a. La guerre : croisade ou guerre juste ?

L’étude des textes du second semestre 1939 et de l’année 1940, montre que plusieurs écrits justifient la guerre, tantôt elle est « croisade », tantôt elle est « guerre juste ». La thématique utilisée par le clergé n’est pas sans rappeler l’époque médiévale, celle où l’Église avait encore un poids dans les affaires du monde et où les fidèles se levaient pour sauver la chrétienté en péril. Le clergé haut-savoyard voit dans les origines et la finalité de la guerre des raisons religieuses. Cette attitude avait déjà été présente en 1914, les catholiques avaient alors jugé qu’ils étaient châtiés par rapport à la politique laïque que connaissait la France depuis l’instauration de la IIIe République.

La croisade fait référence à un antagonisme religieux, alors que la guerre juste s’apparente plus à un conflit où l’un des belligérants, injustement attaqué3286, est contraint de se défendre. Le premier terme n’est pas sans rappeler le temps où les Chrétiens partaient en Terre Sainte pour la délivrer des envahisseurs. Nous avons rappelé précédemment que les références aux temps médiévaux avaient été utilisées de façon régulière, tout au long de l’entre-deux-guerres, lorsqu’il était question de refaire la société chrétienne. Cette thématique de croisade s’inscrit dans une longue durée. Il n’est pas correct d’utiliser le terme de croisade, puisque aucun dirigeant « n’a invoqué la foi chrétienne pour entrer en guerre »3287. Toutefois, le fait que la France entre en guerre au lendemain de l’invasion de la Pologne permet d’expliquer cette idée de croisade. L’Église invoquant une raison religieuse semble approuver la décision de déclarer la guerre à l’Allemagne nazie. Il s’agit pour elle d’éviter le développement de régimes païens.

Dans un appel adressé aux femmes de la LFACF, Mgr de La Villerabel souligne que « la France est entrée en guerre en état de grâce, c’est-à-dire unie à Dieu et engagée dans une croisade contre le plus dangereux des paganismes »3288. Dieu fait son apparition sur la scène internationale en paraissant cautionner la guerre engagée pour Lui ou plus précisément pour sauver sa religion. Le clergé comme aux temps médiévaux appelle les fidèles à « combattre pour le Christ ! »3289. Certains vont même jusqu’à dire que « jamais, depuis Lépante, la civilisation chrétienne n’a été en péril comme aujourd’hui »3290. Nous assistons d’une certaine façon à une lutte entre la civilisation et la barbarie. L’enjeu du conflit est alors « d’empêcher la barbarie moderne […] d’établir son empire de fer sur le monde »3291. Le christianisme représente la paix et la civilisation, alors que le nazisme et le communisme reflètent alors la guerre et le malheur.

La Page de Saint-André ne manque pas de rappeler à ses lecteurs, le devenir de la situation des pays placés sous le joug hitlérien ou stalinien. Les auteurs n’hésitent pas à faire des parallèles avec des situations récentes ou plus anciennes, en soulignant qu’il faut se rappeler « de l’Espagne et de ses persécutions sadiques, comme Néron ne les avait pas inventées »3292. La référence à l’Empire romain n’est pas sans rappeler les premiers temps du christianisme, ceux où il fallait que les croyants se cachent pour vivre leur foi. Le parallèle avec la situation espagnole n’est pas non plus sans évoquer le danger que représentent les paganismes pour l’avenir de l’Europe. Dans ce sens, la guerre prend donc bien le sens de croisade. Les Chrétiens d’Europe sont les « nouveaux croisés » et les « vaillants Chevaliers »3293 qui défendent la foi contre le paganisme représenté par le nazisme et le communisme. En 1940, Mgr de La Villerabel va jusqu’à évoquer la délivrance de la Jérusalem spirituelle « assiégée par des hordes barbares de mécréants modernes »3294. Dans sa lettre pastorale de 1940, il rappelle que la France « est […] l’épée de la chrétienté qui se lève pour de saints combats »3295.

Si le conflit peut-être perçu comme une croisade par la présence de raisons religieuses dans ses origines, il n’en reste pas moins qu’il peut être également considéré comme une guerre juste et ce dans la mesure où la France – comme d’autres pays – est victime de l’agressivité d’autrui. L’entrée en guerre de la France se justifie alors par le fait qu’elle défend la Pologne, pays catholique, injustement attaqué par l’Allemagne païenne. Dans la lettre qu’il adresse, à ses prêtres et aux fidèles, le 1er septembre 1939, Mgr de La Villerabel évoque cette idée de guerre juste. Il rappelle que la « France, si profondément, si entièrement pacifique, se voit malgré tous ses efforts, de nouveau acculée à la guerre »3296, car des hommes « sans honneur et sans foi n’ont pas craint de la déchaîner [la guerre] déjà à l’Est de l’Europe. La Pologne, notre alliée séculaire, a subi, sans ultimatum préalable, sans déclaration de guerre, une inqualifiable agression ! Tout nous porte à croire, à l’heure où nous traçons ces lignes, qu’avant très peu de jours, notre pays – qui lui n’a qu’une parole et sait tenir ses engagements – se sera porté, en même temps que l’Angleterre, au secours de la nation odieusement attaquée. La France, par là, se montrera, une fois de plus […] le vengeur du droit et le soldat de Dieu. Honneur à elle »3297. Ce conflit qui est une lutte entre le « droit » et le « non droit » peut être considéré par certaines personnes comme une lutte de « l’Esprit » contre la « Bête »3298. Ce thème du combat entre deux entités opposées était déjà celui présenté en 1914, où la civilisation (le Bien) s’opposait à la barbarie (le Mal). Le monde civilisé étant celui de l’Europe des Alliés, celui de Dieu, alors que le monde barbare incarné par Satan représente l’Allemagne et son allié soviétique3299. Toujours dans sa lettre pastorale du 1er septembre 1939, Mgr de La Villerabel ne manque pas de rappeler que « la religion [leur] fait un devoir sacré de nourrir avec soin ce double sentiment de l’amour de la patrie et de l’amour de nos frères »3300. C’est pour cette raison que l’évêque demande aux fidèles de prier afin que « Dieu bénisse [les] armes » qui ne sont « tirées que pour une juste cause »3301.

Ce conflit qui trouve une justification à la fois religieuse et plus politique n’est pas sans entraîner un certain nombre de problèmes au niveau de l’adaptation face à la mobilisation du clergé. Cette mobilisation est quasi aussi importante qu’en 1914. Les changements liés à cet appel sous les drapeaux ont des conséquences sur le long terme moins importantes qu’en 1914.

Notes
3286.

Cette justification avait été présentée en 1914. Des prêtres développent « dans leurs sermons le thème de la guerre châtiment expiatoire de l’irréligion française », in a. dansette, Histoire religieuse…, op. cit., p. 493.

3287.

Article de La Croix du Dimanche, in Bulletin paroissial d’Archamps, juin 1940.

3288.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 38, 21 septembre 1939, p. 644.

3289.

Ibid., n° 41, 11 octobre 1939, p. 693.

3290.

La Page de Saint-André, n° 1, décembre 1939-janvier 1940, p. 4.

3291.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 39, 28 septembre 1939, p. 658.

3292.

La Page de Saint-André, décembre 1939-janvier 1940, p. 6.

3293.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 39, 28 septembre 1939, p. 658.

3294.

Ibid., n° 7, 15 février 1940, p. 117.

3295.

Ibid.

3296.

Ibid., n° 36, 7 septembre 1939, p. 610.

3297.

Ibid.

3298.

Expression de l’abbé Bergey reprise par l’abbé Ducroz dans Le Clocher de Lugrin, n° 9, septembre 1939.

3299.

Il est à noter qu’aucune allusion n’est faite à l’Italie. Est-ce parce qu’elle est catholique ? Est-ce parce que le Pape s’y trouve ? ou est-ce par rapport aux opinions de Mgr de La Villerabel qui, comme nous l’avons vu précédemment, n’avait pas désapprouvé la politique italienne en Afrique au milieu des années Trente ?

3300.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 36, 7 septembre 1939, p. 610.

3301.

Ibid.