a. Rappel de la situation des congrégations

Si le XIXe siècle est celui de l’essor des congrégations, tant par leurs vocations que par leurs fondations, il marque également le début d’une « persécution » de la part des gouvernements successifs aboutissant à la sécularisation forcée ou à la dispersion des congréganistes. Si le concordat de 1801 avait ouvert une paix religieuse313, la IIIe République ouvre une « guerre religieuse ». Les congrégations tiennent deux secteurs décisifs de la vie sociale française : l’école et l’assistance. Pour les Républicains, en place depuis le milieu des années 1870, l’école est au cœur de leur programme. Pour eux « la diffusion de l’instruction est indispensable pour former le citoyen et permettre à terme l’amélioration de la société »314. Si les mesures peuvent être facilement prises contre les congrégations masculines, la situation est bien différente pour les religieuses. En effet, l’interdiction des congrégations féminines est plus délicate, notamment à cause de la mixité des fonctions des maisons (enseignement, assistance), mais surtout à cause du manque d’institutrices laïques et d’infirmières.

Une enquête administrative menée en 1861 constate que l’enseignement tient la première place pour les hommes (72 %), comme pour les femmes (65 %)315, alors que l’activité hospitalière est au second rang pour les femmes (25 %) et marginale pour les hommes avec 5 %. Ces derniers semblent plus s’attacher à des « tâches religieuses » (23 %), tandis que chez les femmes, elles occupent la dernière place avec 10 %. À l’évidence, c’est bien l’enseignement qui occupe la plus grande part des activités des congréganistes et c’est bien sur ce terrain que vont se jouer les luttes. En 1877, au niveau national, les sœurs fournissent 63 % des institutrices (18 % chez les frères) et scolarisent 60 % des élèves (28 % pour les frères). Elles jouent un rôle important dans la « constitution du réseau des écoles primaires communales »316, rôle encouragé par l’État dès le milieu des années 1830.

Dans le dernier quart du XIXe siècle, des mesures sont prises317 contre les congrégations. Deux décrets de mars 1880318 contraignent, dans un délai de trois mois, les Jésuites à quitter leurs établissements, alors que le second oblige les congrégations non autorisées à faire une demande d’autorisation. Ces mesures entraînent une « levée de boucliers dans le monde conservateur »319 et le gouvernement est obligé de reconsidérer ses ambitions320. Néanmoins, les mesures sont appliquées aux Jésuites sans modus vivendi. Le gouvernement ayant subi un quasi demi-échec en 1880, tente d’atteindre les congrégations par l’argent321 en imposant des exigences fiscales322.

La laïcisation de l’enseignement n’est pas uniquement le fruit des lois Ferry. La loi Goblet de 1886 prévoit, dans un délai de cinq ans, le remplacement des enseignants congréganistes par des instituteurs laïques ; pour les institutrices, les changements se font en fonction des postes vacants.323

L’affaire Dreyfus a une double conséquence pour l’Église. Rendant difficile le Ralliement, elle redéfinit clairement l’opposition politique Droite et Gauche ; l’anticléricalisme devenant ainsi le fédérateur de la gauche324. À partir de ce moment, les Républicains font ce que la génération précédente n’avait pas osé faire : c’est l’entrée dans la « guerre des Deux France ». En 1899, Waldeck-Rousseau arrive à la présidence du conseil ; deux ans plus tard, le 1er juillet 1901, une loi sur les associations est votée. Si elle permet aux associations de se constituer par une simple demande en préfecture, elle soumet les congrégations « au régime de l’autorisation législative (article 13) »325. Elles doivent faire une demande d’autorisation dans les trois mois qui suivent la promulgation de la loi, faute de quoi elles « seront réputées dissoutes de plein droit »326. L’article 14 de la loi du 1er juillet 1901 rappelle que « nul n’est admis à diriger […] un établissement d’enseignement, de quelque ordre qu’il soit, ni à y donner l’enseignement, s’il appartient à une congrégation religieuse non autorisée »327. Les établissements tenus par des congrégations autorisées, mais n’ayant pas fait de demande, seront fermés l’année suivante. Entre 1902 et 1909, c’est l’apparition quasi annuelle d’une nouvelle loi anticléricale ou d’un nouveau décret d’application d’une loi antérieure328. C’est surtout avec l’arrivée « du petit père Combes » que les choses se durcissent, notamment avec la loi du 7 juillet 1904 qui signe la mise à mort de l’enseignement congréganiste329.

Quelle est la situation des congrégations en Haute-Savoie où de nombreuses écoles sont tenues par des congréganistes (hommes et femmes), tout comme l’assistance ? Dans certaines zones du diocèse, les sœurs compensent l’absence de médecin ou de pharmacien en exerçant les fonctions d’infirmières. En 1900, la Haute-Savoie compte 8,4 religieux pour 10 000 habitants et 33,5 religieuses pour 10 000 habitants330 ; pour la Savoie, ce taux est de 9 religieux pour 10 000 habitants, et 37,8 religieuses pour 10 000 habitants. Lors de l’enquête administrative de 1900, il apparaît que les congrégations féminines (885 membres pour 137 établissements) représentent 79,95 % des congrégations dans le diocèse, alors que celles des hommes (222 membres pour 36 établissements)331 représentent 20,05 %.

Présentes dans cent neuf paroisses – soit plus du tiers – huit congrégations féminines332 se partagent l’instruction des enfants. Les Sœurs de Saint-Joseph333 d’Annecy, installées dans le diocèse en 1832, tiennent la première place dans l’enseignement des jeunes filles, en s’occupant des écoles primaires dans près de trente communes334. Les sœurs de la Charité, installées à La Roche-sur-Foron en 1810, enseignent dans trente communes335. Celles de la Croix, fondées à Chavanod, sont présentes dans les écoles primaires de quarante-quatre paroisses336. D’autres congrégations comme les sœurs de la Présentation337 tiennent l’école dans trois communes, ainsi qu’un orphelinat à Saint-Julien-en-Genevois338 alors que les sœurs Franciscaines de Tessy dispensent l’instruction à des jeunes filles sourdes et muettes. Les Filles de la Charité instruisent les enfants dans trois écoles339. À Chens, les sœurs de l’ordre théodosien s’occupent d’un orphelinat.

Pour les congrégations masculines, l’enseignement revient principalement aux Frères des Écoles Chrétiennes qui sont implantés dans seize paroisses340, auxquels s’ajoutent les Rédemptoristes à Saint-Martin-sur-Arve. Les Missionnaires de Saint-François-de-Sales dispensent l’enseignement dans les petits séminaires de Mélan (Taninges) et d’Évian-les-Bains. Les Petits Frères de Marie s’occupent de l’orphelinat de Douvaine, comme ceux de Saint-François-Régis ; ceux de la Sainte Famille341 s’occupent de cinq écoles. À La Roche-sur-Foron, les Capucins s’occupent de prédication et de missions. Dans certaines bonnes paroisses, les Sœurs de la Croix et les Frères des Écoles Chrétiennes se partagent l’instruction des enfants, tel est le cas à La Clusaz, au Grand-Bornand ou à Manigod, alors que dans le secteur des Grandes Alpes342 aucune congrégation enseignante n’est présente.

Lorsque la loi de 1901 est promulguée, les congrégations d’Annecy – comme celles des deux autres départements annexés en 1860 – constituent un cas particulier343 ; elles bénéficient de « titres d’autorisation accordés par les rois du Piémont-Sardaigne entre 1814 et 1848 […] et confirmés par les conventions diplomatiques signées entre Napoléon III et Victor-Emmanuel II »344. Possédant des lettres patentes ou des billets « ayant valeur de loi »345, ces dernières ne jugent pas nécessaire de faire de demande. Le président du Conseil346 leur conseille toutefois de « demander une autorisation pour se couvrir de “tout péril” »347 ou de « soutenir devant les tribunaux qu’elles ont une charte particulière et qu’elles doivent être considérées comme autorisées »348. Il souligne que si le jugement rendu venait à dire qu’elles n’étaient pas autorisées, elles « tomberaient sous le coup de la loi »349 et seraient donc dissoutes si aucune demande n’était faite. À propos de l’article 14 de la loi, Mgr Isoard écrit au ministre de l’Instruction publique350, rappelant que les congrégations ont vécu en pensant que les lettres patentes accordées sous le régime sarde avaient été reconnues par la France.

Les départs immédiats sont rares (Clarisses d’Évian-les-Bains et Chartreux du Reposoir351) ; la plupart des congrégations autorisées sous le régime sarde prenant le parti de déposer une demande d’autorisation. Celle-ci est faite soit par la maison mère soit par les établissements particuliers installés dans le diocèse. À l’automne 1901, la confusion est grande tant pour les religieux que pour les pouvoirs publics. Au 21 octobre 1901, la situation est légale pour les Missionnaires de Saint-François-de-Sales, les Visitandines d’Annecy et de Thonon-les-Bains, les sœurs de la Croix de Chavanod et les Sœurs de Saint-Joseph, qui demandent respectivement une autorisation pour trente-six et trente-huit de leurs établissements352. Les sœurs de la Charité font une demande pour quatre de leurs établissements (sur trente-trois)353. Un avis est demandé aux conseils municipaux, qui dans 15 % des cas donnent un avis défavorable à la demande d’autorisation formulée par les congrégations354. Selon la préfecture, l’avis favorable serait accordé – par l’administration – devant l’utilité que peuvent représenter les congrégations, notamment hospitalières. D’ailleurs, Waldeck-Rousseau accorde un délai jusqu’au 15 janvier 1902, pour régulariser les diverses situations355.

Si Waldeck-Rousseau avait pu apparaître plutôt « modéré » face à la question congréganiste, ce n’est pas le cas de Combes, son successeur, avec qui les congrégations entrent « dans une phase décisive »356.

Dès juillet 1902, les écoles non explicitement autorisées avant la loi de 1901 sont fermées357. Ordre est alors donné aux préfets de fermer les établissements scolaires non autorisés et pour lesquels aucune demande d’autorisation n’a été formulée. Le président du Conseil fait alors fermer dans les huit jours près de deux mille cinq cent écoles.

Le départ des enseignants congréganistes n’est pas sans poser quelques problèmes aux municipalités, qui doivent prévoir l’accueil des élèves. L’administration doit prendre en compte ce paramètre358 avant d’opérer des fermetures. Certaines municipalités opposent une résistance à l’achèvement « du processus de laïcisation des écoles publiques », justifiant ainsi « le vote de la loi du 10 juillet 1903, sur la construction des maisons d’écoles et le maintien des établissements privés des congrégations autorisées »359.

Entre le 1er juillet 1901 et le 12 octobre 1903, ce sont quatre-vingt-huit écoles360 qui sont fermées dans le département et seulement treize sont rouvertes (14, 77 %). Les résultats de l’enquête ministérielle de la rentrée 1903 montrent un taux moyen – national – de réouverture des écoles de 58,1 %, entre le 1er juillet 1901 et le 12 octobre 1903. Le diocèse d’Annecy fait figure de « mauvais élève », et il est bien loin des taux enregistrés dans le Finistère où 100 % des écoles sont rouvertes, ou de la Vendée avec 89,28 % de réouvertures361. Cela se justifie peut-être par l’influence des prêtres qui est sans doute plus importante dans les diocèses de l’Ouest que dans celui d’Annecy. Le faible taux de réouverture montre également que les diocésains dans leur majorité acceptent l’école de la République. Ils différencient la politique de leur sentiment religieux.

Différents incidents surviennent alors dans le diocèse. Au Biot, le maire craint que l’école, pour laquelle une demande est faite par l’ex-directrice congréganiste sécularisée, ne soit sous l’influence du curé et ne nuise au parti républicain362. À Doussard, les sœurs hospitalières sont l’objet de plaintes de la part de certains habitants : elles critiqueraient l’enseignement dispensé dans la commune par une institutrice laïque363. Des incidents ont également lieu à Manigod364, où la population s’oppose au départ des religieuses, en chantant les Allobroges et en criant après chaque refrain : « à bas Combes, à bas le défroqué, à bas les sectaires, à bas les francs-maçons, vive la liberté, vive l’abbé. Il nous faut Dieu dans nos écoles, à bas l’instituteur, à bas Tayot (le chien de l’instituteur) »365. À La Baume, le député demande même au préfet de ne pas intervenir contre l’école avant les élections municipales !

Au printemps 1903, Combes transmet à la Chambre cinquante-quatre dossiers de demandes d’autorisation de congrégations masculines présentés par plus de mille neuf cent quinze maisons366. Les dossiers se répartissent en trois groupes : vingt-cinq congrégations « enseignantes », vingt-huit « prédicantes »367 et une commerçante (les Chartreux) et sont tous assortis d’un avis négatif368. Dans le diocèse, trois congrégations masculines doivent être considérées comme légalement dissoutes entre le 30 mars et le 30 mai 1903 : les Missionnaires de Saint-François-de-Sales (30 mars), les Capucins (22 avril) et les Rédemptoristes (30 mai)369. Ils doivent être dispersés aux dates citées précédemment. Ces départs suscitent alors des mouvements de résistance. Des incidents ont lieu à Annecy, autour des Missionnaires de Saint-François-de-Sales. Une manifestation est organisée pour empêcher leur départ. Le préfet convoque le vicaire capitulaire Moccand, lui indiquant que si la situation venait à se dégrader, il ferait fermer sur le champ les petits séminaires de Mélan et d’Évian-les-Bains370, bénéficiaires d’un délai jusque fin juillet371. À l’occasion de cette manifestation, des notables catholiques, tels que les comtes de Menthon, de Guigné, Villette, de Certeau372 ou d’autres encore, comme Ruphy ou Tissot reviennent sur le devant de la scène, ce qui leur permet « d’associer la défense religieuse, le respect de la propriété privée et la haine de la République »373.

Une opposition plus violente a lieu à La Roche-sur-Foron, en avril 1903, où douze brigades de gendarmerie, deux compagnies du 30Régiment d’Infanterie d’Annecy et un escadron du 4e Régiment de DragonS de Chambéry, sont présents pour déloger les Capucins374. Ces derniers, bénéficiant du soutien local, sont gardés « jour et nuit par des hommes de la réaction à partir du 7 avril 1903 »375. Des violences sont commises contre des autorités judiciaires : le juge de paix est blessé à la tête alors que le substitut et le juge d’instruction le sont légèrement ; le procureur et son greffier sont fortement contusionnés376. Fin avril, l’expulsion des Capucins est décidée. Ils sont arrêtés et poursuivis pour « infraction à la loi du 1er juillet 1901 », pour s’être rendus complices « de crime de rébellion avec violences et voie de fait envers des magistrats de l’ordre judiciaire dans l’exercice de leurs fonctions »377, leur crime est commis en réunion de plus de vingt personnes et il y a eu effusion de sang. À la suite à cette affaire, le maintien de l’ordre est envoyé378 dès qu’une fermeture est prévue.

En 1903, le gouvernement proscrit les célébrations dans les chapelles congréganistes ouvertes aux fidèles et interdit aux membres des congrégations dissoutes de prêcher dans des églises paroissiales379. Dans les deux cas, des actes de résistance sont opposés aux mesures gouvernementales. Les vicaires capitulaires eux-mêmes font appel à des congréganistes pour prêcher des retraites ecclésiastiques380. Des attitudes résistantes semblables se font dans tout le pays, comme à Nancy où Mgr Turinaz présente lui-même « l’ex-jésuite Ravenez aux fidèles de sa cathédrale le 19 avril 1903 »381, ou encore Mgr Richard, à Paris, qui écrit ne pas pouvoir « reconnaître à aucun pouvoir civil le droit de [lui] désigner ou de [lui] interdire le choix des prédicateurs »382.

Des messes ayant été régulièrement célébrées dans la chapelle des Faverges, un procès-verbal est dressé, en décembre 1903, pour « célébration dans une chapelle non autorisée »383. En effet, l’approche des élections municipales met les autorités « dans l’obligation d’agir avec prudence »384 car « les communes du haut plateau d’Évian-les-Bains sont pour la plupart assez douteuses au point de vue politique »385 et ils ne peuvent « garder les municipalités républicaines qu’en évitant, jusqu’aux élections toute cause d’agitation dans cette région »386.

C’est la loi du 7 juillet 1904 qui met fin à l’enseignement congréganiste. En mars, le projet de loi avait été proposé à la Chambre et adopté par 306 voix contre 241. Le Sénat l’accepte le 5 juillet ; deux jours après, la loi interdisant l’enseignement aux congrégations est promulguée. Fin juin, le ministre des Cultes, pensant que la loi sera votée « prochainement », adresse un questionnaire aux préfets. Le préfet y répond le 29 juin 1904, donnant ainsi la liste des établissements présents à la veille du vote de la loi. En tant qu’enseignants, il reste les Frères des Ecoles chrétiennes à Annecy (deux écoles et un noviciat), Évian-les-Bains, Faverges, La Clusaz, La Roche-sur-Foron, Le Grand-Bornand, Lugrin, Les Gets, Manigod, Reignier, Megève, Sallanches, Samoëns, Saint-Julien-en-Genevois, Thônes, Thonon-les-Bains, Thorens. Les sœurs de la Présentation de Marie de Bourg-Saint-Andéol sont présentes à Saint-Julien-en-Genevois et celles de la Visitation de Sainte Marie, quant à elles, sont à Annecy et à Thonon-les-Bains. Le 25 juillet 1904, le commissaire de police d’Annecy informe le préfet que l’évêque « s’est opposé à toute démonstration et ordonne […] que les frères partent sans attirer l’attention publique »387. Mgr Campistron, arrivé quelques mois plus tôt, ne veut pas s’opposer au gouvernement qui l’a mis en place, estimant que tous doivent obéir à la loi. Au 10 septembre 1904, le préfet informe le ministre de l’Intérieur qu’il « n’y a plus dans [son] département d’établissement enseignant congréganiste d’hommes »388. À la fin de l’année 1904, il ne reste dans le diocèse plus que quatre389 écoles de garçons et six de filles390 tenues par des congréganistes.

Entre le 1er juillet 1901 et le 21 décembre 1904, vingt-trois écoles de garçons et quatre-vingt-dix de filles sont fermées ; seulement vingt-quatre de filles sont rouvertes391 en tant qu’écoles privées, soit moins d’un quart des écoles congréganistes (de filles). Les sœurs hospitalières qui prennent parfois le nom de « garde-malade » sont toujours présentes en différents points du diocèse.

La question se pose à présent en ces termes pour les congrégations : que faire ? Les sœurs de la Charité et celles de Saint-Joseph, dont l’activité d’enseignement se joint à celle de l’assistance, bénéficient d’établissements autorisés392. Le conseil des Sœurs de Saint-Joseph d’Annecy décide en août que « les sœurs voilées – en majorité des institutrices – seront appliquées aux divers emplois, en vue surtout de les rendre aptes à tous les genres de travaux ; une modification de l’horaire de la communauté sera faite à la fin du temps des vacances en vue de favoriser le travail des mains qui va devenir notre seule ressource »393. Malgré toute leur bonne volonté, il n’est pas possible d’opérer, « à brève échéance »394 une reconversion complète des congréganistes, il est donc nécessaire de penser à l’exil, tant pour les congrégations mixtes que pour celles dissoutes. Des religieuses rentrent dans leurs familles, mais elles ne sont pas toujours bien acceptées. Elles ne peuvent pas habiter ensemble dans une même bâtisse – l’ancienne école par exemple –, car elles seraient alors considérées comme formant un « établissement congréganiste non autorisé »395.

Nous avons pu constater que les congrégations, bien implantées dans le diocèse, ont dû le quitter pour certaines et s’adapter pour d’autres. Leurs nombreuses écoles deviennent parfois des écoles libres, même si dans certains cas, l’école communale devient la seule de la paroisse. Le diocèse accuse un certain retard par rapport à d’autres quant au nombre de ses écoles libres. Les tensions avec les congrégations durent encore après la Séparation, mais de façon moins violente qu’entre 1901 et 1904. La crise congréganiste aurait dû être gérée par Mgr Campistron, nommé évêque d’Annecy en 1902, pour remplacer Mgr Isoard, décédé en 1901. Mais l’arrivée de Combes et les relations de plus en plus tendues entre la France et le Saint-Siège, retardent sa nomination, c’est la seconde querelle du Nobis Nominavit 396 .

Notes
313.

Le concordat ignore les congrégations.

314.

g. candar, Histoire politique de la III e République, Paris, Éd. La Découverte, 1999, p. 25.

315.

c. sorrel, La République contre les congrégations…, op. cit., p. 23.

316.

c. sorrel, La République contre les congrégations…, op. cit., p. 24.

317.

Cela n’est pas propre à la France, puisque dans d’autres pays européens, à la même époque, des mesures sont prises contre les congrégations.

318.

A. Dansette souligne que « pendant plus de trente ans, cette appellation sommaire Les décrets suffira à les désigner », in Histoire religieuse de la France contemporaine…, op. cit., p. 78.

319.

a. dansette, Histoire religieuse…, op. cit., p. 78.

320.

Les congrégations féminines sont quasiment toutes épargnées, quelques congrégations d’hommes le sont également. Mais 5 643 religieux sont tout de même expulsés de 261 couvents. Ch. Sorrel donne le chiffre de 6 589 à la fin décembre 1880. Soulignons que le pouvoir tolèrera le retour des expulsés, tout comme l’ouverture de nouveaux établissements. Même les Jésuites rentrent discrètement et reprennent à partir de 1888, la publication de leur revue Études.

321.

Il s’agit du fameux « milliard » des congrégations.

322.

Lois Brisson du 28 décembre 1880 et du 29 décembre 1884 ; loi du 16 avril 1895.

323.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 53.

324.

Les républicains semblent différencier le catholicisme (croyance personnelle de l’individu, sphère privée), du cléricalisme qui lui est plus l’influence que peut jouer la croyance sur les actions de l’individu (sphère publique).

325.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 93.

326.

Loi du 1er juillet 1901, article 18, § 2.

327.

Loi du 1er juillet 1901, article 14, § 1.

328.

y.- m. hilaire et g. cholvy, Histoire religieuse de la France contemporaine (1880-1930), op. cit., t. 2, p. 101.

329.

L’article 1 rappelle que « l’enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France aux congrégations ».

330.

Pour les religieux, la moyenne nationale française est de 7,03 ; pour les religieuses, elle est de 34,05. csorrel, La République…, op. cit., p. 230.

331.

AN, F19 6244. Il s’agit d’une enquête administrative de 1900. Sans doute sous-estime-t-elle les effectifs. De plus, il s’agit de statistique départementale, elle ne coïncide donc pas véritablement avec le diocèse.

La répartition par arrondissement se fait comme suit :

Pour les femmes :

Annecy : 39 établissements pour 341 congréganistes;

Bonneville : 31 établissements pour 175 congréganistes;

Saint-Julien-en-Genevois: 30 établissements pour 154 congréganistes;

Thonon-les-Bains : 37 établissements pour 215 congréganistes.

Pour les hommes  :

Annecy : 12 établissements pour 64 religieux ;

Bonneville : 11 établissements pour 79 religieux ;

Saint-Julien-en-Genevois: 4 établissements pour 11 religieux ;

Thonon-les-Bains : 9 établissements pour 68 religieux.

332.

Souvent les sœurs associent à leur activité enseignante celle de l’assistance.

333.

Cette congrégation est née au Puy-en-Velay en 1650.

334.

Évian-les-Bains, Annecy, Annecy-le-Vieux, Thorens, Sales, Saint-Jorioz, Thônes, Saint-Pierre-de-Rumilly, Sallanches, Saint-Gervais-les-Bains, Arâches, Cluses, Megève, Morillon, Mieussy, Scionzier, Saint-Jeoire-en-Faucigny, Samoëns, Sallanches, Frangy, Saint-Cergues, Annemasse, Bonne, Desingy, Fillinges, Bons, Chens, Messery, Nernier.

335.

Saint-Ferréol, Annecy, Faverges, Doussard, Les Villards-sur-Thônes, Groisy, Évires, La Roche-sur-Foron, Bonneville, Les Gets, Le Reposoir, Magland, Onnion, Taninges, Viuz-en-Sallaz, Arthaz-Pont-Notre-Dame, Cruseilles, Reignier, Thonon-les-Bains, Boëge, Douvaine, Orcier, La Chapelle d’Abondance, Abondance, Le Biot, Massongy, Morzine, Saint-Jean-d’Aulps, Saint-Paul-en-Chablais, Ballaison.

336.

Chavanod, Argonnex, Menthon, Nâves, Nonglard, Manigod, Serraval, Chapeiry, Duingt, La Clusaz, Le Grand-Bornand, Talloires, Pontchy, Le Petit-Bornand, Cornier, La Côte d’Arbroz, Combloux, Marnaz, Challonges, Feigères, Viry, Le Sappey, Chaumont, Vanzy, Esserts-Esery, Monnetier-Mornex, Nangy, Pers-Jussy, Savigny, Vulbens, Lucinges, Chilly, Valleiry, Fessy, Perrignier, Sciez, Féternes, Publier, Chêvenoz, Vacheresse, Essert-Romand, La Vernaz, Marin, La Baume.

337.

Le Pratz, Saint-Julien-en-Genevois, Veigy-Foncenex.

338.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 137.

339.

Gaillard, Ville-la-Grand, Collonges

340.

Annecy, Thônes, La Clusaz, Le Grand-Bornand, Faverges, Thorens, Manigod, La Roche-sur-Foron, Les Gets, Sallanches, Megève, Samoëns, Saint-Julien-en-Genevois, Reignier, Thonon-les-Bains, Évian-les-Bains.

341.

Saint-Jeoire-en-Faucigny ; Viuz-en-Sallaz ; Cruseilles, Saint-Cergues et Douvaine.

342.

Cantons de Saint-Gervais-les-Bains et de Chamonix.

343.

Sur ce sujet voir c. sorrel, « Droits acquis ou régime spécial ? Congrégations savoyardes », in jlalouette et j.-p. machelon, 1901, Les congrégations hors la loi ?, Paris, Letouzey et Ané, 2002, p. 185-196.

344.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 100.

345.

Ibid.

346.

Il est interrogé par Chambon, député radical-socialiste de la Savoie.

347.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 101.

348.

c. sorrel, « Droits acquis… », op. cit., p. 189.

349.

Ibid.

350.

Mgr Isoard décédant le 3 août, la lettre n’est envoyée que le 26 septembre, par le vicaire capitulaire Moccand. a. metral, La crise congréganiste…, op. cit., p. 45.

351.

Les Clarisses ont un problème de propriété pour leur couvent et les Chartreux sont « fidèles à la décision de l’ensemble des prieurs français de n’effectuer de démarche que pour la Grand Chartreuse », in c. sorrel, « Droits acquis… », op. cit., p. 189.

352.

a. metral, La crise congréganiste…, op. cit., p. 53.

353.

Ibid., p. 54-55.

354.

Ibid., p. 60.

355.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 102.

356.

a. dansette, Histoire religieuse…, op. cit., p. 300.

357.

Combes prévoit la fermeture de près de 2 600 établissements.

358.

Ce paramètre est loin de passer pour anodin dans certaines paroisses étant donné le coût de la construction d’un nouvel établissement ou de l’agrandissement de l’école communale. Dans certaines paroisses, l’école tenue par les congréganistes est la seule.

359.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 131.

360.

AN, F17 12 495.

361.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 131.Ce sont ces régions qui présenteront à la veille de la Première Guerre, le nombre le plus important d’écoles libres.

362.

a. metral, La crise congréganiste…, op. cit., p. 139.

363.

Ibid. D’ailleurs dans cette commune, le maire avait refusé d’installer l’institutrice laïque, tout comme son adjoint, obligeant ainsi l’inspecteur primaire à faire le déplacement depuis Annecy (p. 99).

364.

La paroisse a une école congréganiste de garçons et une de filles.

365.

a. metral, La crise congréganiste…, op. cit., p. 145.

366.

Ce qui représente 14 929 religieux.

367.

Ce qui représente respectivement 1689 maisons et 11 841 religieux ; 225 maisons et 3 040 membres. c. sorrel, La République…, op. cit., p. 122-123.

368.

csorrel, La République…, op. cit., p. 123. Adrien Dansette dans son Histoire de la France contemporaine…, op. cit., p. 307, rappelle que « 390 congrégations de femmes ont déposé leurs demandes. C’est encore à la Chambre que Combes en transmettra 81, relatives à des congrégations qualifiées « enseignantes » qui seront elles aussi rejetées par un seul vote (juin) ».

369.

ADHS, 6 V 9.

370.

L’enseignement dans ces établissements sera assuré, après le départ des Missionnaires de Saint-François-de-Sales, par des séculiers.

371.

a. metral, La crise congréganiste…, op. cit., p. 127-133.

372.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 128.

373.

c. sorrel, Les catholiques savoyards…, op. cit., p. 177.

374.

Voir j. de cognin , L es Capucins en Savoie, Chambéry, Imprimeries réunies, 1934, 346 p.

375.

a. métral, La crise congréganiste…, op. cit., p. 117-124.

376.

Ibid.

377.

Ibid., p. 122.

378.

Lors des Inventaires en 1906, le même phénomène se produit : lorsque des heurts ont lieu avec les populations locales, la préfecture envoie des renforts armés. Cf. supra, p. 61 et suiv.

379.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 124. Il s’agit des circulaires des 9 et 11 avril 1903.

380.

j. raymond, La Haute-Savoie…, op. cit., t. 2, p. 935.

381.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 130.

382.

Ibid.

383.

ADHS, 6 V 9. Lettre du sous-préfet de Thonon-les-Bains au préfet, 15 janvier 1904.

384.

Ibid.

385.

Ibid.

386.

Ibid.

387.

Ibid.

388.

Ibid. Il rappelle alors qu’il reste « seulement les établissements d’enseignement secondaire libre tenus par les prêtres séculiers ».

389.

En fait, il y a 4 écoles sur le territoire départemental, mais 3 sur le territoire diocésain : il s’agit des écoles des paroisses de Megève, Les Gets, Saint-Paul (ADHS, 6 V 9 : bilan statistique au 31 décembre 1904.)

390.

AN, F17 12 499. Il s’agit des paroisses d’Annecy (deux orphelinats), Megève, Évian-les-Bains et Thonon-les-Bains (écoles maternelle et primaire) : ADHS, 6 V 9 : bilan statistique au 31 décembre 1904.

391.

ADHS, 6 V 9 : bilan statistique au 31 décembre 1904.

392.

Ibid.

393.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 151.

394.

c. sorrel, La République…, op. cit., p. 151.

395.

ADHS, 6 V 9. Lettre du préfet à la Supérieure des sœurs de Saint-Joseph, 29 novembre 1906.

396.

Nous reprenons ici l’expression utilisée par Olivier Poncet, « Grammaire et diplomatie sous la Troisième République. La querelle du Nobis Nominavit entre la France et le Saint-Siège », in Mélanges de l’Ecole française de Rome, Italie-Méditerranée, 1997, p. 895-945.