Le conflit ouvre aux diocésains le champ de l’entraide. La Ligue des femmes françaises donne un élan particulier à cette charité, les ligueuses excellant rapidement dans ce domaine. En plus de leurs prières, elles n’hésitent pas à organiser des ouvroirs afin d’adresser des colis aux soldats. Elles ne sont pas les seules à le faire, mais une grande part leur revient. Les envois comportent aussi bien des vêtements que des « gâteries » pour les combattants. Comme le rappellent Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire, « à l’arrière un vaste élan de solidarité se manifeste pour aider les combattants, panser leurs blessures, soutenir leur morale et pour accueillir et loger les réfugiés. L’Église des œuvres est bien placée pour y prendre part »1739.
Dès le tout début des hostilités Mgr Campistron « fait un pressant appel à toutes les âmes charitables pour venir au secours de ces malheureux », Annecy, comme d’autres villes, se préparant à recevoir des blessés1740. Il demande à ses diocésains de participer à cet effort en répondant aux quêtes en argent et en linge faites dans toutes les paroisses1741. En novembre 1914, des pétitions circulent dans de nombreux diocèses afin de demander le retour des sœurs exilées, car « elles pourront employer leur bonne volonté et leur entier dévouement à soigner »1742 les blessés en servant comme infirmières. Dans l’enquête de 1916, nous n’avons trouvé qu’une mention de signature de cette pétition pour la paroisse d’Épagny1743, même si d’autres pétitions ont dû être signées dans le diocèse, notamment dans les paroisses les plus pratiquantes. Un communiqué de l’évêché rappelle que les ligueuses s’offrent à prendre « l’initiative de ce mouvement patriotique »1744 et que les prêtres doivent les aider à « remplir la tâche qu’elles ont prise en main»1745, en leur facilitant l’accès « aux fidèles mais encore à tous ceux qui ont à cœur le salut de la France »1746. Tous souhaitent que les blessés reçoivent « de toute âme française, – des dames hospitalières comme de nos sœurs – les soins les plus empressés et les plus délicates attentions »1747.
En juillet 1915, avec le concours de l’État, une œuvre pour les convalescents militaires est constituée. Elle a pour but d’hospitaliser sur toute l’étendue du territoire national, « soit des blessés convalescents qui reprendront bientôt du service, soit de grands blessés qui attendent leur pension de retraite »1748. Répondant à cet appel, un comité se constitue dans le département, la présidence d’honneur est partagée entre Mgr Campistron, le général commandant la subdivision militaire, le préfet et le maire d’Annecy. L’Union Sacrée semble avoir été bien prise en compte. Le délégué départemental – celui qui sert de relais entre les différents groupes locaux et celui de Lyon – est Eugène Laeuffer, un homme engagé dans les œuvres catholiques. Le trésorier est le banquier annécien Léon Laydernier. Cette œuvre organise une quête à domicile ainsi qu’une souscription qui débute dans les deux cantons annéciens avant d’être étendue aux autres1749. Des fonds sont également récoltés par le biais des conférences, comme celle donnée en 1916 par l’abbé Wetterlé sur le thème de « ce que doit être la paix pour qu’elle soit durable » et qui rapporte mille deux cent francs1750, destinés aux œuvres de guerre1751. Les associations de famille se mobilisent également. En mars 1915, le président Sauthier-Thyrion se réjouit de pouvoir verser à la Croix-Rouge les sommes collectées dans différentes paroisses et destinées à aider les blessés1752 qui se trouvent à Aix-les-Bains. Il exhorte également ses membres à aider par tous les moyens les associations constituées pour l’aide des soldats, mais surtout pour les prisonniers. Jules Challamel, président du mouvement royaliste pour les deux départements Savoyards, met « l’Alliance catholique au service des veuves et des orphelins Savoyards »1753 et représente l’Action française au comité du secours national. Lors d’une conférence qu’il fait à Chambéry en janvier 1918, il présente son « programme complet de son œuvre de secours aux orphelins de la guerre »1754. Cette œuvre semble fonctionner puisque jusqu’en septembre 1917, ce sont trois mille six cent soixante-six orphelins qui ont été aidés1755.
Les initiatives charitables reviennent soit à des particuliers, comme c’est le cas de certains prêtres, soit à des œuvres charitables, comme la Ligue des femmes françaises. Dès le 2 octobre 1914, l’évêque, « ému des souffrances que le froid va apporter aux soldats »1756, lance un appel pour que des vêtements chauds, tricots, caleçons, chaussettes, gilets, chemises et ceinture de laine leur soient adressés. C’est à cette occasion qu’il demande que les envois soient centralisés chez madame Payot, membre du comité d’Annecy1757 de la Ligue des femmes françaises et qu’il souhaite la création d’ouvroirs « partout où ce sera possible »1758. Là où cette organisation ne pourra se faire, il est recommandé d’envoyer à madame Warchex, la présidente diocésaine de la Ligue, étoffe ou laine afin qu’elle puisse, avec madame Payot, répartir le travail à qui en fera la demande. Les femmes qui le souhaitent peuvent également prendre du travail mi-confectionné à faire chez elles1759.
L’ouvroir Notre-Dame d’Annecy est celui rencontré le plus fréquemment dans les sources, même si cela ne signifie nullement qu’il soit le seul à fonctionner. Sans doute est-il le coordinateur de tous ceux qui se trouvent sur le territoire diocésain. Il se met en place rapidement, puisque le 16 octobre 1914, la Revue du Diocèse d’Annecy annonce son installation au second étage de la maison paroissiale, sise 12 place Notre-Dame, dans le local où les réunions de la Ligue des femmes françaises s’organisent généralement1760. Dès le 27 octobre, les dames de l’ouvroir sont heureuses d’annoncer que quatre paquets complets ont été remis aux soldats des unités en résidence à Annecy1761. Ils remettront les vêtements chauds ainsi que les petites gâteries, qui seront bien maigres pour améliorer leur quotidien, tels que chocolat ou cigarettes, aux mobilisés qui sous « le feu ennemi »1762. Les colis comportent également du savon et des mouchoirs. Les ligueuses, infatigables dans leurs œuvres de charité, mêlent patriotisme et foi1763 pour demander que « chacun donne son travail et [une] obole suivant [ses] moyens » pour apporter aux « chers soldats quelque soulagement »1764. En décembre 1914, en accord avec les dames de la Croix-Rouge, les ligueuses demandent que des envois de douceurs soient faits pour les blessés se trouvant à Aix-les-Bains1765.
Dès décembre 1914, les ligueuses reçoivent des remerciements de la part de soldats du front qui sont touchés par toutes leurs marques de charité. C’est un lieutenant savoyard1766 qui se réjouit de voir « ces bonnes françaises qui font la guerre à leur manière en aidant [les] troupiers à endurer les fatigues d’une campagne d’hiver »1767. C’est pour les soldats un « spectacle bien réconfortant de vois les bonnes volontés s’employer si courageusement à rendre plus facile le succès final »1768. Entre 1914 et 1916, l’ouvroir reçoit dix mille sept cent vingt et un francs et trente-cinq centimes en espèces. Au 17 octobre 1916, les dépenses ont été de huit mille quatre vingt-sept francs et cinquante centimes1769. De nombreux dons en nature sont venus s’ajouter à ces sommes, tels ceux de la maison Fournier d’Annecy ou encore des anciennes élèves de l’externat Saint-François. Pour avoir une idée de ce qui est adressé aux soldats, citons l’exemple de 1914 (entre octobre et décembre), ce sont huit cent quinze paires de chaussettes, sept cent trente passe-montagnes, soixante dix-sept chandails et tricots, cent cinquante chemises de flanelle, cent une ceintures de flanelle, cent quarante-cinq paires de mitaines, cent vingt-trois caleçons et quarante-deux cache-nez qui sont confectionnés par les dames de l’Ouvroir Notre-Dame et qui sont envoyés sur le front1770. Les ligueuses loin d’arrêter leurs efforts appellent les femmes au travail : « Au travail donc, Mesdames ! L’hiver est là – le canon tonne, nos soldats souffrent physiquement et moralement – ouvrez vos cœurs et vos bourses, et que Dieu aie pitié de nous ! »1771 En 1915, les ligueuses rappellent que pour la durée de la guerre, leur devise est Prier, souffrir, travailler, donner 1772 . Elles prient pour ceux qui sont sur le front, elles souffrent parce qu’elles les savent exposés à tous les dangers de la guerre, elles travaillent pour les blessés et pour ceux qui sont sur le front enfin, elle donnent tout ce qu’elles peuvent afin « d’obtenir de Dieu » le retour de ceux qu’elles aiment sains et saufs et que « la France, victorieuse, soit toujours plus belle et plus forte. »1773
Des prêtres s’organisent également pour venir en aide aux combattants et prisonniers. L’un des premiers à se préoccuper du sort de ses paroissiens est sans doute l’abbé Pernoud, curé de Bossey. Dès le milieu du mois d’août 1914, il organise « un comité de secours en faveur des soldats »1774 de sa paroisse. Rapidement, chaque paroissien au front reçoit « une chemise de flanelle, des bas et des articles de première nécessité »1775. Ce comité met rapidement à la disposition des familles, des « cartes de correspondance pour la transmission rapide des nouvelles »1776. En 1915, l’abbé Pernoud organise « à Genève l’œuvre du prisonnier en faveur des familles pauvres ne pouvant faire elles-mêmes les envois [de colis] »1777. Il est également le promoteur de l’œuvre du pain du prisonnier1778. Il s’occupe de la réception de différents dons faits pour les prisonniers par l’intermédiaire de mademoisselle Renand, rue Royale à Annecy. En 1916, un avis est lancé aux diocésains pour qu’ils répondent aux appels des prisonniers qui ne « réclament pas avec moins d’insistances la nourriture de leur esprit »1779. Cet appel souligne que les prisonniers ou internés sont heureux de trouver dans leurs colis des « dons matériels, des livres, des brochures, des revues, almanachs, journaux littéraires et religieux »1780 ; car c’est ici « un genre d’apostolat qui va chercher loin de la patrie, de la paroisse, de la famille, ceux que la voix des parents et des pasteurs ne peut atteindre »1781.
Les combattants ne sont pas les seuls bénéficiaires de cette aide. Les civils résidant sur le théâtre des opérations et victimes de la guerre ne sont pas oubliés non plus. Dès la fin août 1914, l’abbé Louis Pernoud, curé de Bossey, organise « l’œuvre d’assistance des réfugiés » de sa paroisse, puis entreprend « la fourniture de vêtements et de chaussures à tous les réfugiés » du département1782. De nombreux réfugiés, venus des provinces de l’Est, passent par la zone frontalière avant d’être dirigés dans différents secteurs du territoire départemental1783. En septembre 1914, l’évêque demande qu’on donne aux réfugiés1784 des vêtements usagés qui seront ensuite distribués par les prêtres dans les paroisses où les nécessiteux se trouvent. Dès la fin octobre, la comtesse de Saint-Laurent, présidente générale de la Ligue des femmes françaises, fait appel à la générosité des ligueuses mais aussi à toutes les bonnes volontés pour venir au secours des « malheureux français qui se trouvent sur le théâtre de la guerre, pillés, saccagés, ruinés et qui souffrent mille misères à fendre l’âme »1785. En 1915, des quêtes sont lancées pour venir en aide aux diocèses du Nord et de Belgique. La seconde liste permet de donner cinq mille trois cent quatre-vingt-dix francs et quatre-vingt-dix centimes, la troisième liste donne deux mille quatre cent soixante-seize francs et quarante-cinq centimes1786.
Comme nous avons pu le constater les soldats et les civils sont l’objet des attentions de la part de prêtres, mais surtout des ligueuses. Ce sont surtout elles qui donnent un élan de charité et qui se dévouent sans compter, elles participent à leur manière à la guerre. Elles mettent en application quasi quotidienne leur foi et leur devise.
g. cholvy et y.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., p. 243.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 32, 7 août 1914, p. 501.
Ibid.
Ibid., n° 45, 6 novembre 1914, p. 655.
ADHS, 3 T 31. Épagny. Témoignage d’août 1916.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 45, 6 novembre 1914, p. 655.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid., n° 27, 2 juillet 1915, p. 316.
Ibid.
Soit environ 1 695,224 euros (2006).
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 50, 15 décembre 1916, p. 605.
Ibid., n° 11, 12 mars 1915, p. 131.
c. sorrel, dir., Dictionnaire du monde religieux…, La Savoie, op. cit., p. 114-115.
Le Réveil Savoyard, 27 janvier 1918.
Ibid.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 40, 2 octobre 1914, p. 595.
Ibid.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 40, 2 octobre 1914, p. 595.
Le ministre de la guerre lance un appel pour demander de « pourvoir aux besoins accrus de couvertures et vêtements chauds », in n.-j. chaline, L es catholiques normands…, op. cit., p. 158.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 42, 16 octobre 1914, p. 620.
À savoir les 30e et 230e Régiment d’Infanterie et le 11e Bataillon de Chasseurs Alpins.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 45, 6 novembre 1914, p. 658.
Ibid. « Pour l’amour du pays, pour l’amour de Dieu »
Ibid.
Ibid., n° 51, 18 décembre 1914, p. 733.
Lieutenant S. de la 22e compagnie du 230e RI.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 50, 11 décembre 1914, p. 723.
Ibid., p. 724.
Ibid., n° 46, 17 novembre 1916, p. 561.
D’après les relevés effectués dans la Revue du Diocèse d’Annecy de 1914.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 46, 17 novembre 1916, p. 561.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 2, 8 janvier 1915, p. 23.
Ibid.
ADHS. 3 T 31. Bossey. Témoignage du 20 novembre 1916.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
f. pochat-baron, Supplément au dictionnaire…, op. cit., p. 875.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 35, 1er septembre 1916, p. 425.
Ibid., p. 426.
Ibid.
ADHS. 3 T 31. Bossey. Témoignage du 20 novembre 1916.
Sur les réfugiés voir le mémoire de maîtrise de Mélanie Martin-Marin, Le sort des « rapatriés-réfugiés » en Haute-Savoie pendant la Grande Guerre, Université de Savoie, 2003, 161 p.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 40, 2 octobre 1914, p. 595. L’évêque parle non pas de réfugiés mais d’émigrés.
Ibid., n° 44, 30 octobre 1914, p. 647.
Ibid., n° 9, 26 février 1915, p. 100-101. Ce qui représente respectivement : 13 453,368 et 6 180,15 euros (2006).