D. La réorganisation administrative

a. La réorganisation des paroisses et des finances diocésaines

Une fois la loi de Séparation appliquée, il est nécessaire de réorganiser la gestion du diocèse ; les prêtres ne sont plus payés par l’État, même si certains perçoivent des « pensions ». Les biens de la mense et des fabriques sont placés sous séquestre avant d’être remis aux bureaux de bienfaisance ou à la commune suivant les cas. Les églises sont communales et seules les cathédrales reviennent à l’État660. Les fabriques ayant disparu avec la Séparation, il est nécessaire de reconstituer une organisation pour gérer la paroisse, même si celle-ci ne possède plus de biens. Ces derniers ayant été dévolus aux bureaux de bienfaisance ou aux municipalités. C’est par une ordonnance de novembre 1907 que sont institués les conseils paroissiaux661, qui sont les « rouages administratifs » de la paroisse. Ils doivent être établis dans chaque paroisse662, hormis le prêtre, ils doivent comporter cinq membres pour les paroisses de moins de mille habitants et sept pour celles de plus de mille habitants. Ces membres doivent être choisis parmi les « catholiques notables » et de préférence parmi les « anciens conseillers de la fabrique »663.

Au lendemain de la Séparation, il est également nécessaire de trouver un moyen financier pour assurer un salaire aux prêtres. Si les églises sont laissées gratuitement aux fidèles et aux prêtres pour la célébration du culte, ce n’est pas le cas des presbytères qui leur sont laissés contre une location664. Il est alors nécessaire de trouver des fonds en faisant appel à la générosité des fidèles, le denier du culte est né. À La Rochelle-Saintes, Mgr Le Camus met en place le « denier de la foi »665 en avril 1906, alors qu’à Rouen, Mgr Fuzet annonce dès janvier l’instauration du denier du culte666. Pour le diocèse d’Annecy, il se met en place au printemps 1906, et il est alors rappelé aux diocésains que « l’Église catholique, […est] spoliée et presque prisonnière de la secte des Francs-Maçons »667 et qu’il est donc nécessaire de venir en aide aux desservants des paroisses ; c’est donc aux fidèles de faire vivre leurs prêtres. Un certain nombre déclare qu’ils sont « disposé[s] à faire une offrande, à payer un nouvel impôt pour le curé de [leur] paroisse, mais pas pour les autres »668. Il est cependant clairement rappelé qu’il s’agit d’un « devoir de fraternelle charité, de solidarité chrétienne et sacerdotale » que de participer au denier du culte669. Un comité diocésain du denier du culte est constitué pour recevoir et répartir les dons. Il a la charge de faire « au prorata des recettes, un état de répartition du produit des souscriptions, qui sera basé en toute justice sur les besoins et les charges personnelles de chacun des ayants droits »670. C’est par une lettre pastorale de février 1907, « lue dans toutes les églises et à toutes les messes du 17 février »671, que Mgr Campistron définit clairement le mode de fonctionnement de « l’œuvre de la conservation de la foi dans le diocèse d’Annecy ou denier du clergé »672. Cette œuvre destinée à « remplacer le traitement des prêtres des paroisses »673 est placée directement sous l’autorité de l’Évêque (article III). C’est en son nom que les quêtes sont effectuées (article III) et c’est lui qui redistribue les fonds recueillis, « en accord avec les membres de [son] administration et des représentants du clergé désignés dans ce but »674. Les apports de chaque paroisse ne sont pas réellement libres, puisque chacune doit participer en se « conformant au tableau portant indication de la somme à fournir par elle »675. Trimestriellement, elles doivent verser les sommes reçues676. La mise en place de l’œuvre ne se fait pas sans heurts, puisqu’en octobre 1907, l’évêque rappelle que des « divergences ont eu lieu » au sein de son clergé quant à la mise en place de l’oeuvre677, c’est à cette occasion qu’il décide que les prêtres verseront les sommes reçues par semestres et non plus par trimestres678.

Une des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 porte sur la question financière, puisque l’article 2 stipule que la « République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte »679. C’est surtout à partir de 1910 que les choses deviennent plus difficiles pour la comptabilité diocésaine, car toutes les « allocations fournies […] par le gouvernement »680 sont définitivement supprimées. En effet, jusqu’à cette date, elles étaient réduites des « deux tiers » et cela permettait un apport. Le diocèse compte trois cents cures et la moitié de vicariats ; il est nécessaire de réunir annuellement trois cent trente-sept mille cinq cents francs681 pour assurer un salaire correct aux desservants. Cette participation plus ou moins volontaire682 des catholiques au financement des prêtres entraîne parfois quelques heurts avec l’administration communale. À Saint-Pierre-de-Rumilly, un procès-verbal est dressé contre le desservant qui s’est rendu dans tous les foyers pour les besoins du denier du culte, contrevenant ainsi à l’arrêté municipal du 30 août 1903 interdisant les quêtes sur le territoire communal. L’affaire portée devant la justice, donne raison au prêtre. L’arrêté municipal, considéré comme illégal, est annulé.683 Cette affaire illustre combien les rapports peuvent être tendus entre municipalité et desservants. Dans d’autres cas, les arrêtés municipaux relatifs aux processions684 seront également annulés par le Conseil d’État.

L’œuvre du denier du clergé bénéficie parfois de l’aide d’autres œuvres. Tel est le cas en 1913, à Chamonix, où un comité placé sous le patronage de saint François de Sales est crée685. Mgr Campistron n’hésite pas alors à déclarer que son diocèse « est un des plus pauvres de France »686. Cependant conscient de la richesse touristique de la région chamoniarde, il espère que « la colonie étrangère, qui vient chaque année admirer les sauvages beautés de nos sites […], comprendra une œuvre de toutes les plus importantes pour un diocèse absolument dépourvu des ressources nécessaires au culte »687.

La question financière est certes importante pour le clergé, mais il en est une autre qui est également préoccupante. Il s’agit de savoir si les prêtres peuvent ou non restés dans les presbytères. Cette question pourrait paraître secondaire, pourtant elle préoccupe tant l’administration diocésaine que préfectorale et elle est même parfois source de conflit entre le religieux et le laïc.

Notes
660.

Concernant celle d’Annecy elle suit le même procédé que les autres, toutefois au cours de la Première Guerre mondiale, pour une raison assez peu connue, le ministère des Beaux-Arts la considère comme propriété communale. Voir l’article de Christian Sorrel, «  À qui appartiennent les cathédrales ? Annecy ou l’exception française », in Nelidoff Philippe, dir., Les cités épiscopales du Midi actes du colloque tenu à Albi, les 31 mars et 1 er  avril 2005, Albi, Presses du centre universitaire Champollion, p. 403-414.

661.

La Croix de la Haute-Savoie, 10 novembre 1907.

662.

Ibid. Ordonnance instituant les conseils paroissiaux, article I.

663.

Ibid. article IV.

664.

Nous traiterons de cette question dans la sous-partie suivante.

665.

j.-ph. bon, Le diocèse de La Rochelle-Saintes…, op. cit., p. 42.

666.

n.-j. chaline, Les catholiques normands…, op. cit., p. 105.

667.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 22, 1er juin 1906, p. 512.

668.

Ibid.

669.

Cette formule est adoptée lors de l’assemblée de l’épiscopat des 31 mai et 1er juin 1906.

670.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 22, 1er juin 1906, p. 512.

671.

La Croix de la Haute-Savoie, 24 février 1907.

672.

Ibid.

673.

Ibid.

674.

Ibid. Article VI.

675.

Ibid. Article II.

676.

Ibid. Les versements se font le premier des mois d’avril, de juillet, d’octobre et de janvier (article V).

677.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 43, 25 octobre 1907, p. 1013.

678.

Ibid.

679.

Loi du 9 décembre 1905. Titre Premier. Article 2. « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».

680.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 7, 12 février 1909, p. 149-150.

681.

Ibid., p. 150. En sachant qu’il y a environ 260 000 paroissiens, ils devraient fournir chacun environ 1,30 francs.

682.

Il faut bien avouer que les prêtres suivant les directives épiscopales influent fortement sur les paroissiens pour qu’ils participent au denier du culte. L’évêque va même jusqu’à écrire que les Catholiques doivent tous, en conscience, contribuer à cette œuvre.

683.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 37, 13 juillet 1907, p. 872-874.

684.

Nous évoquerons cette question dans la seconde partie. Cf. infra, p. 250.

685.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 30, 25 juillet 1913, p. 472.

686.

Ibid.

687.

Ibid.