B. Un retour aux autels ?

L’histoire religieuse de la Première Guerre mondiale a longtemps été oubliée par les historiens. Il faut attendre la « contribution pionnière »1600 de Jean-Marie-Mayeur en 1979 pour qu’elle suscite un intérêt auprès des chercheurs. Cette étude montre que la religion est vue comme « un élément majeur de la culture de la guerre, mais encore comme son double élément constitutif : dans le consentement – pour Dieu et la patrie – comme dans le refus – un pacifisme allant quelques fois jusqu’à la dénonciation de la guerre comme signe de péché »1601. Jean-Marie Mayeur rappelle que « si l’été 1914 et les premiers mois du conflit sont marqués par une explosion de religiosité et un retour massif vers les autels, […] une retombée est sensible à partir de 1915 »1602, soulignant que les attitudes divergent selon que l’on se trouve en terre de chrétienté ou d’indifférence. Cette histoire religieuse de la guerre se divise alors en trois temps. D’abord celui de la frénésie (été 1914-1915), le temps où les églises se remplissent d’hommes avant le départ et de femmes venues prier pour leurs proches. C’est aussi le temps où les Catholiques « s’engagent dans l’effort de guerre »1603. Ensuite le mouvement religieux semble retomber. De l’automne 1915, et l’installation du conflit dans une « guerre longue », jusqu’en 1917, ce sont les querelles et les rumeurs qui renaissent notamment avec la « rumeur infâme ». Enfin à l’automne 1917, les Catholiques, comme la majorité de l’opinion, soutiennent le gouvernement constitué par Clemenceau1604 et espèrent la victoire et la paix, mais pas celle « offerte par les Boches ! » celle que les soldats imposeront « bientôt par [leurs] armes victorieuses »1605.

Partant de ce constat nous pouvons nous demander quelle est la situation du diocèse face à la guerre. Comment est-elle perçue ? Est-ce une guerre juste parce qu’imposée, est-ce une croisade ? Est-ce une punition divine pour châtier la France de son laïcisme ?1606 Quelle est l’attitude du clergé et des diocésains face à ce conflit qui semblait devoir durer « trois mois »1607 mais qui s’étend sur quatre longues années, au cours desquelles de nombreux diocésains, prêtres et vicaires trouvent la mort. Ce conflit constitue-t-il pour le diocèse un « retour massif aux autels », ou bien les diocésains, dont la pratique est globalement bonne, reviennent plus fréquemment à leurs devoirs religieux face à l’angoisse de ces heures douloureuses, durant lesquelles se jouent le sort de la patrie ? Les catholiques ont le double amour de Dieu et de la Patrie. Sans doute les événements permettent une vie spirituelle plus intense, et il est probable que des dévotions particulières naissent à ce moment et perdurent dans l’après-guerre. Les hommes et les femmes prient peut-être plus qu’avant la mobilisation, mais ne cherchent-ils pas un réconfort dans leurs prières ? Les messes célébrées pour les tués attirent sans doute beaucoup de monde, car chacun sait qu’il peut être touché par la guerre. Annette Becker dans son article sur les « dévotions des soldats » pendant la guerre montre que la France connaît entre 1914 et 1918, « plus qu’un épisodique retour aux autels, une vague de foi »1608.

Dans sa lettre pastorale faisant référence à l’imminence du conflit, Mgr Campistron adresse à son clergé et à ses diocésains « quelques mots de courage et d’espérance […] au moment où [il est] surpris par les ordres de mobilisation générale appelant sous les drapeaux la jeunesse et l’âge viril pour la défense de la patrie menacée »1609. Il demande alors aux fidèles d’aller dans les églises afin de « prier pour la patrie, […] pour nos concitoyens, […] pour la paix », ajoutant que si « malgré tout, la guerre se déchaîne, [il faut] prier pour le succès des armées françaises »1610. Si les prières sont nombreuses et persévérantes, « Celui qui gouverne les Empires et qui préside aux destinées des nations […] accordera la victoire. Notre suprême espoir est toujours fondé sur la vieille devise de nos pères : “Dieu protège la France” »1611. Dans ce dessein, Mgr Campistron ordonne aux prêtres d’ajouter aux oraisons de la messe, celles de « pro pace » 1612 et après la bénédiction du Très Saint-Sacrement de faire chanter le Parce Domine (trois fois) et de réciter le psaume Miserere, suivi d’invocations au Sacré-Coeur de Jésus et à Celui Immaculée de Marie, ainsi qu’à saint François de Sales et à la bienheureuse Jeanne d’Arc1613. Il encourage les enfants à « faire des communions fréquentes […] » et à prier pour la France1614 car « leurs innocentes voix monteront vers le ciel et toucheront le Cœur Divin de Jésus qui se laissera fléchir en présence de la multitude de nos crimes »1615. Il incite également toutes les communautés religieuses et les pieuses personnes à communier quotidiennement, à prier et à « multiplier les mortifications et les bonnes œuvres en esprit de réparation pour les péchés du monde et particulièrement de la France »1616.

Son appel semble être entendu. L’enquête lancée en 1916 conjointement par le Ministère de l’instruction publique et par le Comité des travaux historiques et scientifiques, recueille des témoignages qui montrent que « la vie spirituelle est plus intense qu’avant la mobilisation »1617 ; que « les exercices religieux sont suivis avec plus d’assiduité qu’en temps ordinaires»1618 ; que « la population sincèrement chrétienne et pratiquante dans la majorité se montra, les premiers mois de la guerre surtout, plus assidue à l’église »1619, ou encore que les « fidèles ont afflué à l’église, surtout pendant les premiers mois »1620. Tous, ou presque, s’accordent à dire que « pendant les premiers mois de la guerre, les offices religieux ont été beaucoup plus suivis »1621, que la vie spirituelle « a gagné en intensité1622 en raison des circonstances »1623. Il semble également que les sacrements soient plus fréquentés1624, que des « communions sans nombre [soient] distribuées »1625, ou « renouvelées chaque jour et que des foules recueillies [soient] à tous les offices »1626. Quelques prêtres s’accordent cependant pour dire qu’ils ne notent pas de changements importants, comme le curé de Sevrier, qui déclare « qu’il n’y a pas de changements très sensibles »1627, pareillement à Sallenôves, où « il n’y eut à peu près aucun changement »1628. À Montmin, « la vie est la même que par le passé. […] On dirait [qu’ils sont] en temps de paix »1629. L’abbé Mouthon va même jusqu’à écrire « qu’au tout début, certains trouvaient les supérieurs ecclésiastiques trop peu empressés à prescrire des prières publiques pour [les] armées et pour la France »1630. Incontestablement les personnes viennent plus nombreuses à l’église, mais dans beaucoup de cas, « les pieux fidèles sont devenus meilleurs, certains indifférents sont devenus bons, mais les sectaires au point de vue religieux ont paru le devenir davantage »1631. Pourtant, dans certaines paroisses, il semble que tous ne se pressent pas autour des autels. Citons l’exemple de Saint-Eustache, où dans les premiers jours de septembre, le desservant se plaint que n’assistent aux offices célébrés pour « les soldats de la paroisse et pour le succès des armées françaises et alliées, que ceux qui les font dire »1632. Il poursuit en écrivant : « si l’heure est trop matinale (6 heures) qu’on veuille bien m’en avertir : je la reculerai »1633. Plusieurs rapporteurs soulignent qu’avec l’installation de la guerre, le nombre de personnes fréquentant l’église tend à diminuer.

À la veille des départs, les mobilisés, dont « plusieurs […] ne pratiquaient plus »1634, remplissent leurs devoirs religieux (confession, assistance aux offices). L’abbé Mouthon souligne qu’il s’est mis à disposition des mobilisés « pendant la nuit du 2 août et a célébré la Sainte Messe pour les soldats le lundi à 3 heures du matin »1635, il ajoute que le « même mouvement a été observé dans la population »1636, même s’il n’a pas été général. À Morzine, les « mobilisés se sont approchés des sacrements avant de partir »1637.

Citons le cas du curé de Thorens qui écrit, en 1925, qu’« à la déclaration de guerre, pas un seul soldat de Thorens ne s’est approché des Sacrements avant le départ »1638. Son témoignage est sans doute à prendre avec un certain recul, car écrit en 1925. Il s’adresse alors à l’évêque à propos de la jeunesse ; nous sommes donc en droit de nous demander si son témoignage n’est pas faussé par une certaine rancune par rapport à la non mobilisation des jeunes en 1925, et donc s’il ne la reporte pas sur 1914. Il ajoute également que « malgré [ses] exhortations, bien rares ont été ceux qui se sont confessés pendant leurs permissions »1639. Son témoignage s’oppose entièrement à celui du curé de Morzine, qui se félicite, lui, de constater que les permissionnaires s’approchent des sacrements à chaque permission1640. En revanche, le témoignage du curé de Thorens se rapproche de celui de Frangy, qui souligne que la « grande majorité des véritables poilus des tranchés sont devenus incrédules »1641. Quoi qu’il en soit, il est patent que le diocèse d’Annecy suit le mouvement général de retour aux autels pendant les premiers mois du conflit, élan qui se ralentit progressivement.

Les premiers mois de la guerre sont relativement meurtriers1642. Rapidement des services sont célébrés pour les victimes, tel est le cas à Gruffy, où dès « le premier service, […] une recrudescence de dévotion s’est prononcée »1643. Le même constat est dressé à Groisy ou à Morzine1644, où ces services « amènent toujours à l’église une nombreuse assistance » et où le nombre de jeunes est nettement plus important qu’à l’ordinaire. Le militaire se mêle également au religieux puisque « le catafalque, dressé au milieu du chœur, est entouré des drapeaux des alliés »1645. Des quêtes sont faites par la Croix-Rouge ou lors de messes militaires, « pour la fondation des messes à perpétuité pour les soldats »1646. Comme celle du 2 septembre 1917, lors de la venue à Annecy du père Mattéo1647 qui prononce une allocution à l’occasion de la messe militaire à Saint-Maurice.

Certains prêtres – et fidèles – voient dans les victoires de l’armée le résultat des prières, tel est le cas du chanoine Pochat-Baron pour qui les neuvaines à la Sainte Vierge et à Jeanne d’Arc ont « préparé la bataille de la Marne »1648, rejoignant ainsi Paul Claudel ou encore Mgr Tissier, évêque de Châlons-sur-Marne1649. Dès la fin de l’année 1914, des pétitions sont adressées au président de la République pour demander des prières nationales afin d’allier à la France la protection de Dieu sur les armées. Malgré l’Union Sacrée, la République ne peut accepter aussi rapidement les prières et ce n’est que le 10 décembre 1917, qu’une « cérémonie religieuse et patriotique [a lieu] à Notre-Dame en présence du cardinal Amette et de madame Poincaré »1650. Le pouvoir « officiel » n’est pas présent et de fait la cérémonie n’est donc pas une vraie prière publique. Les diocèses organisent cependant des prières publiques. En décembre 1914, la lettre collective de l’épiscopat rappelle que « la France prie »1651 ; les six prélats signataires demandent que le 13 décembre, tous les diocèses s’unissent pour prier l’Immaculée Conception et qu’une neuvaine de prières précède cette journée. Lors de la messe du 13 décembre, devant le Saint-Sacrement exposé, la consécration de la France au Cœur Immaculée de Marie sera lue1652. La Vierge Marie est sans doute l’une des figures les plus priées au cours du conflit, tant par les combattants que par leurs familles. Ces dernières font célébrer des messes en l’honneur de Notre-Dame de Lourdes « pour la protection des leurs qui se battent pour la France »1653, alors que des chapelles de Lourdes voient se développer une vie « chrétienne intense »1654 où les prières se succèdent pour « le succès de la victoire des nations alliées et pour la paix glorieuse et durable »1655. À la demande de prélats français ou étrangers, des prières publiques sont organisées. Suivant l’invitation de prélats britanniques et français, Mgr Campistron invite, le 3 janvier 1915, les fidèles à venir nombreux pour se consacrer au Sacré-Cœur et à prier pour le triomphe des armées1656.

Annette Becker rappelle qu’il existe deux types de dévotions1657 : celles venues du haut, c’est-à-dire de la hiérarchie et celles venues du bas, c’est-à-dire des fidèles. Pour la première, il s’agit principalement du Sacré-Coeur, dont le culte est fortement influencé par l’épiscopat. Son histoire se confond depuis longtemps avec le destin de la France. Ce sont des « millions de médailles, d’insignes, de fanions, de cartes postales » du Sacré-Coeur qui « ont été distribuées aux soldats »1658. Alors que pour les dévotions venant du « bas », il s’agit plutôt de la Vierge, de Thérèse de Lisieux ou de Jeanne d’Arc. Nous pouvons nous demander si le peu de références trouvées dans la Revue du Diocèse d’Annecy sur ces saints ne provient pas du fait que ces cultes sont moins encouragés par l’épiscopat. La Revue se faisant alors uniquement le porte-parole des directives épiscopales, laisse les dévotions du bas aux initiatives privées, tout en les encourageant parfois, mais moins fréquemment que le Sacré-Coeur.

Le 25 mai 1899, Léon XIII consacrait le genre humain au Sacré-Cœur. Par un décret du 22 août 1906, Pie X ordonne que soit récitée annuellement, le jour de la fête du Sacré-Coeur1659, la formule de consécration de son prédécesseur en y ajoutant les litanies du Sacré-Cœur1660. Cette dévotion s’accentue tout au long du conflit, notamment à partir du moment où l’épiscopat, dans une lettre collective de 1915, lui consacre la France. Dans le diocèse, de nombreux appels abondent dans ce sens ; les églises et les familles devant se consacrer au Sacré-Coeur de Jésus. Par une lettre pastorale de mai 1915, Mgr Campistron répond favorablement à une « pieuse et patriotique initiative »1661 proposée par les plus « ferventes zélatrices de la dévotion au Sacré-Cœur » : inviter les diocésains « à se consacrer dans chaque paroisse et dans chaque famille, au Cœur Sacré de Jésus, le 11 juin, au jour où la fête du Sacré-Cœur est célébrée dans l’Église universelle »1662. C’est à la cathédrale que l’évêque consacre la ville épiscopale et son diocèse au Divin cœur de Jésus. Pour accompagner cette consécration, un triduum en l’honneur du Sacré-Coeur se tient à la crypte de la Visitation1663, des 8 au 10 juin. En janvier 1916, les associés de l’Apostolat de la prière prie pour le règne du Sacré-Coeur dans les familles1664. En juin 1917, les évêques de France1665 font le vœu de célébrer à perpétuité dans toutes les églises la dévotion au Sacré-Coeur1666. Mgr Campistron célèbre une cérémonie dans ce sens, celle sera renouvelée annuellement dans l’après-guerre.

Le fait d’insister « sur l’intronisation dans les familles du Sacré-Coeur donne à la dévotion un double statut qui reprend le double message originel d’amour et de crainte »1667. Cette dévotion lie « la piété personnelle des fidèles et de leurs proches à celles de la Nation. Tous les individus, toutes les familles forment la France, la France en guerre »1668. Mgr Campistron semble être l’un des premiers prélats français à établir l’œuvre de l’intronisation du Sacré-Cœur, dont on relève une baisse d’activité à la fin 1916. Cependant, l’année suivante avec le séjour du RP Mattéo à Annecy1669, il semble que l’œuvre reprenne ses activités. Appelé par Mgr Campistron, il passe trois jours à Annecy, prêchant neuf fois1670 à la crypte de la Visitation. Le dimanche 3 septembre, l’affluence sur la colline est telle que le sermon et la bénédiction du Saint-Sacrement sont donnés en plein air. Ce sont près de cinq mille personnes qui acclament « ce soir-là le Cœur de Jésus-Roi et lui demand[ent] le salut de la France »1671. Il semble donc bien que la relance de l’œuvre soit le fruit de la prédication de ce missionnaire. Un participant déclare d’ailleurs: « S’il était resté huit jours, il aurait transformé la ville »1672. C’est à la suite de cette prédication que commence « un apostolat très discret, mais fructueux »1673. Des cérémonies d’intronisation soigneusement préparées, soit par de pieuses zélatrices, soit par les sœurs de Saint-Joseph, se font dans les derniers mois de 19171674. Même un prêtre venu en permission et qui avait étudié l’œuvre dans les tranchées eut « la joie d’introniser solennellement le divin Roi, d’abord à son foyer, puis dans la salle des chanteuses de sa paroisse, en présence de presque tous les paroissiens, auxquels il donna une conférence sur cette Œuvre déjà si chère à son cœur »1675.

La dévotion au Cœur de Jésus est telle que certains catholiques demandent à ce qu’il soit ajouté sur le drapeau français. Au nom de la laïcité, la demande est rejetée1676. À défaut de pouvoir se rendre à Paris, le 25 février 1917, un agriculteur savoyard incite ses confrères à prier pour le Sacré-Coeur1677. Évoquant le fanion du Sacré-Cœur que de nombreux soldats réclament1678, la Revue du Diocèse d’Annecy rappelle qu’il est une « sorte d’étendard religieux sacré, que chacun honorera en particulier à côté du drapeau national » et qu’il a pour but « d’unir l’idée de Patrie à l’idée de Religion, de procurer au Sacré-Coeur un culte plus extérieur, plus national, et parce que la foi soutient le patriotisme, offrir au soldat une source de courage »1679.

L’invocation de Jeanne d’Arc se fait, soit par le biais des neuvaines, soit par celui le triduum à son intention (1915 et 1917) ; la même chose se produit pour saint Michel, « prévôt du Paradis », en septembre 19161680. Il semble que sainte Thérèse de Lisieux, dont le procès de canonisation est pourtant en cours, ne soit que guère évoquée, par l’évêque ou les prêtres ; cependant cela ne signifie pas pour autant que les diocésains ne lui adressent pas des suppliques. En 1916, appel est fait aux « alliés du Ciel » qui sont avec la France parce la cause qu’elle défend est juste et parce qu’« ils ne peuvent se faire les complices de la barbarie qui s’est ruée sur nous, ni même rester neutres dans le conflit »1681. En 1916, quatre jours de prières nationales ont lieu. Elles s’ouvrent avec les prières des enfants, comme en 1915, et les deux derniers jours servent à renouveler les consécrations de la France à la Vierge (13 décembre 1914) et au Sacré-Coeur de Jésus1682.

Les œuvres de piété se poursuivent, et tout au long du conflit, les membres de l’Adoration nocturne multiplient les nuits d’adoration1683. Les Enfants de Marie, répondant à l’appel lancé par leurs compagnes parisiennes, s’unissent à leur prière dans la Basilique du Vœu National « dans une adoration ininterrompue du Très Saint-Sacrement », le dimanche 21 octobre 1917, en la cathédrale d’Annecy.1684 Pendant toute la durée de la guerre, des retraites de femmes et d’hommes ont lieu. En l’absence de chiffres nous ne pouvons savoir si elles bénéficient de plus de participantes qu’avant 1914 ou non. Nous pensons que les retraites fermées connaissent un certain succès, puisque le 20 octobre 1918, il est décidé de constituer un patronage destiné à grouper toutes les initiatives et à les coordonner afin de « donner de l’unité à l’organisation de l’œuvre et recueillir des fonds permettant de faciliter l’accès des retraites à des personnes sans ressources ». Mgr Campistron accepte cette constitution et demande que le choix du prédicateur lui soit soumis pour approbation.

Les diocésains comme tous les Catholiques français se trouvent « en quelque sorte pris au piège de leur réussite »1685. Comme le souligne Annette Becker, « leur sociologie et leurs pratiques transformées par le conflit mènent à deux phénomènes longtemps vus comme contradictoires mais qui sont désormais étudiés en parallèle : réveil religieux et rumeur infâme »1686. Cette dernière1687 a pour origine une fausse interprétation de l’origine de la guerre faite par le clergé, et étudiée par des anticléricaux. Ses auteurs accusent l’Église d’être responsable de la guerre et de vouloir la défaite de la France1688. La guerre pouvait être perçue comme le châtiment divin destiné à punir la France d’avoir rompu le Concordat et « persécuté » les religieux et les prêtres. Les anticléricaux constatant un certain retour aux autels n’ont qu’un pas à faire pour penser que le clergé a voulu la guerre. Jacqueline Lalouette a d’ailleurs montré le parallèle entre la désaffection pour la libre-pensée, pendant le conflit, et l’engouement mystique1689. Le seul exemple de rumeur que nous ayons trouvé est à Nangy, dans la vallée de l’Arve, même si d’autres exemples ont probablement existé. Là, « comme partout ailleurs il y a quelques individus qui croient soit par ignorance, soir par parti pris que ce sont les curés qui font la guerre » alors que pour d’autres « c’est le Pape »1690. À Metz1691, le maire étant mobilisé c’est son adjoint, Châtel, qui prend un arrêté, le 17 août 1915, contre les « Boches de l’intérieur ». Après avoir rappelé que de « sourdes menaces sont prononcées, promettant de terribles représailles après la guerre »1692, il souligne qu’il est « humiliant pour un pays civilisé que de telles stupidités puissent avoir cours »1693. Le conseil municipal, qui voue au « mépris public ces hypocrites et ces lâches », arrête que « les auteurs ou propagateurs de faux bruits ou nouvelles tendancieuses propres à rompre l’union, seront déférés à la justice [et que…] les bons Français se feront un devoir de dénoncer les Boches de l’Intérieur »1694.

C’est donc bien devant des heures tragiques et au début de la guerre que la ferveur semble la plus importante, cette « renaissance religieuse » est provisoire et connaît, avec l’installation du conflit dans une longue durée, un fléchissement1695. Ce renouveau de ferveur religieuse « s’accompagne de réels efforts charitables visant à adoucir le sort des diverses victimes »1696 du conflit.

Notes
1600.

a. becker, « L’histoire religieuse de la guerre de 1914-1918 », RHEF, 2000, t. 86, p. 540.

1601.

Ibid.

1602.

j.-m. mayeur, « La vie religieuse pendant la Première Guerre », in j. delumeau, dir., Histoire vécue du peuple chrétien…, op. cit., t. 2, p. 181.

1603.

g. cholvy, y.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., t. 2, p. 238.

1604.

Ibid.

1605.

ADHS, 52 J 78. Lettre de Mgr Campistron à Paul Tapponnier.

1606.

Des prêtres développent « dans leurs sermons le thème de la guerre châtiment expiatoire de l’irréligion française », in a. dansette, Histoire religieuse…, op. cit., p. 493.

1607.

p. tapponnier , Dix ans après. À l’aube des grands jours, Thonon-les-Bains, Imprimerie Masson, 1924, p. 14. Il évoque le mardi 4 août 1914.

1608.

a. becker, « Les dévotions des soldats catholiques pendant la Grande Guerre », in n.-j. chaline, dir., Chrétiens dans la première guerre mondiale…, op. cit., p. 34.

1609.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 32, 7 août 1914, p. 497.

1610.

Ibid.

1611.

Ibid., p. 498.

1612.

Ibid., p. 500

1613.

Ibid.

1614.

Ibid.

1615.

Ibid., p. 501.

1616.

Ibid.

1617.

ADHS, 3 T 31. Nangy. Témoignage du 4 septembre 1916.

1618.

Ibid. Annecy-le-Vieux. Témoignage du 20 juin 1916.

1619.

ADHS, 3 T 31. Metz. Témoignage du chanoine Gavard, 8 mai 1916.

1620.

Ibid. Thônes. Témoignage du chanoine Pochat-Baron, supérieur du collège.

1621.

Ibid. Chens-sur-Léman. Témoignage de l’abbé Mouthon. 17 juillet 1916.

1622.

Ibid. Saint-Jorioz. Témoignage du 7 août 1916. L’instituteur écrit que « la forte majorité de la population, avant la guerre était pratiquante, sans qu’il y eût toutefois de zèle pratiquement vif. On constate que la guerre a donné aussitôt plus d’intensité à la vie spirituelle ».

1623.

Ibid. Les Gets. Témoignage de l’abbé Conseil. 7 juin 1916.

1624.

Ibid. Chens-sur-Léman. Témoignage de l’abbé Mouthon. 17 juillet 1916.

1625.

Ibid. Thônes. Témoignage du chanoine Pochat-Baron, supérieur du collège.

1626.

Ibid. Saint-Gervais-les-Bains. Témoignage de l’abbé Mouthon. 18 juillet 1916.

1627.

Ibid. Sevrier. Témoignage du 7 août 1916.

1628.

Ibid. Sallenôves. Témoignage du 8 septembre 1916.

1629.

Ibid. Montmin. Témoignage du 28 mai 1916.

1630.

Ibid. Chens-sur-Léman. Témoignage de l’abbé Mouthon. 17 juillet 1916.

1631.

Ibid.

1632.

L’ami des familles de Saint-Eustache, septembre 1914, p. 145.

1633.

Ibid.

1634.

ADHS, 3 T 31. Chens-sur-Léman. Témoignage de l’abbé Mouthon. 17 juillet 1916.

1635.

Ibid.

1636.

Ibid.

1637.

Ibid. Morzine. Témoignage du 17 mai 1906.

1638.

ADA. 1 D 21. Boîte Mgr du Bois de La Villerabel, n° 3. Lettre datée du 22 février 1925.

1639.

ADA. 1 D 21. Boîte Mgr du Bois de La Villerabel, n° 3. Lettre datée du 22 février 1925.

1640.

ADHS, 3 T 31. Morzine. Témoignage du 17 mai 1916.

1641.

Ibid. Frangy. Témoignage du 30 août 1916.

1642.

Christian Sorrel rappelle que 52 % des Savoyards morts au combat tombent pendant les dix-sept premiers mois de la guerre. c. sorrel, Les catholiques…, op. cit., p. 287.

1643.

ADHS, 3 T 31. Gruffy. Témoignage du 11 septembre 1916.

1644.

Ibid. Morzine. Témoignage du 17 mai 1916. « Les services pour les soldats tués réunissent beaucoup de monde ».

1645.

Ibid. Groisy. Témoignage du 14 mai 1916.

1646.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 35, 31 août 1917, p. 412.

1647.

Ibid. Le père Matteo parcourt la « France pour la conquérir famille par famille au divin Cœur. »

1648.

ADHS, 3 T 31. Thônes. Témoignage du chanoine Pochat-Baron, supérieur du collège. 17 mai 1916.

1649.

g. cholvy et j.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., t. 2, p. 241. François Lebrun dans son Histoire des catholiques en France (p. 401) rappelle que rapidement un Missel du miracle de la Marne est édité.

1650.

g. cholvy et j.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., t. 2, p. 256.

1651.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 48, 27 novembre 1914, p. 692.

1652.

Ibid., p. 695. La consécration de la France à Marie n’est pas une chose nouvelle puisque c’est sous le règne de Louis XIII que cela c’est fait la première fois.

1653.

ADHS, 3 T 31. Juvigny. Témoignage du 21 mai 1916.

1654.

Ibid. Faverges-Viuz. Témoignage de l’abbé Duperrier. 1er juillet 1916.

1655.

Ibid.

1656.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 1, 1er janvier 1915, p. 5.

1657.

a. becker, « Les dévotions des soldats catholiques pendant la Grande Guerre », in n.-j. chaline, dir., Chrétiens dans la première guerre mondiale…, op. cit., p. 22.

1658.

Ibid., p. 30.

1659.

La dévotion au Sacré-Coeur n’est pas sans rappeler le vœu fait en 1870 d’édifier la Basilique à Paris et où des cérémonies de prières ont lieu.

1660.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 25, 19 juin 1914, p. 389.

1661.

Ibid., n° 22, 28 mai 1915, p. 255.

1662.

Ibid.

1663.

Marguerite-Marie Alacoque qui a eu la révélation du divin Cœur de Jésus est une visitandine.

1664.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 1, 7 janvier 1916, p. 8.

1665.

Ibid., n° 22, 1er juin 1917.

1666.

Ibid., n° 23, 8 juin 1917, p. 267. Ces cérémonies auront lieu le premier vendredi après l’Octave du Saint-Sacrement.

1667.

a. becker, « Les dévotions des soldats catholiques pendant la Grande Guerre », in n.-j. chaline, dir., Chrétiens dans la première guerre mondiale…, op. cit., p. 31.

1668.

a. becker, « Les dévotions des soldats … », in n.-j. chaline, dir., Chrétiens dans la première guerre mondiale…, op. cit., p. 32.

1669.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 35, 31 août 1917, p. 412. Il vient en septembre.

1670.

AAS. Boîte Mgr Campistron. Rapport sur l’établissement et les progrès de l’Oeuvre du Sacré-Coeur dans le diocèse.

1671.

Ibid.

1672.

Ibid.

1673.

Ibid.

1674.

Ibid.

1675.

Ibid.

1676.

e. fouilloux, « Traditions et expériences françaises », in j.-m. mayeur, dir., Histoire du Christianisme…, op. cit., t. 12, p. 461.

Le culte du Sacré-Cœur « divise » les Français, contrairement à celui de Jeanne d’Arc qui est repris tant par les Catholiques que par les Républicains (pendant le conflit). Jean-Marie Mayeur rappelle que « pour nombre de ses tenants, la dévotion au Sacré-Coeur avait une coloration contre-révolutionnaire, elle signifiait l’affirmation de la royauté sociale du Christ face au libéralisme, l’expiation des fautes du laïcisme » . j.-m. mayeur, « La vie religieuse pendant la Première Guerre », in j. delumeau, dir., Histoire vécue du peuple…, op. cit., t. 2, p. 186.

1677.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 12, 23 mars 1917, p. 143.

1678.

Jamais les soldats réclamant le fanion du Sacré-Coeur n’ont songé à vouloir toucher au drapeau national de la France. Celui-ci abritant tous les Français demeure intangible. Ils veulent seulement affirmer par cet acte particulier, privé, l’union du Christ avec leur Patrie. À propos du Sacré-Cœur Paul Tapponnier écrit : « Contre le Sacré Cœur ! Dans une circulaire du 7 juin 1917, le ministre de la guerre, Paul Painlevé interdisait “la consécration au Sacré-Cœur des soldats catholiques des armées alliées”. [...] Le Maître des Destinées doit écouter avec bienveillance une nation dont les dirigeants ne le connaissent que pour le bafouer ! »(ADHS, 52 J 3, Journal de campagne, n° 9. Lundi 30 juillet 1917).

1679.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 2, 12 janvier 1917, p. 12.

1680.

Ibid., n° 37, 15 septembre 1916, p. 447.

1681.

Revue du Diocèse d’Annecy,, n° 3, 21 janvier 1916, p. 45.

1682.

Ibid., n° 10, 10 mars 1916, p. 113.

1683.

Ibid., n° 8, 21 février 1919, p. 62. Leur nombre passe de 54 à 63 entre 1917 et 1918.

1684.

Ibid., n° 40, 5 octobre 1917, p. 471.

1685.

a. becker, « L’histoire religieuse de la guerre de 1914-1918 », RHEF, 2000, t. 86, p. 542.

1686.

Ibid.

1687.

g. cholvy et y.-m. hilaire , Histoire religieuse…,op. cit., p. 246.

1688.

j.-j. becker et s. berstein, Victoire et frustrations…, op. cit., p. 101.

1689.

j. lalouette , La libre pensée en France, 1848-1940, Paris, Albin Michel, 2001, p. 68-70.

1690.

ADHS, 3 T 31. Nangy. Témoignage du 4 septembre 1916.

1691.

Actuelle commune de Metz-Tessy.

1692.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 35, 27 août 1915, p. 415.

1693.

Ibid.

1694.

Ibid.

1695.

j.-m. mayeur, « La vie religieuse pendant la Première Guerre », in j. delumeau, dir., Histoire vécue du peuple chrétien…, op. cit., t. 2, p. 185.

1696.

n.-j. chaline, Les catholiques normands…, op. cit., p. 155.