En août 1906, par l’Encyclique Gravissimo Officii, Pie X condamne formellement les associations cultuelles, en interdisant la constitution. En France, certaines se constituent, et sont vite dénommées « associations schismatiques ». Dans le diocèse, une seule association du genre voit le jour. Au 14 décembre, faute de constitution d’associations cultuelles, pour recevoir les biens des menses et des fabriques, les biens sont saisis et les occupants des lieux renvoyés.
Les Inventaires de l’évêché et du grand séminaire ont été faits sans trop d’incidents en février. Mgr Campistron avait fait lire la lettre de protestation. Au grand séminaire, les opérations ont lieu le 9 février, en présence du commissaire Naudet612. Les séminaristes transportent le Saint-Sacrement à la chapelle du Sacré-Cœur613. L’inventaire – en exceptant la Bibliothèque – dure deux heures et sans incident. Une protestation est lue, l’économe Morand accompagne « passivement » l’agent des Domaines614. L’inventaire de la bibliothèque et des archives est fait en décembre par l’archiviste départemental, Max Bruchet. Ce dernier vient d’ailleurs prévenir officieusement le Supérieur de l’imminence des opérations, qui ont lieu le 10 décembre : l’inventaire de la bibliothèque est fait en deux heures615. C’est également ce jour que le vicaire général Bel, « chef de l’administration du séminaire »616 reçoit une lettre de la préfecture lui rappelant qu’à « défaut d’une association cultuelle pour le remplacer, et faute par lui de s’être transformé en établissement supérieur privé, conformément aux lois du 12 juillet 1875 et du 18 mars 1880, sera considéré, avec toutes les sanctions de droit, comme ayant un caractère illicite »617. Le préfet Ténot souligne également que si l’établissement reste « grand séminaire », ses occupants tant professeurs qu’élèves devront se disperser au 14 décembre618 ; c’est ce qui se produit. Le 13, veille du départ, les séminaristes comme leurs professeurs se préparent à quitter les lieux. Des manifestants viennent apporter leur soutien aux futurs « expulsés »619. Alors que les séminaristes sont réunis à la Visitation afin de célébrer l’anniversaire du décès de sainte Jeanne de Chantal, l’évêque s’adressant à eux leur rappelle qu’une « loi dure et implacable impose la cruelle nécessité de [les] renvoyer dans [leurs] foyers et de [les] rendre pendant quelque temps [à leurs] familles. [Il les] supplie de rester toujours fidèles à [leur] sainte vocation » lorsqu’ils seront loin de leurs maîtres et exposés à des dangers de toutes sortes620. Le départ se prépare dès 4 h du matin le vendredi 14 décembre. Après cette date, les directeurs sont accueillis chez les sœurs de Saint-Joseph. Une ordination de trois prêtres a lieu le dimanche 16 décembre à la cathédrale621. Les séminaristes retournent dans leurs familles et attendent le 5 février 1907 avant de pouvoir retrouver un nouveau « grand séminaire d’exil ». Le chanoine Rebord évoque « des malédictions prononcées par les séminaristes et laissés dans leurs cellules à l’adresse des spoliateurs [comme :] Le Christ est vainqueur ! Le Christ règne ! le Christ commande ! La Mort est bientôt là ! “Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font…” »622.
L’évêque quitte l’évêché le 15 décembre pour se rendre « à la maison jadis occupée par le second externat des Sœurs de Saint-Joseph »623. Il refuse la proposition faite par le maire d’Annecy, qui lui suggère de louer l’évêché pour un franc ; l’évêque répondant qu’il n’allait pas louer un bien qui était à lui ! La Revue du Diocèse d’Annecy en termes exagérés, écrit : « On donne huit jours à un domestique, un mois à un locataire, et une minute à un évêque pour opérer un déménagement… en hiver… […] aussi compliqué que celui d’un palais épiscopal »624. Ce n’est pas une surprise pour l’évêque, puisque la loi rappelle qu’au cas où aucune association cultuelle ne serait créée, les biens seraient mis sous séquestre dans un délai d’un an à partir de la date de promulgation de la loi (art. 4 de la loi). L’article 8 stipulant qu’à « l’expiration dudit délai, les biens à attribuer seront, jusqu’à leur attribution, placés sous séquestre »625. La presse, une nouvelle fois veut montrer que les républicains sont mauvais, puisqu’ils forcent l’évêque « à déguerpir le jour même »626. Mais nous savons qu’aux élections de mai 1906, les quatre députés sortant sont réélus, ce qui prouve que les Savoyards, à l’exception de certains, font clairement la différence entre le politique et le religieux.
D’après la Revue du Diocèse d’Annecy, ce sont près de deux mille personnes qui accompagnent Mgr Campistron vers son exil ; ce sont des prêtres, des notables catholiques, et pour la plus large part des ouvrières et des ouvriers627. Entouré des vicaires généraux, des membres du chapitre, des prêtres de la ville et du chancelier, l’évêque se rend à la cathédrale, alors que les neuf cloches des trois églises de la ville sonnent le glas, laissant penser à une cérémonie funèbre, à « quelque chose de triste, d’une brisure irrémédiable »628. Sur le parcours qui l’emmène de la rue de l’évêché jusqu’à la place aux Bois629, quelques magasins ont descendu leurs rideaux, et la foule se fait toujours plus nombreuse pour accompagner son évêque. Alors qu’il rejoint son nouvel appartement630, la foule chante Nous voulons Dieu, ou encore Je suis chrétien. À sa fenêtre, le prélat adresse ses remerciements à ceux qui sont venus « consoler le cœur de leur pasteur »631. Il termine en rappelant que la « bénédiction d’un persécuté est d’un grand effet auprès de Dieu »632. Un homme ayant crié « à la loge », la foule se rend, rue Filaterie633, devant le siège de l’Allobrogie, puis va devant le siège de L’Avenir ; tout cela restant sans gravité.
Comme nous pouvons le constater les choses se sont passées calmement, par rapport aux manifestations qu’il y aurait pu avoir si le départ de l’évêque avait eu lieu au début mars ! Les Inventaires sont réalisés dans toutes les paroisses, les biens vont être mis sous séquestre puisque aucune association cultuelle n’est créée pour les recevoir. Mais il reste une incertitude qui reste d’importance : que vont devenir les églises ? le culte pourra-t-il toujours y être célébré ?
AAS. Fonds Rebord. Boîte Grand séminaire, n° 3. Cahier manuscrit du chanoine Rebord.
Ibid.
Ibid. Le chanoine Rebord ajoute à propos de l’agent des domaines Martin, qu’il « s’est montré non seulement d’une correction irréprochable mais encore plein de bonté pour nous et de répugnance pour le travail auquel il est obligé de se livrer ».
Il s’agit bien évident d’un inventaire très sommaire, étant donné le nombre de volumes conservés à la bibliothèque.
ch.- m. rebord, Grand Séminaire de Genève, Chambéry, Annecy…, op. cit., p. 189.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 50, 14 décembre 1906, p. 1182.
Le départ des séminaristes et des évêques de leurs lieux de résidence respectifs n’est pas propre au diocèse d’Annecy, la même chose se produit à Chambéry, à Saint-Jean de Maurienne (lettre de l’évêque au chanoine Rebord), à Quimper ou encore au Puy.
ch.- m. rebord, Grand Séminaire de Genève, Chambéry, Annecy…, op. cit., p. 189.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 51, 21 décembre 1906, p.1209.
Ibid., p. 1213.
AAS. Fonds Rebord. Boîte Grand séminaire, n° 3. Cahier manuscrit du chanoine Rebord.
ch.- m. rebord, Le grand séminaire…, op. cit., p. 197.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 51, 21 décembre 1906, p. 1211.
Loi du 9 décembre 1905.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 51, 21 décembre 1906, p. 1211.
Ibid., p. 1212.
Ibid.
ADHS, 3 M 10. Il réside au 8 rue des Marquisats, tout comme son vicaire général Cusin. Entre 1910 et 1920, il déménage au 12 rue Jean-Jacques Rousseau, alors que Mgr Cusin reste aux Marquisats.
AAS. Boîte Rebord. Divers. En 1914, le prévôt du chapitre, le chanoine Chevallier acquiert pour 46 899 francs (environ 140 447, 97 euros), la maison de la maîtrise, sise 13 rue Jean-Jacques Rousseau, qu’il décide de mettre à la disposition de Mgr Campistron et de ses successeurs.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 51, 21 décembre 1906, p. 1211.
Ibid.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 51, 21 décembre 1906, p. 1211et m. remy, Les Inventaires…, op. cit., p. 125.