3. La reprise des Inventaires

Sans que l’on sache vraiment pourquoi Argentières, Megève et Vallorcine603 sont inventoriées entre mi-mars – après l’arrivée de Clemenceau – et novembre, date de la reprise et de la fin des inventaires paroissiaux604. Pour Vallorcine, il a fallu que la neige fonde pour pouvoir accéder au village par le coté français. Les opérations à Megève et Argentières se passent bien, même si dans cette dernière paroisse, des barricades sont dressées derrière les portes ! À Vallorcine, les Inventaires se déroulent sans incidents majeurs, et c’est ce jour qu’arrive à la préfecture une circulaire de Clemenceau demandant qu’il ne soit « plus procédé […] à de nouvelles opérations et [de] suspendre celles qui seraient en cours d’exécution »605.

C’est donc en novembre, que les Inventaires reprennent là où ils ont été ajournés en février ou mars. Le 12 novembre, Clemenceau, nouveau président du Conseil et toujours ministre de l’Intérieur, donne ses premières instructions pour la reprise des opérations. Ces dernières se tiennent les 20, 21 et 22 novembre.

Des mesures sont prises dès le début par les autorités préfectorales qui estiment que l’agent des domaines doit être accompagné d’un commissaire spécial ou de police, de deux serruriers, d’une détachement d’infanterie de deux à trois cents hommes et de quatre à sept brigades de gendarmerie. Il reste dix-huit communes à visiter, dont onze dans le Chablais. Michel Rémy estime les effectifs comme suit : « sept compagnies d’infanterie (30e RI et 11e BCA), environ seize brigades de gendarmeries, tous les commissaires spéciaux et « spécialisés »606, soit environ huit cent hommes, sans compter préfet, sous-préfets…

Contrairement au mois de mars, les Inventaires se passent plus calmement607, l’importance des moyens déployés n’est pas étrangère à ce changement, mais l’échéance du 14 décembre ne doit pas être oubliée. Selon la loi, tous les Inventaires doivent être terminés à cette date afin que les biens puissent être remis aux associations cultuelles. En l’absence de ces associations, les propriétés des fabriques et autres sont placées sous séquestre. Il y a également les inquiétudes liées à la célébration même du culte608, la question se pose presque en ce termes : pourra-t-on encore aller à la messe à l’église ?

L’accès aux églises est encore barricadé, comme à La Clusaz, Villy-le-Bouveret, Vovray-en-Bornes, Bellevaux, Mégevette et aux Villards-sur-Thônes. Contrairement au printemps, aucune notification n’est faite au desservant, c’est donc par surprise que les autorités opèrent. Sans doute le fait que les populations ne soient pas prévenues de la date exacte de l’inventaire empêche d’organiser une résistance trop importante, même si au début de l’année cela n’avait fonctionné que partiellement. Enfin, il ne faut pas omettre le fait que les élections du printemps ont laissé leurs sièges aux quatre députés élus en 1902. De plus, malgré les exhortations de la presse conservatrice, la plupart des fidèles se rendent compte que les inventaires ne sont pas une spoliation, mais bien une mesure visant à inventorier les biens. Il y a donc assurément une différence nette chez les fidèles entre foi et politique. La conclusion de Rivet peut s’appliquer au diocèse, lorsqu’il écrit [évoquant le calme des inventaires en novembre] : « il faut en attribuer le mérite à la sagesse des catholiques qui ont compris depuis le mois de mars que les opérations d’inventaires ne menaçaient pas la majorité du pays ; mais le gouvernement a agi beaucoup plus habilement à la fin de l’année qu’à ses débuts »609.

Pour conclure sur les Inventaires nous pourrions dire qu’ils se répartissent en quatre grands groupes, d’abord du début janvier au début mars où la majorité des opérations se passent sans trop d’incident (95 % des opérations sont calmes). Le second groupe serait constitué par les opérations effectuées en une seule fois mais non sans quelques cas de résistances entre le 29 janvier et le 10 mars. Le troisième serait composé par les lieux où deux tentatives ont été nécessaires pour effectuer les opérations entre le 8 février et le 8 mars, enfin le dernier groupe est celui des inventaires effectués après le 10 mars, soit sept suspendus et onze ajournés et reportés à novembre. L’arrondissement de Thonon-les-Bains semble être celui qui a rencontré les résistances les plus vives. En novembre c’est 60 % des opérations ajournées ou suspendues sont dans le Chablais610. Celui d’Annecy a des attitudes diverses, puisque le canton de Faverges ne présente aucun incident, alors que celui de Thônes paraît agité. L’arrondissement de Saint-Julien-en-Genevois est également troublé surtout avec les paroisses du plateau des Bornes. Enfin Bonneville est le plus calme, à l’exception de la partie montagneuse. Il est patent que les zones plus élevées sont le lieu de la résistance, plusieurs facteurs peuvent d’ailleurs expliquer ce phénomène. D’abord, le relief est plus favorable à la résistance, ensuite les zones montagneuses sont sans doute plus traditionalistes que celles des plaines. Les massifs préalpins vivent d’une économie riche, où les paysans sont propriétaires et ils sont sensibles à tout ce qui touche à la propriété. Il ne faut pas oublier la fidélité à la tradition et le sens du communautarisme. La résistance, comme nous l’avons rappelé, n’est pas uniquement religieuse ; cependant là où la religion est restée la plus traditionnelle, la plus rurale, là où le clergé a une influence plus grande, les manifestations sont plus vives. Enfin, dans certains cas, le clergé est particulièrement combatif, sans doute est-ce un héritage du temps de Mgr Isoard. L’autorité épiscopale n’a joué ni un rôle modérateur611 ni un rôle agitateur.

En l’absence de constitution des associations cultuelles, les questions sont nombreuses à la fin de l’année 1906. C’est en décembre que l’évêque doit quitter sa résidence épiscopale tout comme les séminaristes.

Notes
603.

Argentières (20 mars), Megève (8 juin) et Vallorcine (16 août).

604.

Nous évoquerons plus loin l’évêché et le grand séminaire.

605.

Circulaire du 16 août. Ce télégramme arrive deux jours après l’interdiction faite par Rome de constituer des associations cultuelles. C’est également une période de débats, sur laquelle nous reviendrons dans une sous-partie ultérieurement.

606.

m. remy, Les inventaires…, op. cit., p. 134.

607.

Le même constat est fait par Rivet pour la Haute-Loire ou encore par J.-Ph. Bon pour le diocèse de La Rochelle-Saintes.

608.

Il pourra se poursuivre, en étant considéré comme réunion publique.

609.

a. rivet, « Les inventaires en Haute-Loire », in Cahiers d’histoire…, op. cit., p. 296.

610.

11 sur 18. Trois cantons ont été particulièrement touchés : Le Biot avec les paroisses de Morzine, Montriond, Saint-Jean-d’Aulps. Thonon-les-Bains avec les communes de Bellevaux, Mégevette, Vailly, Perrignier, Draillant et Orcier. Enfin Évian, avec Larringes, Saint-Paul et Thollon.

611.

m. remy, Les inventaires…, op. cit., p. 281. En Tarentaise, Mgr Lacroix invite les prêtres à empêcher les fidèles d’entrer dans l’église au moment de l’inventaire. Le Progrès du 24 mars se demande d’ailleurs pourquoi les catholiques du diocèse d’Annecy ne réagissent pas comme ceux de Tarentaise par rapport aux Inventaires.