B. Création de paroisses et d’églises : le signe d’un dynamisme ?

Au XIXe siècle2194, l’Église de Savoie avait invité ses paroissiens à la construction ou à la reconstruction d’édifices cultuels, Mgr Isoard en consacrant près de quarante2195. Son successeur ne peut le faire, la Séparation ayant mis un coup d’arrêt à ce mouvement2196. Cependant, les constructions reprennent dès la fin des années Vingt2197, à une période où, en France, « un nouvel art religieux tente de répondre »2198 aux besoins nouveaux, nés de la guerre et de la croissance démographique2199.

En 1931, les citadins français sont aussi nombreux que les ruraux2200. Ces proportions ne sont pas atteintes dans le diocèse où les campagnes restent le principal lieu de résidence2201. Cependant, certaines zones connaissent une extension du fait de l’accroissement démographique, lui-même lié à la croissance économique. Il importe alors que le Christ soit présent dans « la banlieue »2202. Quelques chefs-lieux de canton voient leur population quasiment doublée entre 1911 et 1931. Dans le dessein de répondre à cet accroissement urbanistique et démographique, le clergé crée de nouvelles paroisses afin de ne pas délaisser les fidèles. Ce phénomène est visible dans différentes parties du diocèse, dans des zones de fidélité à la religion, comme dans celles qui montrent un certain détachement. Les premières paroisses nouvelles se constituent dans des zones rurales, ayant cependant une vocation touristique ou ouvrière. En juin 1938, un article de La Croix de la Haute-Savoie titre « Vitalité religieuse. Une nouvelle église ». Le papier continue en rappelant que le « diocèse d’Annecy respire la vie féconde. Riche en paroisses, riche en sanctuaires et en églises ; il ne saurait dormir sur l’acquis »2203. Et il est vrai qu’entre les deux conflits mondiaux, plusieurs lieux de culte sont construits. Si la guerre ralentit le mouvement, en aucun cas elle ne l’anéantit, puisque entre 1945 et 1962, ce sont près d’une dizaine d’églises qui seront consacrées. La poussée démographique étant le principal moteur à l’origine de ces constructions nouvelles.

Annecy voit sa population augmenter de 29 % entre 1911 et 1931, avec une progression importante entre 1921 et 1931, où la ville gagne cinq mille deux cent vingt-cinq habitants (plus 34 % entre 1921 et 1931). Thonon-les-Bains connaît également une forte croissance puisque sa population connaît une augmentation de plus de 56 % entre 1911 et 1931, entre 1921 et 1931, elle gagne trois mille deux cent quarante-neuf personnes (plus 40 %). Sans doute la croissance la plus spectaculaire est celle d’Annemasse, qui passe de trois mille trois cent trente-quatre habitants en 1911 à sept mille quatre-vingt-douze, vingt ans plus tard, soit une augmentation de 112 %2204. Le clergé ne peut pas rester insensible à cette hausse démographique, c’est pourquoi tout au long des années Trente, de nouvelles paroisses sont créées. Ces créations sont-elles le signe d’un dynamisme de la pratique2205 ou la simple expression d’une volonté d’un meilleur encadrement ? Sans doute, la seconde hypothèse prime sur la première, même si le diocèse est encore loin de connaître les banlieues déchristianisées. Sans doute par ces nouvelles implantations d’édifices, le clergé tente-t-il d’éviter au mieux cet abandon progressif de la religion qui se rencontre parfois dans les classes ouvrières et / ou dans les banlieues. Il appartient à l’église de tout faire pour mieux encadrer les fidèles afin qu’ils ne soient pas tentés d’abandonner leurs devoirs religieux.

Dans certains cas (Les Fins), les demandes de création émanent de la population qui souhaite la constitution d’une nouvelle communauté. L’éloignement de l’église paroissiale originelle est souvent le motif de la modification du maillage paroissial. À cela s’ajoute la croissance démographique. Ces deux éléments justifient la construction de nouveaux édifices. Dans un cas seulement, la construction est nécessaire car l’ancienne chapelle est trop petite (Vongy). Contrairement à d’autres diocèses, tel celui de Paris2206, où sont lancés les chantiers du Cardinal2207, celui d’Annecy n’a pas d’organisation spécifique, et une nouvelle fois la générosité des fidèles est sollicitée. Il ne semble pas non plus y avoir de système d’emprunts pour les chantiers, comme cela se fera après la Seconde Guerre. L’évêque accepte que les nouvelles constructions répondent à l’art nouveau, qui pourtant « ne s’affirme que dans une minorité d’églises »2208. L’architecture et la décoration sont épurées et reviennent à un certain symbolisme. Dans un style nouveau, ces lieux de cultes ne sont-ils pas le symbole de l’adaptation de la religion à son temps, ou du moins ne montrent-ils pas que l’autorité ecclésiastique accepte des changements liés à son temps ? De façon relative, nous pourrions dire que le diocèse vit dans son temps. D’ailleurs, en 1935-1936, des conférences sont organisées au grand séminaire avec des architectes ou des artistes. Tel est le cas de Charles Anthonioz, auteur de la table de communion de Vongy, qui entretient les élèves de l’esthétique de l’église paroissiale, ou encore de Marcel Feuillat, professeur aux Beaux-Arts de Genève, qui évoque avec eux le mobilier et les arts du métal. Enfin, Maurice Novarina parle des tendances nouvelles d’architecture2209. Les vitraux mettent à l’honneur à la fois les saints et valeurs prônées par l’église (Vongy ou Chedde) : la famille, le travail de la terre ou à l’atelier. Dans plusieurs églises nouvelles (Chedde, Vongy, Les Fins), le regard du fidèle se porte directement vers l’autel et le tabernacle. De n’importe quel point de l’église, il lui est possible de voir l’autel, l’absence de pilier n’entravant pas la vue. D’ailleurs cette absence permet également une meilleure acoustique. Les artistes les plus connus du moment dans l’art sacré participent à ce mouvement, qu’il s’agisse des verriers Cingria ou Lardeur, du peintre Maurice Denis, ou de l’architecte Dom Bellot. Enfin, l’autorité n’hésite pas à faire confiance à un jeune architecte local, Maurice Novarina, pour la réalisation de trois édifices2210.

Si architecture et décoration innovent, il en est de même pour les vocables. Trois églises sont placées sous la protection de Saint-Joseph2211, alors que les autres se placent sous le patronage de Notre-Dame, qui dans certains cas s’ancre de façon « locale » dans le diocèse en devenant des Alpes ou du Léman.

Notes
2194.

Le mouvement des constructions d’églises se rencontre dans d’autres diocèses, tel celui de Rouen, où neuf églises sont construites dans l’entre-deux-guerres. Nadine-Josette Chaline dans son histoire des Catholiques Normands sous la III ème République (p. 212), rappelle que l’on ne saurait comparer les vingt années de l’entre-deux-guerres à « l’époque du Second Empire ou au début de la Troisième République ».

2195.

Au total entre l’épiscopat de Mgr Rendu et celui de Mgr Isoard, ce sont cent quarante-neuf lieux de cultes qui ont été consacrés, soit près de la moitié des édifices présents sur le territoire diocésain.

2196.

Les constructions d’édifices se font principalement par souscriptions. Les diocésains doivent déjà participer à l’entretien de leur clergé, à la construction des écoles libres suivant les paroisses, à la construction des maisons paroissiales (ou des œuvres), ils ne peuvent pas encore être sollicités pour la construction d’églises nouvelles.

2197.

Dans le diocèse de Paris, les constructions d’églises se sont poursuivies de la Séparation aux années Vingt, mais les besoins étaient différents de la plupart des diocèses « de province ».

2198.

g. cholvy et y.-m. hilaire , Histoire religieuse…,op. cit., t. 2, p. 322.

2199.

Dans plusieurs diocèses ces constructions sont en fait destinées à réparer les dommages liées à la guerre. Le diocèse de Verdun a perdu 56 % de ses églises entre 1914 et 1918.

2200.

C’est en 1931 que les ruraux sont aussi nombreux que les citadins.

2201.

Les recensements montrent que pour la Haute-Savoie : 24,1 % des habitants sont citadins alors que pour la Savoie ce chiffre est de 21%. a. palluel-guillard, c. sorrel, g. ratti et alii, La Savoie de la Révolution à nos jours…, op. cit., p. 369.

2202.

g. cholvy, y.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., t. 2, p. 334. Cela est surtout vrai pour Annecy et Thonon. Il y a une référence au livre du père Lhande Le Christ dans la banlieue, paru en 1927.

2203.

La Croix de la Haute-Savoie, 26 juin 1938.

2204.

Les paroisses d’Étrembières et d’Ambilly sont ajoutées à celle d’Annemasse.

2205.

Contrairement au mouvement lancé, dans les années 2000, de création de nouvelles paroisses qui ne sont en fait qu’un regroupement faute de prêtres mais aussi de fidèles.

2206.

Il est évident que les demandes et les besoins ne sont pas les mêmes, les échelles étant différentes.

2207.

Ils sont lancés en 1931.

2208.

g. cholvy, y.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., t. 2, p. 324.

2209.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 50, 12 décembre 1935, p. 871. Faut-il percevoir ces conférences comme le signe d’une ouverture de la part de l’autorité ? Ou comme le signe que de nouvelles églises sont encore à construire ?

2210.

Après la guerre, il sera à nouveau l’architecte de plusieurs nouvelles églises.

2211.

Ce dernier est fait patron de l’Église universelle en 1889 par le pape Léon XIII. Le collège de Thônes est placé sous sa protection, comme la nouvelle paroisse d’Annemasse (1941).