Les années Vingt marquent un tournant important dans l’histoire de l’action catholique de la jeunesse française2819. Sous la présidence de Charles Flory2820 et de François de Menthon2821, l’ACJF met l’accent sur l’action civique notamment avec le slogan « civiques parce que sociaux ». Tout au long de cette décennie, l’ACJF change, elle évolue pour aboutir à une fédération2822 de mouvements spécialisés, qui caractérise son activité dans l’entre-deux-guerres. La situation en 1919 n’est plus la même que celle de 1900. La guerre a modifié les mentalités, les positions des uns et des autres, les catholiques retrouvent une place dans la cité. La formule de l’ACJF « piété, étude, action » tend à changer, il devient nécessaire d’aller aux autres, de s’ouvrir plus à l’apostolat. Alain-René Michel montre dans son étude que la condamnation de l’Action française en 1926 permet un recadrage de l’ACJF. Il remarque que l’association « opère un réel tournant vers 1924-1926 qui aboutit sur la spécialisation dont l’intégration de la JOC n’est pas la seule responsable »2823. Il ajoute également que « la condamnation ne constitue pas seulement une victoire de l’aile gauche du catholicisme, mais elle imprime aussi un recentrage à l’activité de l’ensemble des militants catholiques, en tant que catholiques »2824.
C’est donc à la fin des années Vingt, sous la présidence de François de Menthon, que l’ACJF débute, non sans difficulté2825, sa spécialisation. Les cercles d’études qui regroupaient ouvriers, paysans, étudiants, se transforment pour laisser place à trois cercles qui ne regroupent que des jeunes d’un même environnement. L’apostolat par milieu est lancé et, jusqu’à la veille de la guerre, il connaît un essor formidable. Sans doute ce changement d’orientation et de mode d’activité a permis à l’ACJF de durer2826. La décennie 1930 est celle de l’action catholique spécialisée, la guerre n’arrête pas le mouvement mais enraye son développement, et les événements contraignent ses membres à faire face à des situations délicates.
Pie XI approuve le fait que « premier apôtre de l’ouvrier s[oit] l’ouvrier »2827. Devant ce succès florissant, la « spécialisation […] est avalisée par Rome, [et] Pie XI approuve l’apostolat par milieux »2828. Les laïcs trouvent leur place dans l’organisation de ce mouvement. Ils ne sont plus sous l’autorité du clergé, mais ils collaborent véritablement avec lui pour une œuvre d’apostolat qui semble devenir nécessaire. La mise en place de la spécialisation a suscité un certain nombre de débats, d’opposition même de la part de quelques dirigeants. Cependant, l’acceptation de l’autonomie de la JOC, au sein de l’ACJF entame la voie pour une ouverture vers d’autres milieux. Il serait inexact de penser que le mouvement attend 1927 et les années suivantes pour se préoccuper de l’apostolat des différents milieux, puisqu’en 1925, lors du congrès fédéral, les participants s’intéressent à la propagande dans les milieux scolaires et universitaires, en 1927, ils se préoccupent du milieu rural2829.
Ses congrès nationaux se tournent dès 1927 vers l’apostolat en monde ouvrier (le choix du thème est fait en 1924 après le voyage à Rome des dirigeants ACJF), l’année suivante c’est l’action catholique qui est au cœur du congrès, et il faut attendre 1933 pour qu’un congrès porte sur une question civique : la paix. a.-r. michel, Catholiques en démocratie…, op. cit., p. 99.
En août 1926, les intentions de l’Apostolat de la prière se tournaient vers la jeunesse ouvrière. Revue du Diocèse d’Annecy, n° 31, 30 juillet 1926, p. 399. « L’atelier, trop souvent, est le lieu où se perdent les meilleurs adolescents. Ils voudraient croire et se bien tenir qu’ils ne l’oseraient pas. Par respect humain, ils deviennent incroyants et vicieux. Quelle pitié inspirent ces âmes au fond généreuses, et que leur milieu pervertit ! Or, la jeunesse ouvrière est pour demain la masse où se fonderont les foyers ouvriers. C’est tout l’avenir d’un pays qui est en jeu ! Prions pour les jeunes ouvriers le Cœur de celui qui, adolescent, fut comme eux ouvrier ! ».
1922-1926.
1926-1929.
Ce n’est qu’en 1938 que les nouveaux statuts parlent de fédérations de mouvements.
a.-r. michel, Catholiques en démocratie…, op. cit., p. 102.
Ibid.
Sur cette question, voir le livre d’Alain-René michel, Catholiques en démocratie …, op. cit.
Il faut cependant nuancer puisqu’en 1956 c’est justement le fait de fédérer les mouvements spécialisés au sein de l’ACJF qui pose des problèmes.
Pie XI, 1931.
g. cholvy, y.-m. hilaire, Histoire religieuse…, op. cit., t. 3, p 30.
a.-r. michel, Catholiques…, op. cit., p. 115.