Dès son arrivée, Mgr de La Villerabel constate tristement qu’il n’y a plus de petit séminaire dans son diocèse. S’intéressant de très près aux enfants « qui croient entendre au fond de leur cœur l’appel du Seigneur »2073, il décide de construire un établissement pour les accueillir. Dès février 1922, et « sans plus attendre un jour », il souhaite « assurer l’avenir de [son] bien-aimé diocèse en ouvrant, dans le Chablais un nouveau petit séminaire, une maison où seront reçus tous ces chers enfants – et ils sont nombreux dans cette partie du pays qui garde si vivant le souvenir de l’apostolat de saint François de Sales ! »2074 Une initiative jugée « audacieuse »2075 alors, mais qui portera ses fruits2076.
L’implantation à Thonon-les-Bains naît d’une « opportunité » même s’il avait été décidé d’installer l’établissement dans le Chablais. L’évêque répond à l’offre qui lui est faite par la « Société Immobilière de la Haute-Savoie » fondée le 1er mai 1920 et placée sous la présidence de Jacques Calliès2077. Cette dernière, après s’être assurée de la promesse de vente, réalise l’acquisition d’un immeuble, qu’elle louera ensuite au diocèse « à un prix raisonnable »2078. Devenue concrète, la question de l’achat du clos Jacquier2079 est évoquée lors de la réunion de la Société Immobilière du 22 mars 19222080. La propriété offre une superficie d’« un hectare douze ares soixante-dix centiares »2081 sur lesquels est installée une vaste bâtisse, « énigmatiquement appelée “château des larmes” »2082 et à laquelle s’adjoignent « dépendances et parc »2083. Lors de la réunion du 8 mai 1922, le conseil d’administration de la société donne pouvoir et délégation au député René Bartholoni pour se rendre chez le notaire et signer les actes nécessaires à l’acquisition2084, qui s’élève à deux cent soixante-quinze mille francs2085. En septembre, la Société Immobilière de la Haute-Savoie demande un prêt de cent cinquante mille francs au Crédit foncier. Cet emprunt étant remboursé en vingt-cinq ou trente annuités par le prix de la location2086.
La générosité des diocésains est sollicitée pour permettre la mise en place de cette nouvelle « école secondaire libre saint François de Sales »2087. Les réaménagements, placés sous l’autorité de l’architecte Camille Blanchard2088, débutent en juin 1922. Mgr de La Villerabel, accompagné du vicaire général Harscoüet et du chancelier Fuzier, responsable de l’œuvre de Saint-André, inaugure et bénit le nouvel établissement le mardi 1er mai 19232089. L’inauguration ne signifie pas pour autant que tout est terminé, et à plusieurs reprises l’évêque demande à ses fidèles d’apporter leur pierre à l’édifice, comme en juin [1923], où il les appelle à participer à la vente de charité des 21-24 juin à Annecy. Les recettes ainsi récoltées sont en partie destinées au petit séminaire2090. Des souscriptions sont ouvertes par le chanoine Luc Pernoud, premier supérieur, dans différents titres de la presse nationale, qu’il s’agisse de l’Action française, de L’Écho de Paris, ou encore de La Croix 2091 . Le 1er août 1923, les souscriptions, dons et autres des paroisses, ont rapporté quatre cent dix-sept mille sept cent trente-huit francs2092. Dès le 22 décembre 1925, des travaux sont entrepris pour bâtir une aile supplémentaire ainsi que la chapelle, dont l’embellissement est dû en partie à la générosité des prêtres et des fidèles2093. L’évêque paye les verrières, alors que les fonderies Paccard offrent une cloche2094, et que Gaudillière2095, ancien libraire annécien, fournit la statue en fonte de sainte Thérèse, placée sur le fronton de l’édifice2096. C’est le 3 octobre 1927, en présence de plus de quatre-vingts prêtres2097, que la chapelle est consacrée par « dévotion spéciale et gratitude » de Mgr de La Villerabel, à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus2098. L’évêque, fier de l’une de ses premières réalisations, semble particulièrement l’affectionner. Il rend plusieurs visites à son cher petit séminaire, comme le 17 décembre 19232099, en compagnie du vicaire général Morand, ou encore le 21 mars 1924, où il est heureux de faire visiter les lieux à son ami l’évêque de Gap, Mgr de Llobet, en visite dans le diocèse2100.
Le petit séminaire, placé sous le patronage de saint François de Sales, ouvre ses cours exactement seize années après la fermeture de ceux du collège Sainte-Marie d’Évian. L’évêque y voit une « résurrection ! »2101 car « après la mort, la vie ! »2102, et quoi de plus divin quand la rentrée se fait deux jours après Pâques2103. Les trente-neuf premiers élèves sont accueillis par l’équipe enseignante, composée de quatre professeurs et deux surveillants2104, et placée sous la direction du chanoine Luc Pernoud2105. Rapidement, l’établissement connaît un très vif succès ; celui-ci est tel qu’il devient nécessaire d’accueillir de nouveaux professeurs. En octobre 1923, ce sont les abbés Fleury et Gallay2106 qui font leur entrée en même temps que les quatre-vingt élèves2107. Devant la réussite de l’entreprise, la rentrée doit être reportée au 10 octobre, « le mobilier prévu et préparé au fur et à mesure des besoins se trouv[ant] très insuffisant »2108. De plus, le « nombre des élèves admis [au petit séminaire] dépasse considérablement les prévisions les plus optimistes » et beaucoup « se sont faits inscrire tardivement »2109. Lors de la rentrée 1924-1925, ils sont cent vingt et un élèves, l’établissement accueillera jusqu’à cent quarante-deux élèves au temps du supériorat du chanoine Pernoud2110. Ces nombreuses entrées expliquent également celles toujours importantes du grand séminaire. Tous les petits séminaristes n’arrivent pas à l’ordination, puisqu’un peu moins de la moitié seulement le sont2111.
Le relevé des origines géographiques des petits séminaristes2112 montre que le recrutement s’effectue dans tout le diocèse. Environ 58 % (93 élèves) viennent de paroisses chablaisiennes, 35,5 % (57 élèves) d’autres paroisses du diocèse2113, et enfin 6,5 % (10 élèves) viennent d’autres diocèses2114. Il ressort d’ailleurs que le recrutement s’est fait dans le Chablais au cours des premières années et qu’il s’est ensuite diversifié. Nous avons effectué le relevé des élèves de Thonon-les-Bains entrés ensuite au grand séminaire et ordonnés. Il ressort que quatre-vingt-une paroisses2115 y envoient des élèves. Si l’arrondissement de Thonon-les-Bains fournit un bon contingent d’élèves, il n’en reste pas moins que les autres paroisses du diocèse envoient leurs enfants sur les rives du Léman. Cinquante et une paroisses envoient un élève, seize en envoient deux, huit en envoient quatre. Bernex, Évian-les-Bains et Les Gets envoient chacune quatre élèves ; Le Biot et Lugrin en envoient cinq, alors que six viennent de Marin. Enfin, sept sont Annéciens et les paroisses de Morzine et de Thonon-les-Bains fournissent quatorze élèves2116. Il ressort que le petit-séminaire était une sorte de « serre chaude »2117 destinée véritablement à la formation des prêtres. Tout était fait pour qu’ils réussissent leurs études et qu’ils puissent entrer au grand séminaire. Les bourses offertes par l’œuvre de Saint-André étaient principalement destinées aux enfants allant à Thonon-les-Bains. L’abbé Chatelain nous rappelait que les élèves de Thonon-les-Bains entrant au grand séminaire à Annecy avaient un comportement différent de leurs camarades de Thônes ou de La Roche-sur-Foron , car ils n’avaient pas été en contact avec le monde extérieur au cours de leurs études2118.
Dès lors, nous ne serons donc pas surpris de constater que les élèves du grand séminaire en provenance de Thonon-les-Bains sont nettement plus nombreux que ceux de La Roche-sur-Foron et de Thônes réunis. Citons les exemples des premières rentrées des élèves du Chablais. En 1929-1930, ils sont quatorze du petit séminaire de Thonon à entrer, alors que les deux autres collèges fournissent seulement sept élèves à eux deux. À la rentrée suivante, ils sont quinze à venir des rives du Léman, alors que onze viennent de Thônes et de La Roche-sur-Foron. Jusqu’à la veille de la guerre, à l’exception des rentrées 1931-19322119 et 1934-19352120, les effectifs arrivant de Thonon-les-Bains sont toujours supérieurs à ceux des autres collèges. Comme nous l’avons évoqué précédemment d’autres établissements fournissent un certain nombre d’élèves au grand séminaire. Tel est le cas de la « Petite Sorbonne » de Thônes, qui connaît au début des années Trente une reconstruction totale. Nous pouvons dès lors nous demander si cette reconstruction influence ou non le recrutement sacerdotal.
ADA. Lettres pastorales. Mgr de La Villerabel, 1921-1934. Lettre intitulée « À propos du peu de prêtres », 2 février 1922.
Ibid.
La Page de Saint-André, décembre 1936-janvier 1937, p. 5.
En 1947, ce sont plus de 140 prêtres qui auront été formés à Thonon. ADA. 3 J. Thonon. Texte du chanoine Bernard, supérieur du petit séminaire, à l’occasion du cinquantenaire de l’ouverture de l’établissement.
ADA. 4 L. Société immobilière. Registre des délibérations du conseil d’administration. 1920-1957. Le chanoine Rebord est administrateur de la Société. Jacques Calliès partage son temps entre sa résidence parisienne sise 40 avenue Duquesne, et Annecy. Il meurt en 1925 ; il est remplacé par Louis Perret qui reste en fonction jusqu’en 1942, date de son décès. La présidence revient alors à Louis Pfister. Jacques Calliès, beau-frère de Jean-Marie II Aussedat, est également président du conseil d’Administration de la papeterie et s’occupe des services de vente à Paris.
ADA. Lettres pastorales. Mgr de La Villerabel, 1921-1934. Lettre intitulée « À propos du peu de prêtres », 2 février 1922.
Du nom de la famille du député radical et franc-maçon Paul Jacquier. Ce dernier est député de 1909 à 1919, et de 1924 à 1935. Il est également maire de Thonon-les-Bains de 1921 à 1925.
ADA. 4 L. Société immobilière. Registre des délibérations du conseil d’administration. 1920-1957. Réunion du 22 mars 1922.
Ibid.
ADA. 3 J. Thonon. Texte du chanoine Bernard, supérieur du petit séminaire, à l’occasion du cinquantenaire de l’ouverture de l’établissement.
ADA. Lettres pastorales. Mgr de La Villerabel, 1921-1934. Lettre intitulée « À propos du peu de prêtres », 2 février 1922.
ADA. 4 L. Société immobilière. Registre des délibérations du conseil d’administration. 1920-1957. Réunion du 8 mai 1922.
Ce qui équivaut à environ 274 513,25 euros (2006)
ADA. 4 L. Société immobilière. Registre des délibérations du conseil d’administration. 1920-1957. Réunion du 21 septembre 1922.
Ibid. Réunion du 31 mars 1923.
À la création de la commission diocésaine d’architecture, Blanchard est nommé membre. Les travaux sont effectués par J. Novarina, le père de l’architecte Maurice Novarina, auteur de plusieurs églises dans le diocèse.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 19, 11 mai 1923, p. 266. Voir annexe n° 61.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 23, 8 juin 1923, p. 314. L’autre partie étant pour les œuvres.
j. raymond, La Haute-Savoie…, op. cit., t. 2, p. 915.
ADA. 3 J Thonon. La répartition se fait comme suit : souscriptions des paroisses : 247 320,15 francs ; dons des paroisses : 83 745,30 francs. Divers et autres que souscriptions et dons par paroisses : 86 673 francs. Total : 417 738,45 francs, ce qui équivaut environ à 382 957,55 euros (2006).
Lors des noces d’argent du petit séminaire, le chanoine Bernard remercie particulièrement les frères Dérippe qui ont été de généreux donateurs pour l’établissement. Soulignons que l’abbé Henri Dérippe est l’un des initiateurs de la restauration du collège de Thônes. Les vêtements liturgiques et les objets du culte sont en partie des dons faits par les prêtres ou les fidèles.
ADA. 3 J. Thonon. Texte du chanoine Bernard, supérieur du petit séminaire, à l’occasion du cinquantenaire de l’ouverture de l’établissement. La marraine est madame Roupioz d’Annecy, sans doute s’agit-il de la secrétaire de la Ligue des femmes françaises. Le parrain est le député René Bartholoni. La cloche est bénie et placée le 17 mai 1926.
Il est membre de la conférence de Saint-Vincent de Paul. (Revue du Diocèse d’Annecy, n° 27, 5 juillet 1929, p. 432.) Son fils, Pierre, ancien scout meurt au front en 1940. Dans la biographie que son père lui consacre, la préface est signée de Mgr de La Villerabel, alors qu’il est archevêque d’Aix-en-Provence.
ADA. 3 J. Thonon. Recueil, réalisé par le chanoine Luc Pernoud, des bienfaiteurs du petit séminaire.
Ibid. Texte du chanoine Bernard, supérieur du petit séminaire, à l’occasion du cinquantenaire de l’ouverture de l’établissement.
Ensemble, 3e trimestre 1950-1951.
ADA. 3 J Thonon. Ephémérides par le chanoine Pernoud. Il évoque à plusieurs reprises la visite de l’évêque.
Ensemble, 3e trimestre 1950-1951. L’abbé Pernoud se souvient : « de ce jour où … un coup de téléphone matinal de l’évêque le surprit: « Allo ! M. Le supérieur, j’ai la joie d’une visite d’ami, Mgr de Llobet, évêque de Gap. Je me demandais ce qui lui serait agréable… J’ai pensé lui montrer ce que j’ai de plus beau dans mon diocèse, mon petit séminaire si aimé… ».
Lettre annonçant la prochaine ouverture du petit séminaire de saint François de Sales de Thonon, 15 mars 1923, p. 1.
Ibid.
Lettre annonçant la prochaine ouverture du petit séminaire de saint François de Sales de Thonon…, op. cit., p. 1. La rentrée à lieu le 3 avril.
Les professeurs sont les abbés Luc Pernoud, Jean-Marie Gaillard (ancien professeur à Évian), économe ; Claude Chevallay qui s’occupe des classes de 7 et 6e. Les deux surveillants sont Claudius Premat et Julien Laperoussaz, grands séminaristes. Les cours élémentaires reviennent à Pierre Desbiolles (il quitte l’établissement au cours des vacances 1924-1925 ; le chanoine Pernoud dans ses éphémérides écrit : « départ du fameux abbé Desbiolles). L’abbé Desbiolles né en 1886 est ordonné le 7 juillet 1912 à Saint-Joseph du Lac (Chens). Professeur à Senlis en octobre 1912, il arrive à Thonon en mai 1923, et repart à Senlis en octobre 1925, il y reste jusqu’en 1944, date à laquelle il entre à l’Externat Saint-Joseph à Toulon. En 1952, il revient dans le diocèse, se retirant à Arbusigny. Il décède à Annecy en 1959. (Nouveau supplément au dictionnaire du clergé…, op. cit., p. 955).
Ancien professeur de rhétorique à La Roche-sur-Foron, il est nommé pour s’occuper et organiser Thonon-les-Bains. En 1940-1941, il donne sa démission et devient aumônier des sœurs à Concise. Remplacé par le chanoine Bernard, Pernoud décède le 20 octobre 1963, dans sa 94e année.
Il s’agit d’Albéric Fleury qui s’occupe de la classe de 7e, et de Jean-Marie Gallay pour celle de 6e.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 1, 8 janvier 1964, p. 15.
Ibid., n° 39, 28 septembre 1923, p. 526.
Ibid.
Ibid., n° 1, 8 janvier 1964, p. 15. Notice nécrologique du chanoine Luc Pernoud. Le chiffre est largement dépassé après la guerre, puisqu’en 1946, l’établissement accueille plus de 180 élèves.
ADA. 3 J 1048 Q 4.
Nous avons effectué le relevé de la rentrée de 1923 jusqu’à celle de 1939-1940. Voir annexe n° 52.
Il s’agit principalement de paroisses situées dans le Faucigny (Combloux, Saint-Martin-sur-Arve, Argentières et Peillonnex). Annecy envoie également quelques élèves.
Quelques-uns viennent de Paris, un d’Arras, un de Tunisie.
Il faut ajouter trois autres paroisses situées hors du territoire diocésain : Lyon, Genève et Petit-Saconnex (Suisse).
D’après le relevé effectué aux Archives diocésaines d’Annecy et le 3 J 1048 Q 4. Il apparaît quelques différences entre les origines relevées dans le registre des entrées au grand séminaire et la liste fournie par le 3 J.
Entretien avec l’abbé Cl. Chatelain.
Les collèges de Thônes et de La Roche-sur-Foron étaient ouverts à la fois aux élèves se destinant à la prêtrise et à ceux se destinant à une carrière laïque.
Cette rentrée au grand-séminaire correspond à la rentrée d’élèves au petit séminaire de Thonon-les-Bains, lors des années de la reprise de la lutte anticléricale du cartel des gauches. Voir annexe n° 46.
Cette baisse n’est sans doute pas sans relation avec les classes creuses dues à la guerre. Le même phénomène se produit pour Thônes et La Roche-sur-Foron.