c. Les rives du Léman

À la fin du XIXe siècle, l’église paroissiale Saint-Hyppolite, fut jugée trop petite au regard de la population thononaise toujours croissante. Il fut alors décidé de construire un nouvel édifice placé sous la protection de saint François de Sales, dont les fêtes du doctorat étaient encore toutes récentes2334. La première pierre fut posée et bénie en 1889 par Mgr Isoard. Faute de moyens, le projet fut stoppé et l’édifice transformé en grange à foin2335. Ce n’est qu’avec l’arrivée du chanoine Chaumontet que le projet aboutit. Ce dernier, curé-archiprêtre d’Alby-sur-Chéran depuis 1907, est nommé à Thonon-les-Bains le 13 novembre 19212336.

L’année suivante, profitant du tricentenaire de la mort du missionnaire du Chablais, il s’adresse à tous les évêques de France pour leur demander de venir en aide à la construction de l’église, qui est dans un style gothique du XIIIe siècle. Cette dernière est bénie le 30 novembre 1930 par Mgr de La Villerabel, assisté de Mgr Rossillon2337. En 1933, à l’occasion de l’anniversaire de la dédicace de l’église, l’évêque, accompagné de ses deux vicaires généraux, célèbre une messe dans l’édifice2338, qui a la particularité d’être reliée par une voûte2339 à l’église Saint-Hyppolite, qui a finalement été sauvée de la destruction, notamment par le comte Amédée de Foras2340. L’abbé Chaumontet décède en 1937, et c’est son successeur l’abbé Bublens qui termine la décoration de l’édifice, en faisant appel à l’un des chefs de file du renouveau de l’art sacré de l’entre-deux-guerres. L’édifice mêle à la fois une architecture traditionnelle et une décoration moderne : vitraux de Lardeur et peintures de Maurice Denis2341.

Au début des années Trente, l’accroissement de la cité chablaisienne se poursuit grâce à son industrie, son tourisme estival et dans une moindre mesure à son thermalisme. Le « paisible »2342 hameau de Vongy, situé entre Marin, Publier et Thonon-les-Bains prend de l’importance. En 1922, Mgr de La Villerabel confie à la charge des oblats de Saint-François-de-Sales, la chapelle, fondée au XVIIe siècle2343, et où près de cent cinquante personnes « s’écrasent [chaque dimanche] pour assister à la messe »2344. Cette population pousse le prêtre, grand mutilé de guerre, l’abbé Ambroise Firmin2345, à « jeter en pleine crise les fondations d’une nouvelle et spacieuse église dédiée à la Vierge, sous ce titre nouveau et touchant de Notre-Dame du Léman »2346. Pour répondre à la demande de la population de cette « banlieue importante de Thonon »2347, il est décidé de construire un nouvel édifice2348, puis plus tard d’ériger une nouvelle paroisse2349. C’est le 1er mai 1933 qu’est donné symboliquement le premier coup de pioche, par le TRP Pernin, supérieur provincial des Oblats de Saint-François-de-Sales ; le second étant donné par le desservant de la chapelle, l’abbé Ambroise. En cinq jours, les mille quatre cent mètres carrés de terre sont enlevés et la construction peut débuter2350. Sans ouvrir réellement une souscription comme cela s’est fait pour Chedde, il est demandé « à ceux qui voudraient aider et participer à l’acte de courage et de foi du Père Ambroise »2351 de lui adresser leur obole. La première pierre est bénie par Mgr de La Villerabel le 2 juillet 1933, et le 10 juin 1935 a lieu la bénédiction solennelle de la nouvelle église2352, première œuvre du jeune architecte thononais Maurice Novarina2353. Cette église, tout en étant d’un style nouveau, conserve extérieurement un aspect encore traditionnel, même si le claustra extérieur innove véritablement. Les pierres bleutées des Allinges2354 cachent la structure de béton. La charpente en chêne de Hongrie reprend la forme d’une barque renversée, et sa forme élancée oblige le fidèle à jeter immédiatement son regard vers le tabernacle. L’utilisation d’une large gamme de bleu (près de deux cents) plonge l’église dans une dévotion virginale2355. Mgr de La Villerabel accepte les recherches artistiques à Vongy, dont la décoration est fortement symbolique. Sur la mosaïque2356, située derrière l’autel et représentant Notre-Dame sur une barque2357, portant l’enfant Jésus et se présentant aux différents saintes et saints de Savoie, Saint-Guérin2358 prend les traits de l’évêque d’Annecy2359. Les vitraux qui honorent le travail manuel et le foyer sont l’œuvre des vitriers Mauméjean (Paris) et Bessac (Grenoble).

De nouvelles communautés sont encore créées sous l’épiscopat de Mgr de La Villerabel. Comme la première à être créée par cet évêque, la dernière est placée sous le patronage de Saint-Joseph. Elle est située à Annemasse, dans un quartier ouvrier, où se trouve, comme à Chedde, une importante colonie italienne2360. La ville d’Annemasse2361 connaît un développement considérable dans l’entre-deux-guerres, sa population augmentant de 112 % entre 1911 et 1936. La paroisse Saint-André s’avère donc trop petite pour accueillir tous les fidèles, et il devient impérieux de penser à l’érection d’une nouvelle paroisse et à la construction d’un nouveau lieu de culte. En mai 1938, une chapelle provisoire est ouverte pour le culte2362, et l’abbé Chauplannaz, le curé-bâtisseur, loge dans un presbytère provisoire Clos Dupanloup. À cette même date, ce sont cent cinquante-cinq mille cent quatre-vingt-un francs2363 qui sont collectés pour la construction, mais à la fin de l’année, se pose toujours la question de « quand commencent les travaux »2364. La guerre ralentit le chantier, et la construction commence en 1941 pour se terminer en 1944. Appelé à la direction du grand séminaire, l’abbé Chauplannaz ne peut suivre la construction de l’église jusqu’à son terme. Soulignons que, faute de moyens nécessaires, le clocher prévu par l’architecte Dom Bellot ne peut être construit.

Arrivés au terme de cette présentation nous pouvons dresser un bilan. Les paroisses nouvelles sont érigées dans la seconde partie de l’épiscopat de Mgr de La Villerabel, c’est-à-dire à partir de 1929-1930, même si les travaux de l’église du Fayet débutent plus tôt. L’autorité épiscopale répond assez rapidement aux modifications de l’urbanisation en acceptant de revoir son découpage paroissial. Toutes ces constructions montrent une demande forte de la part des communautés, qui, parfois, sont à l’origine des demandes. Pour mener à bien tous ces projets, il est nécessaire d’avoir des fonds. Les diocésains sont très souvent sollicités puisqu’ils participent à dix chantiers en dix ans2365. La création de l’Association diocésaine en 1926 permet également de donner une nouvelle impulsion au mouvement de construction, en donnant la possibilité au diocèse d’avoir des fonds. La figure du curé-bâtisseur, hériter du XIXe siècle, vit là ses derniers instants, puisqu’elle ne survivra pas à la guerre, les constructions d’après 1945 ne se mèneront plus de la même façon. Nous pouvons également nous demander si ces constructions ne sont pas le signe d’un dynamisme du diocèse, mais surtout de l’influence de son évêque qui réorganise et tente de s’adapter au mieux aux exigences de son temps. Dans la plupart des cas, les édifices construits en béton innovent dans leurs décorations. Mgr de La Villerabel et la commission d’art sacré permettent ces innovations architecturales et décoratives. Cette acceptation n’est-elle pas également un signe de l’ouverture de l’autorité épiscopale. Ces constructions ne sont-elles pas la matérialisation de l’attachement de la population à sa religion, mais également la prise de conscience de l’importance d’avoir des lieux de culte afin de faire perdurer la foi ? Il n’y a pas uniquement la construction de l’église puisque c’est tout un ensemble qui se crée. Le début de la construction marque le point de naissance de toute une communauté appelée à perdurer, puisque c’est le presbytère qui est construit, avec ses salles réservées aux œuvres, mais également dans certains cas l’école. Donc, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le maillage paroissial semble terminé et montre un dynamisme certain. Nous pouvons également nous demander si ce dynamisme n’est pas en relation avec les œuvres de jeunesse qui reprennent une activité dès 1919, et qui connaissent au cours des années Trente un essor, presque leur « âge d’or ».

Notes
2334.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 37, 15 mars 1933, p. 613. C’est l’abbé Jordan, arrivé à Thonon en 1882, qui lance le projet de construction du nouvel édifice de mille quatre mètres carrés capable d’accueillir un nombre plus important de fidèles.

2335.

Nouveau Supplément au dictionnaire du clergé…, op. cit., p. 937.

2336.

Il s’agit de l’abbé Chaumontet, directeur au grand séminaire et qui n’avait pu entrer à Chens. Cf. supra, p. 133 et suiv. Il est intéressant de souligner qu’il est nommé à Thonon – l’une des plus importantes paroisses du diocèse – après le décès de Mgr Campistron, au temps du vicaire capitulaire Rebord, à qui il s’était plaint en 1918 d’avoir été nommé à Alby-sur-Chéran.

2337.

Nouveau Supplément au dictionnaire du clergé…, op. cit., p. 937.

2338.

Elevée au rang de basilique en 1993.

2339.

Cette voûte sauvera la vie d’une trentaine de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous évoquerons cette question dans la partie consacrée à la guerre. Cf. infra, p. 344.

2340.

Dès 1885, il s’oppose à cette destruction et publie des brochures anonymes. Toutefois, il est reconnu par ses contemporains, parmi lesquels l’architecte Fivel, qui lui répond par papier interposé, en publiant un opuscule de 12 pages intitulé Répliques à monsieur le Comte de Foras, à l’imprimerie Burdet en 1885.

2341.

Maurice Denis (1870-1943) est considéré comme le théoricien du groupe des Nabis (prophète en hébreu), fondé en 1888. Après la Première Guerre mondiale, il fonde avec Georges Desvallières, les Ateliers d’Arts Sacrés, où le père Couturier est formé. Membre de l’Académie des Beaux-Arts en 1932, Maurice Denis participe à la décoration de la chapelle de Crète à Thonon en 1941. Le musée d’Orsay lui a consacré une exposition d’octobre 2006 à janvier 2007. http://www.evene.fr/culture/agenda/maurice-denis-10999.php (site consulté le 15 mars 2007).

2342.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 26, 30 juin 1933, p. 437.

2343.

Brochure Notre Dame du Léman. Chronologie.

2344.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 26, 30 juin 1933, p. 437.

2345.

Brochure Notre Dame du Léman. Ce dernier est également présent lors de la fondation du collège Saint-Michel d’Annecy. Cf. supra, p. 207-208.

2346.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 23, 6 juin 1936, p. 387.

2347.

Ibid., n° 23, 6 juin 1936, p. 387.

2348.

La nouvelle église est située juste derrière l’ancienne chapelle. Seule la route sépare les deux édifices. Il est possible de trouver l’appellation de chapelle de Vongy, alors qu’elle est bien le centre de la nouvelle paroisse.

2349.

La paroisse est érigée par ordonnance du 22 avril 1935.

2350.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 23, 13 juin 1935, p. 418. Une partie du terrain est donnée par la famille (de) Foras.

2351.

Ibid., n° 23, 6 juin 1936, p. 387.

2352.

Elle est consacrée par Mgr Cesbron en 1946. Revue du Diocèse d'Annecy, n°19, 9 mai 1946, p. 258. Voir annexe n° 80.

2353.

Nous l’avons présenté précédemment lors de l’évocation de Notre-Dame des Alpes au Fayet. Le hasard a placé les trois premières églises réalisées par Maurice Novarina, sous la protection de Notre-Dame (du Léman à Vongy, des Alpes au Fayet, de Toutes-Grâces à Assy). Cf. supra, p. 215 et suiv.

La ressemblance est frappante entre Notre-Dame du Léman et Notre-Dame des Alpes : la même architecture intérieure, les mêmes thèmes pour la décoration derrière le tabernacle : Notre-Dame entourée des saintes et saints Savoyards. À Vongy, elle arrive dans une barque ; au Fayet, elle arrive en posant le pied sur un roc, et entoure de son manteau saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal qui l’accueillent.

2354.

Les Allinges sont un « haut lieu » salésien. Faut-il voir dans ce choix, une référence à l’ex-chapelle vouée à saint François de Sales, qui se rendait aux Allinges tous les soirs lors de sa reconquête du Chablais ?

2355.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 26, 27 juin 1935, p. 453.

2356.

Elle est l’œuvre de Maunéjean. Le conseiller technique de l’archevêque de Paris et l’auteur de la mosaïque du Sacré-Cœur de Montmartre.

2357.

Sans doute le fait de la représenter sur une barque n’est pas sans rapport avec la construction de la dernière barque du Léman en 1931. saint François de Sales offre la maquette de l’église à Notre-Dame, alors qu’à l’opposé sainte Jeanne de Chantal est en prière.

2358.

Saint Guérin (1065-1150), moine bénédictin de Molesme puis de Hautecombe, est le fondateur de l’abbaye de Saint-Jean-d’Aulps.

2359.

Saint Guérin est derrière saint François de Sales qui offre l’église de Vongy à Notre-Dame. Cette dernière arrive, sur une barque, en portant Jésus dans ses bras.

2360.

Bulletin paroissial de la paroisse nouvelle de Saint-Joseph d’Annemasse, n° 6, mars 1938.

2361.

Annemasse est une ville ferroviaire importante.

2362.

Bulletin paroissial de la paroisse nouvelle de Saint-Joseph d’Annemasse, n° 8, mai 1938.

2363.

Ce qui équivaut à environ 69 662 euros (2006)

2364.

Bulletin paroissial de la paroisse nouvelle de Saint-Joseph d’Annemasse, n° 3, décembre 1938. Titre d’un article.

2365.

Nous avons inclus :les constructions d’églises (sept), la participation à la réparation du grand séminaire, et du collège de Thônes, ainsi que la construction du petit séminaire de Thonon-les-Bains. Il conviendrait également d’ajouter la participation à la réfection de la cathédrale et à la construction de la basilique de la Visitation à Annecy.