Ces chiffres correspondent à des ordres de grandeur, puisque les statistiques sont faites au niveau diocésain, et non départemental.
C. Sorrel donne le chiffre de quinze Missionnaires de Saint-François-de-Sales entre 1845 et 1850, et de quatre sœurs (de Saint-Joseph et de la Croix).
X., La congrégation des sœurs de la Croix, dites sœurs de Chavanod au diocèse d’Annecy, op. cit., p. 27. D’ailleurs évoquant les « sœurs de l’Inde », l’auteur écrit : « … vous êtes devant Dieu, la plus belle gloire et le plus bel ornement.Vos œuvres multiples ne peuvent se décrire en quelques lignes ».
Les cantons ayant une bonne pratique religieuse, constituent souvent des lieux privilégiés pour le recrutement.