A. Faire face à la situation

1905 a été une date clé pour l’Église de France, mais elle peut également l’être dans les relations franco-allemandes. Depuis le début du siècle, des tensions se font sentir entre la France et l’Allemagne à propos du Maroc. Les incidents de Tanger (1905) et la crise de 1911 laissent penser qu’un conflit n’est pas à exclure. De plus, dans un climat international tendu, les crises successives dans les Balkans ne cessent de peser toujours plus. Lors de la préparation aux élections de mai 1914, la Revue du Diocèse d’Annecy ne manque pas de souligner que « le moment est plus solennel que jamais » puisqu’il « s’agit de savoir s’il y aura encore une France, ou non. L’Europe est en armes, la guerre peut éclater demain, et ne pensez pas qu’elle soit une simple démonstration militaire. Au dire des hommes compétents, celle de 1870 aurait été un jeu d’enfants en comparaison »1517. C’est le 17 juillet 1914, que la Revue du Diocèse d’Annecy consacre un article à l’assassinat de l’archiduc d’Autriche à Sarajevo qu’elle qualifie de « crime abominable [qui] a causé sur tous les points du monde autant de regrets que de stupeur »1518. Aujourd’hui, il peut paraître surprenant d’évoquer cet événement presque trois semaines après qu’il ait eu lieu. Cependant les contemporains ne voient pas son importance ; pour eux, il s’inscrit dans les tensions qui secouent les Balkans depuis plusieurs années. Christian Sorrel rappelle également que « les conditions de diffusion de l’information permettent de comprendre, en partie au moins, l’état d’impréparation de l’opinion publique devant la montée des périls internationaux. La presse locale, si vivante dans chaque arrondissement au début du XXe siècle, n’offre pas d’analyse pertinente des questions diplomatiques : l’assassinat de Sarajevo est interprété comme un drame familial »1519.

La dernière semaine de juillet 1914 connaît un climat lourd : les incertitudes sont nombreuses, tous pensent à la guerre, mais tous espèrent aussi qu’elle sera évitée et pourtant, le 1er août c’est la mobilisation générale. Loin des images d’Épinal1520, ce n’est pas la joie qui s’exprime pour beaucoup de diocésains – comme dans le reste du pays – mais c’est plutôt « la stupeur, l’étonnement pour le moins »1521 surtout dans les campagnes. L’enthousiasme est plus rarement présent1522, comme en témoigne le récit de l’instituteur de Cuvat : « Les gendarmes arrivent vers 5 h 30 du soir. Le tocsin sonne, on affiche l’ordre de mobilisation. Les femmes ont des larmes. Les hommes ont encore l’espoir que ce ne sera qu’une fausse alerte. Beaucoup doivent être plus tristes qu’ils ne le paraissent. On se demande : quand pars-tu ? Ceux qui partent le 1er jour (dimanche matin), se préparent : adieux, sacs de vivres, recherche de monnaie »1523. Les travaux de Jean-Jacques Becker ont montré que pour les paysans Savoyards, « la mobilisation est une mauvaise nouvelle qui ne déclenche aucune ivresse patriotique »1524 puisque « dans 52 % des communes qui ont répondu à l’enquête de 1915-1916, l’accueil est réservé »1525. Dans 34 % des communes, c’est avec sang-froid que la population réagit : ne souhaitant pas la guerre, elle l’accepte puisqu’elle est inévitable1526. Dans le diocèse, l’Alsace-Lorraine n’est pas évoquée au moment du départ. Comme le souligne Jean-Jacques Becker, « le ressort de l’attitude des Français au moment du départ se trouve dans la conviction de l’agression »1527, les soldats partent confiants car il faut défendre la France attaquée, ils partent non pas en conquérants mais « avec la résolution du devoir à accomplir »1528. À la veille de la guerre, les combats entre les cléricaux et les républicains étaient encore violents. L’évêque évoquait alors les trois fléaux que connaissait la France à ce moment : l’école laïque, le dimanche païen et les journaux impies1529. Cependant, il semble que le clergé comme les fidèles répondent à l’appel lancé pour l’Union sacrée. Tous s’unissent dans un effort commun destiné à sauver la patrie.

Le 7 août, la Revue du Diocèse d’Annecy publie une lettre pastorale de l’évêque datée du 3 août1530. Dans cette dernière, oubliant les différences politiques et les querelles du passé, Mgr Campistron rappelle que, « vainement, [les] gouvernants, en ces angoissantes circonstances, ont épuisé toutes les ressources de la sagesse, de la prudence et de la plus extrême réserve, pour éviter un conflit dont les conséquences sont incalculables. Vainement les hommes d’État, amis de notre pays, ont essayé de tous les moyens pour prévenir le redoutable malheur d’une conflagration universelle »1531. Le prélat, comme tous les catholiques, se mobilise pour la défense de la patrie et rappelle que la France « demande à ses enfants de venir au secours de la patrie en danger pour défendre son sol sacré et sauver l’héritage glorieux que nos pères leur ont légué »1532. Les Savoyards ne partent pas la fleur au fusil ; ils sont plutôt préoccupés par les « moissons qui jaunissent dans [les] champs » et qui ont « besoin de tant de bras vaillants ! »1533

Mgr Campistron doit faire face rapidement à la désorganisation causée par la mobilisation et par les effets de la loi de Séparation, qui a un peu réduit le nombre des ordinations. En effet, depuis 1889 et la loi sur le service militaire, où les adversaires du clergé scandaient : « curé sac au dos ! », les séminaristes et les prêtres sont appelés sous les drapeaux pour effectuer leur service militaire. En cas de guerre, ils sont mobilisés. Deux cas de figure se présentent à eux. En règle générale, sont versés dans les services sanitaires (brancardiers, ambulanciers, infirmiers), les prêtres ordonnés avant la Séparation, alors que les autres rejoignent les unités combattantes. Se pose alors le problème du port des armes qui est interdit par le droit canon. Toutefois, en 1912, cette interdiction est atténuée par un avis de la Sacrée Pénitencerie qui reconnaît l’incorporation comme une contrainte1534. Le 3 février 1917, la Chambre vote l’amendement Sixte-Quenin, qui modifie « les lois militaires de 1889 et de 1905 qui versaient les ecclésiastiques des classes 1889-1905, dans le service auxiliaire »1535 et qui prévoit leur envoi dans les corps de troupe.

À l’été 1914, ce sont quarante-deux curés, quatre-vingt-seize vicaires, soit le quart des desservants, qui sont mobilisés1536. À ceux-là s’ajoutent vingt-trois autres prêtres1537 et vingt-cinq séminaristes1538. Au total ce sont donc cent quatre-vingt-six membres du clergé1539 qui partent sous les drapeaux. Le diocèse ne fait pas partie de ceux qui sont le plus touchés ; en général « la mobilisation massive des ecclésiastiques […] atteint entre le tiers et la moitié du clergé selon les diocèses »1540. En comparaison, dans le diocèse de Chambéry se sont 44,26% des prêtres qui sont mobilisés1541. Aucune paroisse importante (Annecy, Thonon-les-Bains) n’est privée de prêtres, en revanche tous les vicaires ou presque partent ; Thônes, Chamonix ou Saint-Maurice d’Annecy voient partir les deux vicaires.

Pour pallier à ces départs, Mgr Campistron fait appel « à la bonne volonté des prêtres que leur âge ou leurs infirmités avaient réduits au repos »1542, ajoutant que c’est pour eux un « grave devoir de conscience de pourvoir aux besoins de tant d’âmes qui vont se trouver sans aucun secours spirituel »1543. Il leur demande de bien vouloir se rendre le plus rapidement possible dans les paroisses privées de desservants car il est « souverainement bon que le Saint Sacrifice de la Messe ne soit interrompu, même un seul dimanche, dans aucune paroisse du diocèse »1544. Une liste publiée le 7 août montre que quarante et une paroisses bénéficient d’un prêtre remplaçant. Ils sont douze professeurs1545, vingt-cinq prêtres en repos ou en retraite, dont l’abbé Ogier qui dessert Saint-Germain-de-Talloires. Enfin, quatre paroisses sont desservies par un prêtre voisin1546. Malgré les événements, le diocèse peut continuer à fonctionner presque « normalement ». Avant le départ pour le front, certains restent en cantonnement à Annecy. Tel est le cas du vicaire d’Annecy-le-Vieux, qui a « l’autorisation de coucher à la cure » et qui peut ainsi « servir tous les dimanches pour aider le curé dans le service de la paroisse»1547. À Thônes, le service spirituel se réorganise « tant bien que mal grâce au dévouement d’un professeur du collège »1548, alors qu’à Chavannaz il est « assuré par un très vieux prêtre jouissant de sa retraite »1549 dans la paroisse, ou encore à Cornier où il est célébré par les prêtres de La Roche-sur-Foron. Du 6 janvier au 17 août 1915, c’est l’abbé Peccary, un Meurthe-et-Mosellan, qui s’occupe de la paroisse. Après cette date, le desservant est réformé et il reprend ses fonctions d’avant-guerre1550. De façon à connaître la situation dans chaque paroisse, l’évêque lance un appel le 21 août 19141551.

Mgr Campistron prend plusieurs résolutions destinées à faciliter la continuation de la célébration du culte. C’est pour cette raison qu’il accorde à chaque prêtre « toute juridiction pour toute l’étendue de l’archiprêtré où il est en fonction », ainsi que l’autorisation de biner1552 « dans la même église ou dans une église différente lorsqu’il le jugera nécessaire »1553. L’Ordinaire lève également l’interdiction d’utilisation de la bicyclette, il l’autorise à « chaque fois que l’exigera le service du ministère paroissial »1554. Face au manque de prêtres, il décide de supprimer les retraites ecclésiastiques annuelles, demandant à ceux qui devaient y participer de bien vouloir assister à une retraite particulière de leur choix1555. À la fin octobre 1914, Mgr Campistron recommande aux prêtres qui devraient partir de « rechercher quel serait le meilleur moyen de pourvoir au service de leurs paroisses et de l’indiquer à l’Evêché, en même temps qu’ils l’aviseront de leur départ dès qu’ils connaîtront leur appel »1556. En 1915, afin de faciliter « l’accomplissement du devoir pascal [et] en vertu d’un Indult », l’évêque autorise « l’ouverture du temps pascal, à partir du 12 mars, premier dimanche de Carême »1557. L’année suivante, afin que tous les diocésains puissent recevoir la communion pascale, l’Ordinaire les autorise à la recevoir exceptionnellement dans une paroisse différente de la leur1558. Dans un autre domaine et devant les difficultés liées à la main d’œuvre, les prêtres donnent des autorisations spéciales pour travailler le dimanche, comme à Saint-Jorioz1559.

En septembre 1914, Pie X meurt, dit-on, de la « douleur éprouvée […] à la vue de cette guerre européenne »1560. C’est l’occasion pour l’évêque de se demander si la guerre et la mobilisation ne suffisaient pas comme malheurs pour les catholiques. Il se réjouit cependant de l’élection de Benoît XV. Après les difficultés de l’année 1914, le diocèse prend un certain rythme de vie. Après le décès du vicaire général Bel, Mgr Campistron fait appel au directeur de la Revue, le chanoine Moccand qui retrouve le poste de vicaire général, ainsi qu’au chanoine Rebord, supérieur du Séminaire, qui accepte de l’aider dans les fonctions de vicaire général1561. À la fin de l’année 1915, devant la douleur des événements que la France vit, l’évêque décide – comme en 1905 – de réduire au maximum les frais de cartes de vœux et de ne recevoir aucune visite à l’occasion du nouvel an ; il le fait jusqu’en 1918 inclus1562. De la même façon, il demande à supprimer tout le faste extérieur lors des cérémonies de la confirmation, souhaitant que seuls les enfants y assistent1563.

La Revue du Diocèse d’Annecy doit diminuer sa pagination de moitié ; et le 1er octobre 1917, en raison de la cherté du papier, le prix du numéro est multiplié par deux, puisqu’il passe de cinq à dix centimes1564. Malgré la diminution des textes extraits d’autres bulletins diocésains, la Revue incite constamment les fidèles à la prière, au patriotisme afin que la France injustement attaquée gagne cette guerre. Cette dernière verra la civilisation (chrétienne) l’emporter sur la barbarie (protestante et allemande), le Bien l’emportera donc sur le Mal. Les notices nécrologiques, les citations ainsi que les courriers adressés par les séminaristes ou les prêtres au front prennent également une large place dans la revue. Paul Tapponnier, toujours président de l’ACJF, adresse des nouvelles et des directives via la Revue. Devant le conflit qui semble s’installer, les cartes « individuelle[s] d’alimentation et [les] tickets de consommation »1565 deviennent nécessaires. Le 19 avril 1918, un communiqué de l’évêché demande aux prêtres d’informer leurs paroissiens sur les modalités d’utilisation de ces documents.

La Revue doit faire face à la censure, qui est de plus en plus sévère. En 1915, elle interdit la publication d’un appel de Benoît XV sur la paix, les pages restent blanches1566. La censure suit les instructions données par le préfet, à tous les sous-préfets, via un message codé du 31 janvier 1915. Dans ce dernier, il est demandé d’ « arrêter les semaines religieuses et tous les journaux reproduisant [les] décrets du Pape ou mandements épiscopaux instituant [des] prières publiques ou contenant des appels en faveur de la paix et à censurer à l’avenir très sévèrement les articles ou avis de cette nature »1567. Le préfet ne faisant qu’exécuter lui-même les directives du président du Conseil qui ordonne la censure des propos de Benoît XV1568. Il est vrai que le Pape « a exhorté à maintes reprises les peuples à conclure une paix juste et offert ses bons offices ou sa médiation en vue d’une pacification générale »1569. En 19171570, il tente une médiation qui est mal perçue par une majorité de catholiques qui y voient la volonté de sauver l’empire austro-hongrois1571.

À l’occasion des mandements et lettres pastorales pour le Carême, l’évêque n’interrompt pas sa thématique d’avant-guerre : les enseignements sur l’Église, son institution. Son « impulsion première »1572 le portait à traiter de la situation du moment, cependant, il préfère entretenir ses prêtres de choses surnaturelles, puisque les « feuilles publiques sont remplies de ces sujets patriotiques qui sont l’objet de[s] lectures quotidiennes et qui reviennent sans cesse dans toutes les conversations »1573. Il est là dans un sens contraire à la plupart de ses confrères, puisque, comme le souligne Jacques Fontana, « les évêques français ont beaucoup écrit […] à propos de la guerre. Leurs mandements de Carême en témoignent »1574. Mgr Campistron n’évoque presque pas le conflit dans ses communiqués ou lettres pastorales, les seules évocations qu’il fait sont toutes religieuses, c’est-à-dire qu’il prescrit des prières, encourage les initiatives de célébrations… Ses interventions se placent toujours sur le terrain de la religion. Lorsque la Revue du Diocèse d’Annecy évoque la guerre, le plus souvent c’est parce que le bulletin reprend un document pontifical ou celui d’un évêque français. Cependant, en septembre 1915, lorsqu’un appel est lancé pour collecter de l’or, l’évêque d’Annecy demande à ses diocésains de participer à cet effort de guerre, son intervention se faisant ici sous l’angle patriotique.

La vie religieuse se poursuit, même si l’activité des œuvres est parfois suspendue, à l’exception, peut-être, de la Ligue des femmes françaises. Les conférences faisant intervenir des prêtres étrangers au diocèse ne semblent plus possibles. Le 9 avril 1915, le gouverneur militaire de Lyon rappelle que « toute conférence de l’abbé Desgranges est interdite sur le territoire de la XIVe région »1575. Il ajoute également que, pour qu’une conférence ait lieu, une autorisation doit lui être remise et le sujet de la causerie doit lui être communiqué1576.

En septembre 1916, l’apostolat de la prière s’intéresse à la prospérité des œuvres de jeunesse1577. L’ACJF continue à vivre même si elle est en quasi-léthargie, la plupart de ses membres étant mobilisés. Pour Tapponnier, durant cette période, l’action de l’Association « a surtout été de défendre la Patrie »1578. Même mobilisé (au 230e RI), il continue à entretenir des rapports avec l’Évêque, qui le félicite d’ailleurs en septembre 1914 pour l’appel qu’il a adressé à la jeunesse catholique pour « mettre en garde les jeunes contre le découragement résultant des longueurs de la guerre »1579 ; car comme il le souligne « c’est bien le mot d’ordre qu’il faut donner partout : tenir et devoir attendre la victoire que nous devrons à la vaillance de nos chers combattants »1580. Les journaux catholiques (Revue du Diocèse d’Annecy, Nouvelliste de Lyon) publient des articles de Tapponnier dont la plume est connue de tous. Dans ses courriers, s’autocensurant, il évoque finalement peu la vie quotidienne au front1581. Il insiste sur la ferveur rencontrée chez les combattants, dont un certain nombre ne fréquentaient ni ACJF ni église à la veille du conflit. Il encourage les jeunes de l’ACJF, encore à l’arrière, à poursuivre leurs efforts. Cependant en 1918, atteint par la limite d’âge, il propose sa démission à Mgr Campistron1582. Peut-être aussi a-t-il peur de ne pas revenir de ce conflit qui dure depuis quatre années et dont il ne connaît pas l’issue. Son prédécesseur, Fabien Bergoënd, qui avait donné son élan initial au mouvement, lieutenant de réserve au 6Régiment d’Artillerie de campagne, est tué le 1er octobre 1915 par un éclat d’obus1583.

Si l’évêque a rapidement dû faire face à la désorganisation née de la mobilisation de ses prêtres, il n’en reste pas moins qu’il doit se préoccuper du recrutement dans les petits séminaires. Cependant, ces derniers sont également victimes de la mobilisation, puisque plusieurs professeurs sont sur le front.

Dès le 11 septembre 1914, annonce est faite que la rentrée dans les établissements secondaires est ajournée jusqu’à nouvel ordre1584. Un mois plus tard, un nouveau communiqué signale que la rentrée, qui était espérée avant les fêtes de Toussaint, ne pourra avoir lieu, puisque l’autorité ecclésiastique se trouve « devant l’impossibilité […] de rendre à leurs fonctions d’enseignement les professeurs soit actuels, soit anciens, à qui Mgr a confié quelques-unes de nos paroisses sans prêtre »1585. La fermeture forcée des établissements secondaires n’est pas sans incidence sur les entrées au séminaire dans les années d’immédiat après-guerre. Au grand séminaire, il reste dix élèves du diocèse auxquels s’ajoutent trois Mauriennais, parmi ces treize élèves, six ne sont pas encore atteints par la conscription1586, trois sont réformés1587, trois sont ajournés1588, auxquels s’ajoute un réformé temporaire1589. Fin novembre, ce sont encore huit séminaristes qui partent1590, il reste alors à Tessy sept laïques, quatre tonsurés, un acolythe et deux sous-diacres. Le 17 janvier 1915, c’est le chanoine Gavard qui prend la direction du grand séminaire, son prédécesseur Rebord étant appelé à d’autres fonctions1591. En mars 1915, répondant à une demande de l’inspection académique, le supérieur rappelle qu’il a quarante-six élèves sous les drapeaux et que, parmi les douze qui restent, quelques-uns doivent partir1592. En novembre 1915, l’apostolat de la prière se consacre aux vocations, qui seront l’une « des principales nécessités de l’Église au lendemain de l’effroyable crise »1593 qu’est la guerre. Le séminaire est transféré à Chambéry jusqu’en 1918.

Entre 1915 et 1919, seulement deux prêtres sont ordonnés1594. Les vocations deviennent une source de préoccupations face à un conflit qui dure, et devant le nombre de prêtres et de séminaristes qui tombent au champ d’honneur. Cette question a toujours beaucoup préoccupé le clergé mais « les vides si terribles auparavant, [qui] sont effrayants aujourd’hui »1595 le pousse à s’intéresser encore plus à cette question. Il est à craindre que des paroisses bien desservies avant-guerre ne soient privées de pasteur. Des appels sont adressés aux parents chrétiens pour qu’ils aident leurs enfants à devenir prêtre. En octobre 1916, la rentrée semble « de nature à apporter quelque consolation aux âmes vraiment catholiques »1596, puisqu’un certain nombre d’enfants entrent à La Roche-sur-Foron. Appel est fait aux mères catholiques pour qu’elles communiquent autour d’elles la « flamme du dévouement » et qu’elles encouragent leurs enfants vers le sacerdoce pour qu’un « nouveau printemps voit se produire, nombreuses et bénies, des générations de prêtres pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes ! »1597. Un pressant appel est lancé aux diocésains afin qu’ils participent à l’œuvre de Saint-André et qu’ils puissent ainsi aider les enfants se destinant à la carrière ecclésiastique. Ne serait-il pas dommage qu’un enfant soit « arrêté à l’entrée du sanctuaire, faute de l’aide matérielle qui aurait valu au diocèse un bon serviteur ? »1598.

Après avoir constaté que le diocèse était moins touché que d’autres par la mobilisation des prêtres, et qu’il réussit à faire face à la désorganisation, nous pouvons à présent nous interroger sur les modifications qui interviennent dans la vie religieuse.

Ces épreuves douloureuses, signe d’un châtiment divin punissant la France pour sa laïcité, ne donnent-elles pas lieu à un certain retour vers les autels ? Si oui, ce retour constitue-t-il quelque chose d’exceptionnel ou est-il simplement un changement dans les heures d’angoisse ? Nous pouvons également nous demander si des prières « collectives »1599 sont organisées, si des actes de piété extraordinaires sont montrés en vue d’obtenir les grâces divines ?

Notes
1517.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 17, 24 avril 1914, p. 262-263.

1518.

Ibid., n° 29, 17 juillet 1914, p. 547.

1519.

c. sorrel, La Savoie 1914-1918, op. cit, p. 4.

1520.

Évoquant le départ des soldats, dans son ouvrage sur le grand séminaire, le chanoine Rebord, écrit : « Aux regards des spectateurs attendris, ils apparaissent comme de vivantes statues sur un piédestal de fleurs et de verdure. Des fleurs, ils en portent à leur képi, à la boutonnière, au canon de fusil, partout ». Voilà qui contraste très nettement avec les autres témoignages qui parlent plutôt de tristesse, même si les soldats patriotes partent pour sauver la patrie attaquée. À Saint-Pierre-de-Rumilly, tout est triste, les gens ne sont plus dans les cafés, les rires se sont tus et même la nature semble comprendre la situation, puisqu’elle paraît triste. (ADHS, 3 T 31, rapport de 1916).

1521.

j.-j. becker et s. berstein, Victoires et frustrations…, op. cit., p. 26.

1522.

Ibid.

1523.

ADHS, 3T 31. Cuvat. Témoignage de l’instituteur, 1916.

1524.

c. sorrel, « La Savoie et la première guerre mondiale », in a . palluel-guillard, c. sorrel, g. ratti et alii, La Savoie de la révolution à nos jours, XIX e -XX e , op.cit, p. 345.

1525.

Ibid.

1526.

Ibid.

1527.

j.-j. becker, Victoires et frustrations…, op. cit., p. 26.

1528.

Ibid.

1529.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 5, 30 janvier 1914, p. 77. Cet article intitulé « Trois fléaux » suivait l’appel lancé par La Croix pour que des prières soient récitées en vue des élections du printemps 1914.

1530.

Ibid., n° 32, 7 août 1914, p. 497.

1531.

Ibid.,p. 499.

1532.

Ibid., p. 500.

1533.

Ibid.

1534.

g. cholvy, y.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., p. 238.

1535.

Ibid., p. 251.

1536.

En 1940, la mobilisation touche 31,38 % du clergé paroissial.

1537.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 41, 9 octobre 1914, p. 608-610. La répartition se fait comme suit :un étudiant à Rome, un choriste, un professeur du Grand séminaire (abbé Cuttaz), cinq professeurs du collège de Thônes, deux du petit séminaire de La Roche-sur-Foron, un qui enseigne au Petit-Lancy (Suisse), un à Dôle (Jura), cinq précepteurs, deux qui se trouvent dans leurs familles, un vicaire à Genève, deux aumôniers et le chancelier.

1538.

Le Chanoine Rebord supérieur du grand séminaire donne le chiffre de 26 séminaristes.

1539.

À la fin de la guerre, ce sont au total 47 curés, 151 vicaires et 27 séminaristes qui auront été mobilisés.

1540.

g. cholvy, y.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., p. 240.

1541.

c. sorrel, Les catholiques…, op. cit., p. 279-280.

1542.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 32, 7 août 1914, p. 501.

1543.

Ibid.

1544.

Ibid.

1545.

Ils viennent de Thônes, de La Roche-sur-Foron et même de Florimont (Suisse).

1546.

Il s’agit de Scientrier desservie par le curé d’Arenthon ; La Vernaz desservie par le curé de La Baume ; Franclens desservie par celui de Chêne et Éloise par celui de Clarafond.

1547.

ADHS, 3 T 31. Témoignage du 20 juin 1916.

1548.

Ibid. Témoignage du chanoine Pochat-Baron, du 17 mai 1916. Le desservant de Thônes n’est pas mobilisé, en revanche ses deux vicaires le sont.

1549.

Ibid. Témoignage de l’instituteur. 22 juillet 1916.

1550.

Ibid.

1551.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 34, 21 août 1914, p. 527. Il s’agit pour lui de connaître les paroisses où le culte est encore célébré et les cures qui bénéficient d’un prêtre non mobilisé.

1552.

Célébrer deux fois ou plus la messe dans la même journée.

1553.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 32, 7 août 1914, p. 501.

1554.

Ibid.

1555.

Ibid. Les retraites ecclésiastiques auraient mobilisé beaucoup de prêtres au même moment, alors que si chaque prêtre choisi sa retraite, la mobilisation est moins importante.

1556.

Ibid., n° 44, 30 octobre 1914, p. 644. Il demande également au prêtre qui devra partir de trouver une famille généreuse pour assurer l’hospitalité au remplaçant

1557.

Ibid., n° 10, 10 mars 1916, p. 113.

1558.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 14, 7 avril 1916, p. 171.

1559.

ADHS, 3 T 31. Saint-Jorioz. Témoignage du 7 août 1916.

1560.

L’ami des familles de Saint-Eustache, 29 août 1914, p. 143. L’auteur ajoute : « De sorte que Celui qui avait le plus fait pour écarter le fléau, en fut la première victime ».

1561.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 27, 2 juillet 1915, p. 315-316.

1562.

Ibid., n° 49, 6 décembre 1918, p. 471.

1563.

Ibid., n° 19, 12 mai 1916, p. 231.

1564.

Ibid., n° 38, 21 septembre 1917, p. 448.

1565.

Ibid., n° 16, 19 avril 1918, p. 195-196.

1566.

Ibid., n° 6, 5 février 1915, p. 63-65.

1567.

ADHS, 1 M 108. Message codé du 31 janvier 1915. Du préfet aux sous-préfets de Thonon-les-Bains, Bonneville et Saint-Julien. Il ajoute également que les tracts contenant des appels à des prières publiques pour la paix doivent être saisis.

1568.

g. cholvy et y.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., t. 2, p. 255.

1569.

a. becker, « L’histoire religieuse de la guerre de 1914-1918 », RHEF, 2000, t. 86, p. 542.

1570.

Sur les catholiques français et Benoît XV en 1917, voir l’article de Jean-Marie Mayeur publié dans n.-j. chaline, dir., Chrétiens dans la première guerre mondiale…, op. cit., p. 153-165.

1571.

a. latreille, r. remond, Histoire du catholicisme…, op. cit., p. 561.

1572.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 8, 19 février 1915, p. 88.

1573.

Ibid., n° 8, 19 février 1915, p. 88.

1574.

j. fontana, Les catholiques français pendant la Grande Guerre…, op. cit., p. 233.

1575.

ADHS, 1 M 108.

1576.

Ibid. « Aucune conférence ne peut avoir lieu sur le territoire de la XIVe région qu’après autorisation du Gouverneur militaire, commandant la XIVe région, auquel le sujet de la conférence sera préalablement soumis ».

1577.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 35, 1er septembre 1916, p. 425.

1578.

La Jeunesse Catholique, janvier-février 1920.

1579.

ADHS, 52 J 78. Lettre de Mgr Campistron à Paul Tapponnier datée de fin septembre 1914. Lorsqu’il reçoit la carte de Tapponnier, l’évêque se trouve à Tessy.

1580.

Ibid.

1581.

Il sait également que la censure peut lire ses lettres.

1582.

Les statuts prévoient qu’un membre qui a 35 ans doit la quitter. En 1918, Tapponnier a 34 ans, il anticipe donc d’une année le règlement.

1583.

f. miquet, Livre d’or des officiers Savoyards morts pour la France pendant la Grande Guerre (1914-1918), op. cit., p. 10.

1584.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 37, 11 septembre 1914, p. 564. En 1918, la rentrée du petit séminaire de La Roche-sur-Foron est ajournée en raison de la grippe espagnole. Revue du Diocèse d’Annecy, n° 41, 11 octobre 1918, p. 402.

1585.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 41, 9 octobre 1914, p. 607.

1586.

ch.-m. rebord, Grand séminaire du diocèse…, op. cit., p. 224.

1587.

Curdy, Encrenaz et Fleury.

1588.

Bouchet, Decroux et Ravoire. Ils sont donc susceptibles d’être appelés.

1589.

Bouvier.

1590.

ch.-m. rebord, Grand séminaire du diocèse…, op. cit., p. 224.

1591.

Ibid., p. 225.

1592.

AAS. Boîte Rebord. Notes, n° 25. Lettre du chanoine Gavard à l’inspecteur d’académie, 17 mars 1915.

1593.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 45, 5 novembre 1915, p. 534.

1594.

Pour le diocèse de Chambéry, ce nombre est de 1, 2, 1, 1. Il n’y a aucune ordination dans les diocèses de Maurienne et de Tarentaise entre 1915 et 1920. Nadine-Josette Chaline donne les chiffres du diocèse de Rouen, et dans ce diocèse, il semble que la chute des ordinations soient plus importantes que dans les diocèses Savoyards où le taux se maintient au cours de la guerre. À Rouen, on passe de 12 prêtres ordonnés en 1915 à 1 en 1917. n.-j. chaline, Les catholiques normands…, op. cit., p. 153.

1595.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 42, 26 octobre 1916, p. 507.

1596.

Ibid.

1597.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 42, 26 octobre 1916, p. 507.

1598.

Ibid., p. 508.

1599.

Au nom de la laïcité, l’État refuse les prières publiques.