c. Les Pâquerettes

En 1929, Mgr de La Villerabel incite les femmes à constituer des sections pour les jeunes filles. Cela se fait sur le même modèle que la jeunesse catholique pour les jeunes gens, et même plus puisqu’il s’adresse aux filles de treize à trente ans2786, ce qui correspondrait aux avant-gardes. Ce choix n’est sans doute pas étranger à l’effervescence qui anime les mouvements de l’action catholique à cette période. Il est constaté que, à quelques exceptions, la masse féminine rurale et ouvrière est complètement délaissée2787. Cette nouvelle organisation choisit de prendre le nom de Cyclamen, mais c’est finalement celui de Pâquerettes qui est choisi2788. Ce choix n’est pas sans rappeler que « ces marguerites blanches qui fleurissent les premières au printemps, vers Pâques, portent un symbole gracieux et un nom chrétien qui plaira »2789. Leur insigne se compose d’une « croix blanche de Savoie, […] avec une pâquerette»2790, et leur devise est « Blancheur et rayonnement »2791. C’est ici tout le « programme d’une jeune fille : blancheur, comme celle de la croix, c’est-à-dire : pureté, piété, vie intérieure ; rayonnement comme la charité du Christ »2792. Cette section de jeunes filles est destinée à leur donner une formation adaptée à leur âge, et qui les garantie « des dangers de perversion si redoutables de nos jours, les préparant à leurs devoirs d’avenir, familiaux, civiques et sociaux, et assurant ainsi le recrutement et le développement progressif et nécessaire de la Ligue elle-même »2793. Les Pâquerettes2794, surtout avant l’arrivée des mouvements spécialisés féminins, seront des pépinières pour les Ligueuses. L’Étoile du Foyer leur cède une place dans ses colonnes, et il semble bien que l’organe de liaison soit le lien le plus solide entre les groupes2795. Afin de dissiper tout doute possible, il est clairement rappelé que les Pâquerettes2796 ne concurrencent pas les autres mouvements comme les Noëlistes par exemple2797. Toutes les œuvres conservent leur liberté et leur autonomie. Le but de ce nouveau mouvement, qui est une « œuvre de conquête »2798, est également de grouper toutes les jeunes filles qui ne seront jamais ni Noëlistes, ni Enfants de Marie, ni chanteuses et qui constituent donc la majorité de la population d’une paroisse. Leur programme reste celui de l’ACJF, à savoir : Piété, Étude, Action2799. La piété se compose de trois points essentiels. Outre l’assistance à la messe dominicale et aux Vêpres, elles ont instauré, dans certaines paroisses, la « récitation du Rosaire avant les Vêpres »2800. Elles doivent participer à la communion mensuelle, certaines participent également à l’Adoration perpétuelle. Il est à souligner également que la communion perpétuelle est installée partout, et régulièrement suivie par la plupart des jeunes filles. Certains groupes sont représentés chaque jour à la Sainte Table par deux ou trois de leurs membres. Enfin, elles doivent participer aux retraites fermées, souvent prêchées par des Jésuites, installés depuis peu à Annecy. Dès 1930, elles participent à des retraites fermées prêchées par le chanoine Clavel en novembre2801. En 1934, elles sont trois cent quarante à suivre ces exercices.

Concernant l’étude, comme pour les hommes, les Pâquerettes se réunissent en cercles d’études, et dans certaines paroisses, où le prêtre a une charge de travail trop important, ce sont des Pâquerettes qui animent les cercles, ce qui leur permet de se responsabiliser. Enfin, par leur action, les jeunes filles s’occupent de « l’entretien et [de] l’ornementation des églises ». Elles portent secours aux familles nécessiteuses, tricotent de la layette pour les enfants pauvres et des bas pour les séminaristes2802. Enfin, en futures ligueuses, plusieurs d’entre elles s’occupent du catéchisme2803. Dans vingt-huit groupes, certaines sont « d’ardentes zélatrices de la Croisade Eucharistique »2804. Elles sont priées avec les Ligueuses de bien vouloir organiser ce groupe un peu partout, dont l’aumônier diocésain est l’abbé Terrier. Ce mouvement s’adresse aux enfants qui doivent, par leurs prières et leurs sacrifices, participer à la « reconstitution spirituelle d’après-guerre »2805. Il s’agit de former des chrétiens par la communion et quoi de plus normal que les femmes, qui ont en charge l’éducation des enfants et surtout leur instruction religieuse, participent à ce mouvement. Pie XI, pape de l’action catholique, « arrête chaque année des intentions proposées mensuellement aux croisés, et redit souvent combien il attend de l’aide surnaturelle des enfants »2806. Rappelons simplement la présentation de l’esprit de la croisade qui est faite dans l’Étoile du Foyer. L’article rappelle que « la formation se fait par la croix et par l’hostie ; [qu’]elle demande l’effort personnel, [qu’]elle prêche le sacrifice fait par amour : se vaincre pour communier, communier pour se vaincre »2807. Le sens divin d’un tel mouvement est d’ « unir toute la vie de l’enfant à toute la vie du Christ, pour toute la vie de l’Église »2808.

Le 18 mai 1930 a lieu, à La Bénite-Fontaine, le premier congrès-pèlerinage des Pâquerettes. Il est « la première et une fort belle manifestation des Pâquerettes de Savoie, est une invitation aux “jeunes” à hâter l’organisation des groupes, en vue de leur participation à cette importante journée »2809. En 1931, le congrès de l’arrondissement d’Annecy a lieu en présence de l’abbé Cottard-Josserand2810. L’année suivante, toujours à Annecy, se tient le premier congrès diocésain. L’abbé Paravy, réorganisateur des œuvres de jeunesse dans le diocèse de Chambéry, donne les instructions aux jeunes filles2811, notamment en leur rappelant qu’elles doivent être « les ouvrières d’une France nouvelle »2812. Après deux années d’existence, l’organisation de l’association fonctionne régulièrement avec son comité directeur, ses groupes paroissiaux, son organe mensuel L’Étoile du foyer, et son secrétariat à la Maison du Peuple. Les Pâquerettes sont organisées dans cent quarante-huit paroisses, et comptent trois mille quatre cent vingt-quatre membres2813. Devant le succès rencontré par le mouvement, certaines paroisses ont même dû diviser par deux les groupes, ce qui porte à cent cinquante-deux leur nombre2814. Le comité se réunit tous les trois mois afin d’étudier les questions posées par les groupes et les initiatives proposées2815. Il n’existe pas, pour le moment, de présidente cantonale ni d’arrondissement.

Le congrès régional de l’action catholique a lieu à Cluses le 16 décembre 1933. Au cours de cette journée consacrée à la jeunesse catholique féminine, mademoiselle Morellet, secrétaire générale des Semeuses de l’Ain 2816 rappelleque « toutes les femmes chrétiennes et toutes les jeunes filles, suivant leur âge, doivent respectivement être ou Ligueuses ou Pâquerettes : ces deux groupements féminins constituant les cadres de l’Action Catholique féminine dans le diocèse, les autres oeuvres restant d’ailleurs ce qu’elles sont, et continuant à fonctionner dans les milieux divers où elles existent comme œuvres auxiliaires de l’action catholique »2817.

En 1934, ce sont quatre mille cent trente-neuf Pâquerettes qui sont groupées dans cent quatre-vingt-six paroisses. En deux années, leur nombre progresse de 20 %. Un intérêt particulier est apporté aux plus jeunes qui se réunissent dans des groupes formant les « benjamines ». En 1932, trois cent quarante et une benjamines se rassemblent dans vingt-sept groupes, et deux ans plus tard, elles sont mille se répartissant en quatre-vingt groupes. Au total, les Pâquerettes2818 sont cinq mille cent trente-neuf et se rassemblent en deux cent soixante-treize groupes. Nous pouvons donc constater que ces chiffres sont loin d’être négligeables, et ils se rapprochent de ceux de la jeunesse catholique à ses débuts en 1901.

Avec l’apparition de mouvements spécialisés féminins, les Pâquerettes tendent à laisser leur place à la Jeunesse Agricole Chrétienne Féminine. En revanche, la LFACF poursuit son rôle en groupant les femmes d’âge mûr, et ce malgré la spécialisation. La fin des années Vingt marque un tournant dans l’histoire de l’action catholique. En 1931, l’épiscopat français redéfinit l’action catholique pour donner naissance à l’action catholique spécialisée et à l’action catholique générale. La LFACF trouve sa place dans l’engagement des laïcs.

Notes
2786.

L’ACJF féminine n’existe pas encore, elle apparaît avec la spécialisation des mouvements qui intervient à la fin des années 1920.

2787.

L’ Étoile du Foyer, juin 1929. En juin 1929, le bulletin Floraisons des Alpes informe les jeunes gens de la création « par la volonté de Mgr et sur le modèle de la jeunesse catholique, d’une organisation diocésaine de jeunes filles : les Cyclamens ». Floraisons des Alpes, juin 1929, p. 1138.

2788.

Le choix avait été fait d’appeler ce groupement « les Cyclamens », mais « l’existence d’un petit groupement local et sportif d’étudiantes, déclaré sous le nom de Cyclamens, et les oblige à appeler d’un autre nom l’organisation diocésaine des Jeunes de la Ligue des femmes françaises », Revue du Diocèse d’Annecy, n° 28, 12 juillet 1929, p. 444. En Savoie, les jeunes filles ont choisi de prendre comme nom : « Edelweiss ». Elles sont fondées en 1923 par Théophile Paravy et font figure de modèle. Elles font partie des huit premières fédérations de jeunes filles à être constituées. c. sorrel, dir., Dictionnaire du monde religieux…, La Savoie, op. cit., p. 321.

2789.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 28, 12 juillet 1929, p. 444.

2790.

Ibid. Leur uniforme se compose d’un béret sur lequel est épinglé l’insigne.

2791.

L’Étoile du Foyer, juin 1929.

2792.

Ibid.

2793.

L’Étoile du Foyer, juin 1929.

2794.

g. cholvy, y.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., t. 2, p. 372. Les auteurs rappellent que pour ces groupements « l’unité désirée est visible par le nom, la devise, l’insigne, le drapeau, l’uniforme, bérets blancs, roses, bleus… ».

2795.

I bid.

2796.

Puisqu’elles naissent de la Ligue des femmes françaises, les Pâquerettes partagent le même bulletin que leurs aînées, L’Étoile du Foyer, où une rubrique spéciale leur est consacrée.

2797.

L’Étoile du Foyer, juin 1929. « Pratiquement donc, un groupe Noëliste, par exemple, – partout où il existe ou peut-être créé – reste et restera ce qu’il est ».

2798.

Ibid.

2799.

À partir de la spécialisation des mouvements, la devise de l’ACJF s’adaptant à la spécialisation passe de « Piété, Etude, Action » à « Voir, Juger, Agir ».

2800.

ADA. 4 K ACJF (divers). Rapport des Pâquerettes présenté à Thonon-les-Bains le 17 juin 1934.

2801.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 47, 21 novembre 1930, p. 768.

2802.

ADA. 4 K ACJF (divers). Rapport des Pâquerettes présenté à Thonon-les-Bains le 17 juin 1934.

2803.

Étoile du Foyer, juin-juillet 1932. Nous retrouvons le cas dans dix paroisses.

2804.

ADA. 4 K ACJF (divers). Rapport des Pâquerettes présenté à Thonon-les-Bains le 17 juin 1934.

2805.

L’Étoile du Foyer, juin 1930.

2806.

Ibid.

2807.

Ibid.

2808.

Ibid.

2809.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 10, 7 mars 1930, p. 159.

2810.

Ibid., n° 25, 19 juin 1931, p. 432.

2811.

Toutes proportions gardées, nous pouvons souligner qu’il existe des ressemblances entre l’abbé Paravy et l’abbé Clavel.

2812.

L’Étoile du Foyer, mars 1932.

2813.

ADA. 4 K ACJF (divers). Rapport des Pâquerettes présenté à Thonon-les-Bains le 17 juin 1934. Il faut ajouter onze groupes qui n’ont jamais donné leurs effectifs. (L’Étoile du Foyer, mars 1932). Il y aurait alors trois mille cinq cent cinquante membres.

2814.

L’Étoile du Foyer, mars 1932.

2815.

Ibid.

2816.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 49, 8 décembre 1933, p. 815.

2817.

Ibid.

2818.

Entendons Pâquerettes et Benjamines.