Le terme de Nobis Nominavit apparaît en 1804397 mais le gouvernement impérial réagit rapidement en rappelant « fermement le principe de son droit de nomination »398, et c’est à partir de 1863 que le terme réapparaît. En 1871, la Curie va même jusqu’à employer le terme de nobis praesentavit. L’affaire est menée devant le Conseil d’État qui déclare l’année suivante que le terme de nobis nominavit ne met pas « en cause le droit de nomination du pouvoir civil »399. Il est d’usage depuis la chute de Napoléon III, que par le principe de l’entente préalable, le gouvernement nomme les évêques en accord avec Rome.
C’est en 1901, que débute la seconde querelle du Nobis nominavit. Adrien Dansette souligne d’ailleurs, que sans que l’on sache vraiment pourquoi – à cette date – le Conseil d’État relève le terme à l’occasion de l’enregistrement des bulles d’investiture de sept archevêques et évêques400. Olivier Poncet rejoint cette idée, affirmant que « les recherches récentes ne permettent pas de conclure » cette interrogation401. Ce dernier rappelle cependant qu’avec l’arrivée au pouvoir du Bloc des Gauches en 1899, et la mise en place de Waldeck-Rousseau à la présidence du conseil et au ministère des cultes, les conseillers d’État ont « l’espoir que leurs revendications seraient entendues, en particulier à propos des bulles pontificales »402.
Waldeck-Rousseau demande à Delcassé, ministre des Affaires étrangères, de formuler des observations à Rome, de façon à ce qu’il n’y ait plus, à l’avenir, de refus d’enregistrement. Delcassé rappelle au président du Conseil qu’il serait inopportun de rouvrir la question du Nobis nominavit, à un moment où d’autres questions plus importantes tendent les relations franco-pontificales ; de plus, il rappelle la décision de 1872 qui avait clos la « première querelle ».
Mgr Campistron est nommé évêque d’Annecy403 par le décret du 13 mai 1902404, confirmé par la bulle d’investiture du 13 juin. Cependant, il ne peut-être sacré que deux ans plus tard, à cause de la querelle du nobis nominavit vivement relancée par Combes, quelques semaines plus tard. Olivier Poncet souligne que les nominations aux évêchés de Carcassonne et d’Annecy sont l’occasion pour le président du Conseil de relancer le ministre des Affaires étrangères sur la question405.
Le 7 juin, lorsqu’il arrive à la présidence du Conseil, Combes rappelle que Rome doit modifier les bulles de nominations, sans quoi les conséquences pourraient être graves406. L’ambassadeur près le Saint-Siège est aussitôt prévenu, et le 2 décembre 1902, Combes retire les décrets de nomination, renvoyant les bulles à Delcassé « avec charge d’obtenir les rectifications »407 et laissant planer la « menace d’une grève des nominations et par voie de conséquence une longue vacance des sièges épiscopaux »408. Le cardinal Rampolla estime que les conseillers d’État ignorent les notions de droit canon et pensent que la nomination d’un évêque se fait comme celle d’un fonctionnaire quelconque409. Dans un mémoire présenté à la France, le Vatican souligne qu’entre 1801 et 1897 sur quatre cent soixante et onze bulles de nominations, seules seize ne portent pas explicitement le terme de nobis et que cinquante-quatre d’entre elles ont ce terme sous-entendu410. Combes, hostile au principe de l’entente préalable, déplace le problème du plan diplomatique sur celui de la politique. Les choses ne semblent pas s’améliorer, Clemenceau menant même une offensive (ratée) contre l’Ambassade du Vatican.
En 1903, la France demande la suppression du nobis, Rome serait d’accord et cette suppression pourrait être compensée « par une formule qui garanti[rai]t mieux le respect du dogme et de la doctrine canonique »411, et demande l’intercalation de « le » (nous le nommons). La mort de Léon XIII et l’élection de Pie X permettent une avancée dans cette querelle. Le secrétaire Merry del Val accepte le singulier de concordati et l’intercalation du « le », mais refuse la rétroactivité de la suppression du nobis pour les nominations d’Annecy et de Carcassonne412. C’est le 21 décembre 1903413 que le pape consent à supprimer le nobis, mais il refuse de « ratifier les choix épiscopaux du gouvernement français414 non soumis à l’entente préalable »415. Les deux évêques pourront enfin prendre possession de leurs sièges.
Pendant la vacance du siège, les deux vicaires capitulaires gèrent le diocèse. En 1903, lors du mandement de Carême, ils rappellent que « des difficultés inattendues ont empêché jusqu’à présent Mgr Campistron de prendre possession de son siège »416, ajoutant que « depuis bien des mois déjà le Saint-Père, d’accord avec les pouvoirs publics, l’a désigné pour occuper le siège de saint François de Sales »417. La Bulle d’investiture est enfin enregistrée au Conseil d’État en février 1904418. Mgr Campistron, sacré le 13 mars 1904, soit près de deux ans après sa nomination, arrive à Annecy le lendemain. Dans sa première lettre pastorale, il se réjouit que « La Divine Providence, en rapprochant, par un secret et mystérieux dessein, ces deux dates : 1602-1902, a[it] daigné placer [son] élection épiscopale dans l’année qui marque aussi le troisième centenaire de l’élection et de la consécration épiscopale de saint François de Sales »419.
Mgr Pierre-Lucien Campistron naît à Mirande (Gers), le 26 octobre 1840, dans une famille modeste. Il est ordonné prêtre le 24 septembre 1864, après des études aux petit et grand séminaire d’Auch420. À partir de cette date, et jusqu’à son accession à l’épiscopat421, il enseigne422. Dès 1864, il est professeur au petit séminaire d’Auch423, avant d’être nommé, en 1889, supérieur du collège Saint-Nicolas de Gimont424, poste qu’il occupe jusqu’en 1891, date à laquelle il est appelé pour prendre la direction du grand séminaire d’Auch. Comme nous l’avons vu, la prise de possession du siège épiscopal d’Annecy se fait en 1904. Mgr Campistron est encore un évêque concordataire. D’après les notices contenues dans son dossier personnel, il ressort qu’il est un homme effacé et conciliant. En 1892, son évêque écrit qu’il est « un prêtre très intelligent, d’un caractère ferme et doux, et d’un esprit éminemment conciliant »425. En 1901, dans un rapport au ministre des Cultes, le préfet du Gers évoque l’abbé Campistron, en termes élogieux, soulignant son intelligence, ses « allures courtoises et affables ; s’étant toujours tenu à l’écart de toute ce qui n’était pas ses fonctions, auxquelles il se consacre exclusivement, vivant à l’écart des coteries, et n’ayant avec personne de relation d’amitié, il jouit, malgré ce caractère réservé et cette attitude volontairement effacée, de l’estime et de la considération de tous, car sa conduite privée est d’une absolue correction »426.
Au niveau politique, son attitude semble difficile à cerner, elle a sans doute évolué entre le temps où il était directeur du collège Saint-Nicolas et celui où il est proposé à l’épiscopat. En 1893, le préfet du Gers souligne qu’il a laissé à Gimont « le souvenir d’un esprit modéré et assez ouvert, entretenant de bonnes relations avec les meilleurs républicains de l’endroit »427. Cependant en 1901, il est présenté comme « s’étant toujours abstenu de manifester ses opinions politiques et […] tout porte à croire qu’avec la presque unanimité du clergé, il n’est que peu républicain, mais il ne témoigne ses sentiments ni par actes ni par paroles »428. Pourtant en 1902, lorsque sa nomination à Annecy est rendue officielle, le journal l’Autorité souligne que cette accession à l’épiscopat ne l’étonne pas puisque l’abbé Campistron a « donné [l]es gages les plus honteux de servilité au gouvernement…, a ouvertement favorisé les candidats ministériels »429. Il semble que la presse savoyarde se fasse l’écho de cette opinion ; le Mont-Blanc républicain écrit : « On nous assure que le futur évêque a des opinions républicaines très anciennes, lesquelles sont jointes à un caractère indépendant et à un esprit bienveillant qui a toujours été apprécié »430.
Mgr Campistron fait son entrée solennelle à Annecy le 26 mars 1904. Dans la chaire de la cathédrale, il salue « en noble langage » les prêtres et fidèles, par les paroles « de Notre Seigneur : Pax vobis : paix avec Dieu, paix avec vous-mêmes, paix avec les autres hommes »431. Si au début de son épiscopat, il a pu apparaître comme « complaisant » avec le pouvoir civil, le ton change rapidement, notamment lorsque la loi de Séparation des Églises et de l’État est annoncée. Le préfet Ténot – fervent républicain – note d’ailleurs cet aspect en septembre 1905, dans un rapport adressé à la direction des cultes. Il écrit que « M. Campistron avait donné à [son] administration, au début de son épiscopat, de nombreux gages d’un libéralisme qui […] est dans son caractère ; mais depuis quelques temps, et à l’approche du vote probable de la Séparation, il a pris une nouvelle attitude »432. Peu de temps après son arrivée à Annecy, l’évêque doit faire face aux difficultés liées à la nomination de ses vicaires généraux. Évêque du concordat, il devenait « subitement [celui] de la Séparation »433, puis de la Grande Guerre. Il fut « l’évêque douloureux […] dans les injustices d’un temps […] où les français ne s’aimaient pas »434.
a. dansette, Histoire religieuse…, op. cit., p. 320.
Ibid.
I bid.
Ibid., p. 322.
o. poncet, Grammaire et diplomatie…, op. cit., p. 908.
Ibid.
D’après le journal Le Gaulois, du 25 février 1902, Mgr Campistron aurait été proposé pour Carcassonne, mais Rome refuse cette demande.
Sans doute est-ce à la suite de l’intervention du dominicain Maunus, défenseur du Ralliement et familier du salon de Mme Waldeck-Rousseau. Les journaux Le Gaulois et L’Univers soulignent l’amitié entre les deux hommes ; de plus dans le dossier personnel de Campistron conservé aux Archives Nationales (AN F19 2 492) se trouve une carte de visite de l’abbé Maunus. Au moment de son décès, la presse radicale le présente comme ayant été le confesseur de Mme Waldeck-Rousseau, cependant le chanoine Lavorel, directeur de La Croix de la Haute-Savoie dément formellement cette affirmation.
o. poncet, Grammaire et diplomatie…, op. cit., p. 909.
Combes essaie de rompre les liens diplomatiques avec le Vatican.
o. poncet, Grammaire et diplomatie…, op. cit., p. 909.
Ibid.
Ibid.,p. 913.
Ibid.,p. 914.
Ibid., p. 922.
Ibid., p. 927.
Le 14 décembre, Delcassé accepte la suppression du « le » dans les lettres pour Annecy et Carcassonne.
Combes avait proposé des candidats (10) qu’il jugeait méritants et qui avaient été écartés de la promotion épiscopale.
y.- m. hilaire et g. cholvy, Histoire religieuse…, op. cit., t. 2, p. 107.
Lettre de MM. les vicaires capitulaires du diocèse d’Annecy et mandement pour le saint temps de Carême, 1903, p. 6.
Ibid.
m. remy, Les inventaires…, op. cit., p. 18.
Lettre pastorale de Mgr l’Évêque d’Annecy à l’occasion de son entrée solennelle dans le diocèse, 19 mars 1904, 15 p., p.14.
La Croix de la Haute-Savoie, 28 août 1921.
Le Figaro du 25 mai 1902, souligne que d’ailleurs sa nomination est une « exception unique au moins depuis de nombreuses années que d’appeler à l’épiscopat un supérieur du petit séminaire ».
En 1865, il est vicaire à Riguepeu, tout en assurant des cours au petit séminaire. (m. remy, Les inventaires…, op. cit., p. 27).
En 1875, il obtient, à l’université de Bordeaux, une licence ès lettres.
c. sorrel, dir., Dictionnaire du monde religieux…, La Savoie, op. cit., p. 104.
AN, F19 2 492. Avis de l’évêque d’Auch, 13 décembre 1892.
Ibid. Rapport à la direction des cultes, 25 mars 1901.
Ibid. Rapport à la direction des cultes, 11 février 1893.
AN, F19 2 492. Rapport à la direction des cultes, 25 mars 1901.
L’Autorité, 27 mai 1902.
Le Mont-Blanc républicain, 6 avril 1902.
La Croix de la Haute-Savoie, 28 août 1921.
ADHS, 1 V 3, rapport à la direction des Cultes, 12 septembre 1905.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 47, 25 novembre 1921, p. 523. Oraison funèbre de Mgr de Cézérac.
Ibid., n° 3, 20 janvier 1922, p. 32. Lettre pastorale de Mgr du Bois de La Villerabel à l’occasion de sa prise de possession du siège épiscopal d’Annecy.