Les séminaristes sont renvoyés chez eux jusqu’à nouvel ordre. L’évêque, comme les professeurs, souhaite trouver rapidement une solution, afin que les élèves ne restent pas trop longtemps dans un monde où les tentations pourraient être grandes. Dès le 19 décembre, l’abbé Lesage, directeur de l’orphelinat de Chens-sur-Léman, offre à Mgr Campistron « sa maison de Saint-Joseph-du-Lac pour réunir les séminaristes »745. Huit jours plus tard et avant d’accepter la proposition, l’évêque dépêche sur les lieux l’abbé Chevalier, prévôt du Chapitre, le chanoine Rebord, supérieur du grand séminaire, et l’abbé Morand, économe. Il ressort de cette visite que, moyennant quelques travaux, la maison pourra accueillir les séminaristes, dans un bref délai. La situation est telle que les « commissaires »746 ne peuvent refuser. Les administrateurs nommés pour ouvrir le nouvel établissement, qui prend le nom « d’Ecole de Théologie catholique »747, présentent une déclaration comme le prévoit la loi du 12 juillet 1875. Toutefois, « l’Inspection académique a refusé jusqu’au 10 janvier 1907 le récépissé des pièces déposées »748. C’est le 5 février que la rentrée a lieu dans les nouveaux locaux de Saint-Joseph. Et c’est ce même jour, que Mgr Fodéré, évêque de Maurienne, adresse un courrier au chanoine Rebord afin de lui demander d’accepter les séminaristes de son diocèse, « expulsés brutalement le 14 décembre dernier »749, comme ceux d’Annecy. Le supérieur accepte naturellement d’accueillir ces jeunes mauriennais, qui sont prévenus de façon « à entrer au séminaire vers le 20 »750 février. Ils y arrivent le 27, au nombre de quatre, avant que quatre autres ne les rejoignent751. C’est également dans ce même mois, qu’une lettre signée par mille deux cent étudiants de Rome, représentant près de soixante nations, parvient à Chens. Ces étudiants expriment leur soutien à leurs homologues en ces temps de crise752.
L’enseignement est le même que celui dispensé à Annecy, à l’exception près que « un seul professeur, au lieu de deux [est] maintenu pour chacun des trois cours »753. Trois prêtres quittent le séminaire. Sans doute les locaux ne permettaient-ils pas une aussi bonne aisance qu’à Annecy. Nous pouvons également nous demander si cette suppression ne répond pas aussi à la baisse du nombre d’entrée754. Ces trois prêtres étaient tous les trois en fonction depuis 1900. Ils occupaient les chaires de dogme spécial et de morale pour l’abbé Chaumontet – qui est d’ailleurs promoteur de l’officialité diocésaine depuis 1900 –, celle d’histoire ecclésiastique pour l’abbé Belleville, enfin l’abbé Pernoud est professeur de philosophie tout en occupant également la chaire de dogme fondamental.
Sans doute est-il vrai que les locaux de Chens ne permettaient pas d’accueillir ces professeurs, mais sachant que Mgr Campistron « exclut des maîtres suspects de modernisme »755 en 1907, nous pouvons nous demander si ces trois prêtres n’auraient pas été nommés dans des paroisses, sous le prétexte de manque de place à Chens. Mais ce n’est là qu’une supposition, nous n’avons rien trouvé qui infirme ou confirme cette hypothèse. De plus, les papiers de l’épiscopat Campistron ayant totalement disparu des archives diocésaines, il est difficile de conclure sur cette affaire. Le chanoine Rebord ne donne aucune indication supplémentaire sur le choix des prêtres à ne pas reprendre à Chens.
L’installation à Chens ne se fait pas sans laisser quelques petits problèmes notamment face à la cantine. En effet, avant le 20 juin 1907, une lettre est adressée au supérieur, parmi les signataires, nous trouvons les séminaristes Clavel et Cuttaz756. Ils s’adressent en ces termes à leur supérieur : « Cette démarche nous répugne, mais elle est devenue nécessaire. Toute la communauté se plaint – avec raison – et souffre de la manière dont est préparée la nourriture. En présence des graves conséquences qu’en résultent pour le travail, le bon esprit et la piété, nous nous recommandons à vous, comme des enfants à leur père, cher M. Le Supérieur, afin que se produise une amélioration sensible et durable »757.
Après l’orphelinat de Saint-Joseph, qui est tout de même un peu isolé de l’évêché758, le séminaire quitte les rives du Léman pour se rapprocher de celles d’Annecy. En effet, c’est en 1912 qu’il s’installe à Tessy. Une nouvelle fois, les séminaristes bénéficient du départ d’une congrégation, celle des sœurs franciscaines, installées ici depuis plus de trente ans. C’est par une lettre du 28 septembre 1910 que la préfecture annonce aux sœurs qu’elles ne peuvent plus rester à Tessy, l’établissement devant être fermé759. Les religieuses quittent alors la Haute-Savoie pour rejoindre Villeurbanne où tout avait commencé pour elles. Elles n’étaient pas directement propriétaires des biens qui étaient sous tutelle. Suite à diverses affaires juridiques, les biens sont mis en vente aux enchères publiques. C’est l’abbé Ogier, directeur de la Revue du Diocèse d’Annecy, qui, le 5 juin 1912, acquiert les bâtiments pour vingt-cinq mille francs760. Ce dernier, devenu propriétaire des bâtiments, décide d’y installer le grand séminaire.761 Après de nombreux travaux, et le rachat de tout le nécessaire762, l’établissement ouvre ses portes à la mi-octobre 1912. Concernant l’ameublement progressif des lieux, le séminaire bénéficie de la générosité de diverses communautés, telles les Sœurs de Saint-Joseph763 qui en quittant leur maison d’Évian-les-Bains donnent un maître-autel, une table de communion et la chaire764. En 1913, devant l’étroitesse des lieux – notamment pour l’accueil des prêtres lors des retraites ecclésiastiques –, il devient nécessaire de construire un nouveau bâtiment. Sa construction sera presque achevée en juillet 1914.
Qu’en est-il des ordinations dans la période suivant la Séparation ? Il ne semble pas que ces événements aient une influence importante sur les ordinations765. En 1909, lorsqu’Alfred-Denis Clavel est ordonné, il semble qu’il n’y ait pas assez de postes pour les nouveaux prêtres. Dans ses souvenirs, l’abbé Clavel écrit qu’« à la fin de [son] séminaire, [ils étaient] douze à recevoir l’ordination. Le supérieur [leur] fit part de l’invitation de Mgr à chercher une situation ailleurs, faute de postes766 pour [eux] dans le diocèse ». Il termine en déclarant qu’il fut le « seul à porter [son] acquiescement au supérieur »767.
La courbe allant de 1902 à 1914 montre un certain maintien du nombre d’ordinations pour le diocèse d’Annecy, alors que pour celui de Chambéry il y a une baisse768. Pour le diocèse, la moyenne annuelle d’ordinations est de 13,69 pour la période 1902-1914769. Nous avons pu constater que la courbe des ordinations subissait depuis son apogée de 1884 une lente diminution passant de cent vingt-cinq ordinations entre 1881 et 1885 à quatre-vingt-cinq entre 1901 et 1905. Cependant entre 1906 et 1910 le nombre passe à cinquante-huit, mais se maintient les cinq années suivantes (cinquante-et-un)770. Cette diminution est-elle véritablement liée à la Séparation ou à une « saturation » des postes disponibles ?771 La fermeture des petits séminaires aurait-elle entraîné, ou tout au moins, influencé cette tendance ? Il semble bien que les trois éléments soient liés ; les deux derniers devant être plus importants que le premier. Par ces fermetures, le diocèse se trouve privé de deux établissements « recruteurs » puisqu’à la veille de la Séparation, la moitié des élèves entrant à Annecy venaient de Mélan et d’Évian772. La diminution des ordinations est moins brutale que pour les trois autres diocèses savoyards, celui d’Annecy devance celui de Chambéry773, confirmant ainsi « sa vitalité ». Cependant, les ordinations sont parfois trompeuses et laisseraient penser que la Séparation n’a pas eu d’influences sur les entrées au séminaire. Leur nombre connaît une chute importante pour l’année 1906-1907 : seuls sept élèves y entrent, contre vingt-cinq les deux années précédentes ; l’année 1907-1908 est meilleure avec vingt-et-une entrées. Ensuite, le chiffre vascille ensuite entre six et neuf entrées par an. Comme le rappelle un article de La Croix, du 4 janvier 1906, « hier le sacerdoce était une position modeste mais assurée demain il ne sera plus qu’une vocation »774. Il est vrai que la Séparation n’accorde plus aux prêtres l’assurance d’une situation « aisée », les familles paysannes hésitent peut-être à envoyer leurs fils au séminaire. Parmi tous ces élèves entrés entre 1906 et 1914, seule la moitié sont ordonnés, dont certains presque dix ans après le début de leurs études775. Pendant cette période, ils sont quatre-vingt deux à aspirer au sacerdoce, quinze meurent à la guerre ou de ses conséquences et près d’un quart abandonne776. En 1911, Mgr Campistron ordonne quinze prêtres, tous entrés à la veille de la Séparation, quelques-uns sont entrés en 1903-1904, et plus de la moitié en 1904-1905. Le même phénomène est visible en 1912, où quinze prêtres sont ordonnés. Leurs arrivées au séminaire s’échelonnent entre 1901-1902 (une) et 1907-1908 (une), la majorité étant de la promotion 1905-1906 avec onze ordinants777. Il semble que la première rentrée après la Séparation (1906-1907) soit peu fructueuse puisque sept élèves entrent et seulement quatre seront ordonnés778, un en 1912 et trois en 1913779. Les quinze prêtres ordonnés en 1914, à l’exception d’un seul780, sont tous entrés en 1907-1908, c’est la première promotion à voir plus de 70 %781 de ses élèves ordonnés, mais la moitié d’entre eux sont tués à la guerre. La guerre interrompt les ordinations, ralentit les entrées et favorise les départs de ceux dont la vocation n’est pas encore véritablement confirmée.
Même si un certain nombre de questions préoccupantes concernant la situation des prêtres, il n’en reste pas moins que la Séparation ne clôt pas les débats relatifs à l’enseignement religieux ou aux congrégations.
AAS. Boîte Rebord. Grand séminaire, n° 3. Feuille manuscrite du Chanoine.
Ibid.
ch.- m. rebord, Grand séminaire…, op. cit., p. 203.
Ibid.
AAS. Boîte Rebord. Grand séminaire, n° 3. Lettre de Mgr Fodéré au chanoine Rebord, 5 février 1907.
Ibid. Lettre de Mgr Fodéré au chanoine Rebord, 9 février 1907.
ch.- m. rebord, Grand séminaire…, op. cit., p. 207.
AAS, Boîte Rebord. Grand séminaire, n° 3.
ch.- m. rebord, Grand séminaire…, op. cit., p. 204.
La rentrée 1905-1906 a accueilli 25 élèves alors que celle de 1906-1907 en accueille 7.
Dans son rapport ad limina de 1912, Mgr Campistron dit qu’à « la fin de l’année 1905 et au début de l’année 1907, il a expulsé, du séminaire, quatre maîtres qui s’éloignaient de la vraie doctrine et les a écartés de leur charge d’enseignement ».
Nous aurons à reparler d’eux ultérieurement. Le premier s’occupera pendant plus de vingt années de la Jeunesse catholique, alors que le second restera plus de quinze années supérieur du Grand séminaire. Voir leur photo en annexe n° 12.
AAS, Boîte Rebord. Grand séminaire, n° 3. Lettre adressée au chanoine Rebord. Nous avons fixé la date, par rapport à l’un des signataires, qui se noie le 20 juin 1907.
Chens ne dispose pas d’une gare ferroviaire. Il est nécessaire de se rendre à la gare de Machilly pour venir à Annecy.
ch.- m. rebord, Grand séminaire…, op. cit., p. 218.
Soit environ 74 867,25 euros (2006).
ch.- m. rebord, Grand séminaire…, op. cit., p. 220.
Ibid., p. 221. Lorsque l’abbé Ogier prend possession du bâtiment, il est « complètement vide », contrairement à l’orphelinat de Chens, où se trouvait le nécessaire pour ouvrir l’établissement rapidement.
Les sœurs résidant à Annecy avaient déjà accueilli les professeurs et des élèves malades en décembre 1906.
ch.- m. rebord, Grand séminaire…, op. cit., p. 221. Des prêtres offrent les autels de la Vierge et de Saint-Pierre.
Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire rappellent que dans la région Rhône-Alpes, « seul le diocèse d’Annecy souffre peu de la Séparation ». g. cholvy, y.-m. hilaire , dir., Histoire religieuse de la France. Géographie, XIX e -XX e …, op. cit., p. 159.
N’y a-t-il que le problème de poste ou à celui-ci s’ajoute la question des salaires ? Ces derniers n’étant plus assurés par l’État.
ADA. 1 D 21. Boîte Mgr Clavel, divers. a.-d. clavel, Quelques jalons pour ma vie. Finalement il n’est pas parti à Fribourg comme il le prévoyait. Il a été nommé premier vicaire à Saint-Maurice d’Annecy.
Voir les annexes nos 44 et 45 pour les courbes des ordinations dans les diocèses d’Annecy et de Chambéry (n° 44) et dans les quatre diocèses de Savoie (n° 45).
Pour Chambéry, elle est de 6,53. Pour la Maurienne et la Tarentaise, elle est de 2,3 et 2,07. Le nombre d’ordinations quinquennales passent respectivement entre 1901-1905 et 1906-1910 de 52 à 28 ; 23 à 6 et 20 à 9.
La guerre interrompt les ordinations, les cinq années qui suivent la fin du conflit voient une lente reprise des ordinations, mais il faut tenir compte des retards pris à cause du conflit, des vocations tardives… À partir de 1926-1930, la courbe ne cesse d’augmenter, pour atteindre un maximum en 1946-1950, où le nombre d’ordinations est supérieur à celui de 1896-1900 ; une lente diminution s’amorce ensuite. Le même phénomène est visible dans les trois autres diocèses savoyards, où seul celui de Tarentaise connaît une forte remontée de la courbe, mais suivi par une chute brutale le quinquennat suivant.
À partir de 1904, les ordinations sont toujours inférieures aux décès. Entre 1904 et 1914, il y a 126 ordinations et 157 décès (soit 1 ordination pour 1,25 décès). Le phénomène est largement accentué par la guerre : 34 ordinations entre 1914 et 1924, pour 163 décès (1 ordination pour 5 décès).
La présence des petits séminaires semble être assez importante, c’est du moins ce qui sera visible dans les années 1920 à Thonon-les-Bains.
c. sorrel, Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, t. 4, à paraître.
La Croix, 4 janvier 1906.
La guerre retarde beaucoup les ordinations.
Ils sont 20 à abandonner, certains après la guerre, d’autres après le service militaire, un se rengage dans l’armée.
Un est de 1904-1905 et un de 1906-1907.
Un est mort, un ne rentre pas le 5 février 1907, un part aux missions étrangères, un est ordonné en 1912.
Un élève entré en 1908-1909 est ordonné en 1913.
Il entre en 1909-1910.
Le taux le plus bas est enregistré pour la promotion 1913-1914, où huit élèves entrent et seulement un est ordonné : 4 meurent pendant la guerre dont un de la grippe (il s’agit du jumeau de celui qui est ordonné) et trois abandonnent.