d. Le collège Saint-Michel

Contrairement aux trois établissements que nous venons d’évoquer, le collège Saint-Michel2155 n’est pas destiné à la formation de prêtres, mais bien plutôt à celle des enfants des familles aisées d’Annecy2156. Même si la condition sociale2157 n’est pas un frein à l’entrée dans l’établissement, il n’en demeure pas moins que les enfants des familles moyennes ne s’y retrouvent guère. L’histoire de la naissance de Saint-Michel se confond parfois avec une histoire de familles et d’alliances. Les fondateurs, importants industriels de l’agglomération, se retrouvent parfois unis par des liens familiaux.

Le collège chapuisien2158, où saint François de Sales avait étudié, n’existe plus, ayant cédé depuis longtemps sa place à une caserne2159. Cette absence d’établissement secondaire libre ennuie profondément certains pères de familles, contraints d’envoyer leurs enfants dans d’autres villes afin qu’ils puissent recevoir une bonne éducation. Un essai avait été fait au temps de Mgr Isoard – au début des années 1890 – avec l’Externat Saint-Bernard, aux Marquisats2160. Cependant l’essai peu concluant se solda par un échec, l’établissement fermant ses portes six années après son ouverture2161. Cette fermeture intervient alors que l’externat compte soixante élèves et prévoit l’ouverture de la classe de rhétorique2162. Les causes de la fermeture de ce premier collège libre semblent provenir des familles chrétiennes qui n’ont pas assez soutenu Mgr Isoard, qui pourtant a fait de grands sacrifices personnels pour doter sa ville épiscopale d’un tel établissement2163. L’abbé Rognard, vice-chancelier de l’évêché à partir de 1922, fut professeur dans cet établissement de 1890 à 18962164, tout comme l’abbé Gavard, futur supérieur d’Évian-les-Bains et du grand séminaire. Ce dernier y enseigna de 1892 à 1896, date à laquelle il est appelé au collège d’Évian-les-Bains2165 pour y enseigner la rhétorique2166.

Deux solutions se présentaient alors aux familles qui souhaitaient que leurs garçons fassent de bonnes études : soit les envoyer au lycée public2167 de la ville, soit les envoyer en pension que ce soit à Lyon, à Saint-Chamond ou à Paris2168. Plusieurs pères de famille prennent l’initiative de constituer à Annecy un établissement libre pour recevoir leurs enfants. Parmi les fondateurs se trouvent des membres de la famille Aussedat, propriétaire de la villa où avait été installé l’Externat Saint-Bernard, mais également directeurs des papeteries à Cran. Les présidents fondateurs de Saint-Michel sont Louis Balleydier et Louis Aussedat, beau-père et gendre2169. Dès 1923, les parents « harcèlent […] le nouvel évêque»2170, qui soucieux de répondre « à la demande pressante des parents annéciens »2171, et ne pouvant pas encore demander à son clergé de fournir des prêtres2172, s’adresse aux jésuites, aux marianistes et aux oblats de Saint-François-de-Sales pour s’occuper du futur établissement. Seuls ces derniers acceptent la proposition. La rencontre aux État-Unis de Pierre Calliès2173, ingénieur des Mines2174, et du Père Berthet, oblat de Saint-François-de-Sales, n’est sans doute pas étrangère à ce choix. Calliès fait part au père Berthet de la volonté de fonder à Annecy un établissement secondaire catholique et dont l’absence se fait sentir. Mais le père Berthet refuse de transformer l’établissement des oblats d’Annecy en collège, ce sont les Missionnaires de Saint-François-de-Sales qui résoudront le problème.

En 1919, avec les Missionnaires de saint-François de Sales occupent, au pied de la colline de la Visitation, la villa Brunier2175, dont l’ex-propriétaire était un procureur. Ils la transforment en un petit juvénat pour le recrutement des Missionnaires de Saint-François-de-Sales. Le père Ambroise, mutilé de la Grande Guerre, met toute son ardeur au service de cet établissement qui devient rapidement une pépinière de missionnaires ; il mettra aussi beaucoup d’énergie pour la création du nouveau collège.

Deux associations s’étaient créées afin de pouvoir concrétiser le projet. La première prenant le nom de Société Immobilière du faubourg des Balmettes, est propriétaire des bâtiments. Elle se constitue grâce à des actions, mais surtout par les apports importants faits par Germaine Aussedat, la sœur de Louis Aussedat. La seconde est la société annécienne d’enseignement secondaire libre, locataire des lieux2176. En 1927, à la mort de Louis Balleydier, Izoard accepte la direction de la société immobilière. Claudius Gayet2177, Paul Lamy2178 et Jean Balleydier2179 l’aident à la gestion de la société. Parmi les fondateurs, il y a également Pierre Fournier2180, commerçant annécien et ancien vice-président diocésain de l’ACJF pour l’arrondissement d’Annecy2181.

Le collège prend le nom de Saint-Michel, protecteur de la France, mais également saint patron de l’évêque fondateur. Les armes du collège portent la croix des Oblats de saint François de Sales2182, les armoiries de saint François de Sales et celles de Mgr du Bois de La Villerabel. Nous pouvons noter qu’aucune lettre-circulaire n’annonce la création de l’établissement, ni même l’ouverture, contrairement à Thonon2183 et Thônes2184. Pourquoi ? Est-ce parce que l’établissement n’est finalement destiné qu’aux laïcs, c’est-à-dire qu’il n’a pas comme finalité la préparation de prêtres ? Est-ce parce que l’initiative, bien qu’encouragée par l’évêque, ne revient pas au clergé ? Même la presse catholique se fait discrète sur cette ouverture, qui pourtant aurait dû être louée. La Croix de la Haute-Savoie lui consacre un petit article en septembre 1926, mais il n’est qu’une reprise de celui paru dans la Revue du Diocèse d’Annecy. Est-ce parce que l’établissement n’est pas tenu par des prêtres diocésains ? Est-ce tout simplement parce qu’aucune aide financière n’est demandée aux fidèles? Si tel est le cas, la lettre-circulaire informant les fidèles de la bonne nouvelle de la construction d’un établissement ne serait finalement qu’un moyen officiel de demander à tous de participer à l’effort financier en donnant leur obole. Dans le cas de Saint-Michel, il semble donc bien que les quelques familles fondatrices, sans doute rejointes par d’autres, payent l’intégralité des modifications et des réaménagements.

Moins de cinq ans après l’arrivée de Mgr de La Villerabel, les premiers élèves sont accueillis dans le nouvel établissement. C’est le père Ambroise2185 qui avec l’aide des parents d’élèves ouvre « l’Externat Saint-Michel »2186, qui s’installe dans la villa « Chantal ». À la rentrée de Pâques 1926, ce sont une cinquantaine d’élèves qui font leur entrée dans le nouvel établissement2187, sous la direction du chanoine Rognard. La première vraie année scolaire s’ouvre le 11 octobre 1926 et seule la classe de huitième est ouverte2188. Le chanoine Rognard reste jusqu’en 1927, date à laquelle il est remplacé par le Père Pluot2189, oblat de saint François de Sales. En 1928, il est nécessaire de construire de nouveaux bâtiments pour accueillir les élèves toujours plus nombreux2190. En 1933, la grande chapelle est terminée2191, elle est bénie le 26 novembre, en présence des cent trente élèves2192. La messe est célébrée par Mgr Pernoud, vicaire général, directeur de l’enseignement libre dont on connaît « l’inlassable dévouement pour tout ce qui touche à la formation et à la défense de la jeunesse »2193. Au cours des années Trente, l’établissement accueille jusqu’à deux cents élèves, leur nombre étant quasiment multiplié par cinq en moins de dix ans. Le succès est tel qu’en 1938 une classe de philosophie est ouverte.

Arrivés au terme de cette présentation sur les principaux établissements secondaires présents dans le diocèse, nous pouvons rappeler qu’il en est un dont nous n’avons pas parlé : le collège de La Roche-sur-Foron. Nous ne l’avons pas évoqué parce qu’il ne connaît pas de changements majeurs pendant la période étudiée.

Nous avons pu constater que le diocèse retrouve au début des années Trente une situation qui est presque aussi bonne que celle qu’il avait connu à la veille de la Séparation. Le petit séminaire de Thonon-les-Bains semble avoir largement compensé la disparition de Mélan et d’Évian-les-Bains ; il offre au diocèse de nombreux prêtres. Nous avons pu constater que les entrées au grand séminaire n’aboutissaient pas toutes à l’ordination même si les abandons semblaient moins importants qu’avant 1905. Sans doute ceux qui font le choix de la prêtrise sont-ils plus motivés que ne pouvaient l’être certains avant la Séparation, qui ne voyaient dans le sacerdoce qu’un moyen d’aisance et de respect. Si Mgr de La Villerabel ne sacre qu’un seul de ses prêtres, il prépare le terrain pour les ordinations épiscopales futures. Plusieurs prêtres ayant étudié à Thonon, en particulier, sous son épiscopat seront élevés à leur tour à l’épiscopat, et certains au cardinalat. Tout au long de l’épiscopat de Mgr de La Villerabel, le petit séminaire de Thonon est une pépinière importante de vocations. Cet épiscopat qui correspond également à une période de croissance démographique et urbanistique doit adapter son maillage à la situation présente, notamment par la création de nouvelles paroisses.

Notes
2155.

Les documents sur les origines du collège sont assez rares pour ne pas dire quasi inexistants.

2156.

Le registre d’entrées des élèves au grand séminaire ne comporte que très peu d’élèves venus de Saint-Michel (sur la période 1923-1962), il y en a moins de cinq.

2157.

Le prix est de cent francs par mois (56 euros). Les leçons de musique instrumentale, les leçons de gymnastique, les livres et les fournitures ne sont pas comprises dans le prix. Revue du Diocèse d’Annecy, n° 38, 17 septembre 1926, p. 463.

2158.

Du nom d’Eustache Chappuis (1499-1556), diplomate. Ambassadeur à la cour du roi d’Angleterre Henri VIII, il fonde un collège dans sa ville natale. Ce dernier ferme ses portes en 1888. Son « héritier » est le lycée de garçons, Berthollet, inauguré en 1888 par le président Sadi Carnot, ancien ingénieur des Ponts-et-chaussées à Annecy.

2159.

C’est en 1888 que les chasseurs à pied, fraîchement spécialisés alpins (11e BACP), arrivent à Annecy. Ils construisent un quartier dans la plaine des Fins qui prendra, après la Première Guerre mondiale, le nom de Galbert, en hommage à son commandant tué à l’ennemi dès les premiers mois du conflit.

2160.

Dans la maison connue des annéciens sous le nom de « maison Aussedat », sise 10 rue des Marquisats. Elle abrite aujourd’hui des salles municipales ainsi que des services de la trésorerie municipale.

2161.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 2, 10 janvier 1935, p. 21.

2162.

Ibid.

2163.

Ibid. L’auteur de l’article note : « les familles chrétiennes d’Annecy, pour qui cette œuvre fut créée de toute pièce par l’évêque n’avaient pas répondu avec la même générosité que Mgr Isoard à cet appel… ».

2164.

Nouveau supplément au dictionnaire du clergé…, op. cit., p. 1041. Né en 1865, il est ordonné en 1889. Il est étudiant aux facultés de Lyon pendant un an, avant de rejoindre l’Externat Saint-Bernard le 15 octobre 1890. Il y reste jusqu’à son départ pour La Roche-sur-Foron, le 1er octobre 1896. Il y est « un professeur de rhétorique très goûté des élèves et très populaire ». En novembre 1926, il devient directeur de la Revue, suite au départ du chanoine Moccand (†1927). Il met alors son talent au service de ses lecteurs, notamment par le biais des notices nécrologiques qui sont souvent très riches.

2165.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 2, 10 janvier 1935, p. 21.

2166.

En 1903, il est chargé de prendre la direction du collège, après le départ des Missionnaires de Saint-François-de-Sales

2167.

Lycée Berthollet.

2168.

Chroniques de 25 années, 1926-1951. Bulletin de liaison de l’Association des anciens élèves du collège Saint-Michel d’Annecy, supplément de juin 1951. p. 6.

2169.

Louis Balleydier épouse Marguerite Charrut, petite-fille (par sa mère) de Frédéric Laeuffer, directeur de la Manufacture d’Annecy. En 1907, leur fille Marie-Louise épouse Louis Aussedat, fils de Jean-Marie Aussedat II et de Marie Despine. Louis Aussedat est également le neveu du député Crolard. Louis Balleydier est un descendant du général qui a donné son nom à la caserne ayant succédé au collège chapuisien.

2170.

Saint-Michel, 1926-1976, p. 29.

2171.

ADA. Pochette Saint-Michel. Éloge funèbre du père Pluot, sans date.

2172.

Ils s’occupent déjà de Thônes, La Roche-sur-Foron et Thonon-les-Bains.

2173.

Son frère Alexis (1870-1950) a été élève de l’Externat Saint-Bernard, à la fin des années 1880. Chroniques de 25 années, 1926-1951. Bulletin de liaison de l’Association des anciens élèves du collège Saint-Michel d’Annecy, supplément de juin 1951, p. 5.

2174.

Il est l’adjoint de Joseph Aussedat à la Papeterie, mais il est également descendant de Jean-Marie Aussedat I, donc cousin de Louis Aussedat.

2175.

Du nom de son ancien propriétaire le député Félix Brunier, mort en 1891. Il est également possible de trouver l’appellation de « Villa Chantal ». Voir les photos en annexe n° 82.

2176.

b. lecoin, Collège Saint-Michel, 1926-1995, p. 56.

2177.

Il est représentant de Streichenberger. En 1940, il est trésorier de l’UDH. ADA. 1 D 22. Mgr Cesbron, boîte n° 9. Rapport présenté par le chanoine Bouvard, secrétaire des œuvres et vice-président du bureau diocésain à Mgr Cesbron en décembre 1940.

2178.

Nous les retrouvons au comité de l’Union de défense des intérêts religieux.

2179.

Jean Balleydier est le fils de Louis Balleydier, il est également le beau-frère de Louis Aussedat. Lamy est le directeur de l’usine d’étain de Vovray, et le voisin des Aussedat dans la maison du 10 rue des Marquisats.

2180.

Il est également membre du comité de l’UDH. En 1936, il devient brancardier chef de l’Hospitalité diocésaine des brancardiers de Notre-Dame de Lourdes. ADA. 1 D 22. Mgr Cesbron, boîte n° 9. Rapport présenté par le chanoine Bouvard, secrétaire des œuvres et vice-président du bureau diocésain à Mgr Cesbron, décembre 1940.

2181.

Cf. supra, p. 102.

2182.

Une croix blanche sur fond bleu.

2183.

Lettre de Mgr l’Évêque d’Annecy annonçant la prochaine ouverture du PS de saint François de Sales de Thonon, 15 mars 1923, 3 pages.

2184.

Lettre Circulaire de Mgr l’Évêque d’Annecy au clergé de son diocèse à l’occasion de la reconstruction du “Petit collège de Thônes”, 27 juin 1930, 8 pages.

2185.

p. cortet (O.S.F.S.), Le Père Ambroise Firmin, oblat de Saint-François-de-Sales, 1891-1958, Annecy, Arts graphiques, 1961, 47 p. Il naît à Nîmes en 1891 de parents lorrains. Orphelin très tôt, il entre chez les Oblats à la veille de la guerre de 1914-1918, au cours de laquelle il perd une jambe. Au lendemain du Second conflit mondial il est nommé provincial de sa congrégation et il part à Marseille. Il décède en 1958.

2186.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 37, 10 septembre 1926, p. 434.

2187.

Les classes vont du primaire à la quatrième.

2188.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 38, 17 septembre 1926, p. 463.

2189.

Saint-Michel, 1926-1976, p. 46. Le père Pluot reste jusqu’en 1945.

2190.

Alors que le nombre d’élèves grandissait, la question de l’étroitesse des locaux se posait. L’hypothèse avait été émise de faire une liaison par car entre Annecy et Tessy, afin d’emmener les élèves dans les bâtiments du séminaire laissés vacants par le retour des séminaristes à Annecy. L’idée est finalement abandonnée, pourtant la liaison aurait été faisable, puisque Crolard, apparenté aux Aussedat, lance à cette même période la compagnie de cars encore présente aujourd’hui sur le bassin annécien.

2191.

Auparavant elle était située dans les combles de la villa Chantal. Chroniques de 25 années, 1926-1951. Bulletin de liaison de l’Association des anciens élèves du collège Saint-Michel d’Annecy, supplément de juin 1951.

2192.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 48, 1er décembre 1933, p. 802. L’architecte est Denizot et l’entrepreneur Gibello, également constructeur du monastère de la Visitation. Les marches menant à la chapelle proviennent d’ailleurs du monastère démoli en 1911.

2193.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 48, 1er décembre 1933, p. 803.