b. La mobilisation : faire face à la désorganisation

Nous pouvons nous demander comment le clergé réagit face à cette mobilisation. Il semble qu’elle soit relativement bien acceptée par le clergé qui souhaite participer à la défense de la patrie3302. En septembre 1939, Mgr de La Villerabel rappelle qu’il est « de tradition dans le clergé de France de toujours se dévouer pour le Salut de la Patrie »3303. Les souvenirs de la guerre de 1914-1918 sont également très présents dans la presse au moment de la mobilisation. Le chanoine Corbet, ancien combattant, parle d’une « douloureuse vision »3304 en évoquant la mobilisation de 1914, et rappelle le souvenir de ses amis tombés au champ d’honneur au cours de ces quatre années d’enfer. Le chanoine Bublens, curé-archiprêtre de Thonon, n’hésite pas à proclamer qu’il faut « comme en 1914, faire revivre l’adage ancien : Salus Patriæ suprema lex, nous ne connaissons qu’une loi, le salut de la Patrie »3305. L’attitude des prêtres savoyards ne diffère pas véritablement de celle de l’ensemble du clergé français. Mgr Baudrillart rappelle que les ecclésiastiques « ont répondu délibérément à l’appel de la France, à l’appel de la vieille chrétienté en péril » et que le patriotisme du clergé « n’a jamais vacillé ni erré. Toujours la main ferme, [le clergé] a tenu, il a serré, au besoin, il a brandi la hampe du drapeau »3306.

Il semble que la mobilisation se fasse en plusieurs fois. En août 1939, Mgr de La Villerabel recommande aux prières des fidèles les prêtres mobilisés ainsi que les paroisses qu’ils ont « dû abandonner »3307. Il apparaît donc qu’il y a eu un premier appel à ce moment. Cette supposition est renforcée par le fait que le chanoine Coutin, curé-archiprêtre de Notre-Dame d’Annecy, informe ses paroissiens du départ de ses vicaires, écrivant que « M. Delalex est parti le 24 août »3308, M. l’abbé Jacquier l’ayant suivi de peu, alors que l’abbé Benoît est parti le 27 août.

Comme en 1914, le clergé répond à l’appel de la patrie en danger et les prêtres sont nombreux à partir pour le front, la moitié du personnel enseignant est également mobilisée3309. La proportion de prêtres et de vicaires est quasi égale, alors qu’en 1914, le nombre des vicaires était double par rapport à celui des curés. Sans doute cela exprime une baisse des effectifs du clergé entre les deux conflits ou alors son rajeunissement. Au total ce sont 31,38 % des prêtres qui sont appelés sous les drapeaux. Seuls deux archiprêtres sont mobilisés, ce qui permet de relativement réduire la désorganisation. Il est également vrai que les premiers jours sont nettement moins meurtriers que ceux de l’été 1914. Les prêtres mobilisés sont affectés dans différents services, qu’ils soient secrétaires ou infirmiers. Un petit nombre cependant se trouve versé dans les unités combattantes, certains servent au 27e BCA, alors que d’autres se retrouvent dans les Bataillons Alpins de Forteresse (BAF).

Comme en 1914, se pose la question de savoir comment faire face à cette situation. Dès le début du mois de septembre, Mgr de La Villerabel souhaite connaître la « manière dont le service religieux [est] organisé dans les paroisses pour la durée de la guerre »3310. La chancellerie s’informe d’ailleurs des disponibilités de prêtres – séculiers ou réguliers – pour empêcher que les fidèles ne restent trop longtemps sans desservants. Certains cas deviennent préoccupants comme celui de Thonon, où l’archiprêtre et ses trois vicaires sont mobilisés. La présence de l’abbé Ambroise Firmin, curé bâtisseur de Vongy, permet de solutionner pour un temps la question de la desserte de la paroisse3311. Cette possibilité n’est pas offerte à toutes les communautés. Dans certains cas, ce sont les desservants voisins qui officient, comme à Savigny, où « le service religieux est assuré grâce au dévouement de MM. les curés des paroisses voisines »3312, en particulier celui de Jonzier. L’évêque autorise également les prêtres soldats de passage à officier3313. À la fin août, Mgr de La Villerabel publie un communiqué accordant « aux prêtres étrangers au diocèse et mobilisés sur son territoire les mêmes pouvoirs »3314 que dans leur diocèse. Enfin, l’Ordinaire encourage les laïcs à « organiser eux-mêmes des réunions à l’église où [des] prières sont récitées »3315.

Les établissements scolaires rencontrent également des difficultés, même si elles semblent moins importantes qu’en 1914. Des desservants de paroisses comblent les vides laissés par les professeurs partis au front. Tel est le cas d’Albéric Fleury, curé de Vacheresse, qui retrouve le petit séminaire de Thonon-les-Bains3316 où il prend le poste de professeur de quatrième. Le départ des desservants n’est pas sans influencer le calendrier liturgique. Sur décision de l’Ordinaire, le temps pascal est rallongé. Dans le dispositif pour le Carême de 1940, Mgr de La Villerabel rappelle que « l’absence des curés et la nécessité pour ceux qui restent, de les suppléer, nous oblige à étendre le temps pascal du 2 février au dimanche de la Trinité »3317.

Les mouvements de jeunesse sont également touchés par la mobilisation qui contraint un certain nombre de membres à partir au front. L’ensemble des membres du comité diocésain de l’ACJF est sous les drapeaux3318. Afin de parer aux différents départs, les anciens responsables de l’association sont rappelés. Tel est le cas de Jean Girollet, président de l’ACJF en 1935-1936, qui réoccupe cette fonction sur la « proposition de M. Bosson »3319. Si les anciens reprennent des responsabilités, il n’en reste pas moins que les plus jeunes n’hésitent pas à prendre de lourdes charges pour ne pas laisser les mouvements à l’abandon. Tel est le cas de Lucien Cotterlaz-Rannard, nommé à la tête de la JAC sur proposition du président fédéral, lui-même empêché par sa présence aux armées3320. Le tout jeune président rassure ses aînés en rappelant que « ceux qui pendant dix ans ont travaillé sans se décourager jamais, [qui] ont tout quitté pour répondre à l’appel de la Patrie », qui ont eu peur que « la vie jaciste [s’éteigne] dans leur section ou à la fédération » ne doivent pas s’inquiéter pour la poursuite des activités du mouvement puisque « les moins de vingt ans, [se] montreron[t] dignes d’eux. La main dans la main, avec plus d’ardeur que jamais, [ils] assumeron[t] les responsabilités qui [leur] incombent désormais »3321. Une situation semblable se présente chez les jocistes où Pierre Gavel devient « “responsable du secteur de l’Arve” » pour la JOC, suite aux nombreux départs. En 1941, Charles Bosson, réoccupant sa fonction de président de l’ACJF, n’oublie pas de rappeler en termes élogieux, « l’élan généreux et tenace avec lequel les jeunes de seize à vingt ans – dont le nouveau président fédéral, dix-huit ans ! – ont su prendre en mains le flambeau en l’absence de leurs aînés et assumer des responsabilités dont on ne les aurait pas cru à ce point capables »3322.

Nous avons pu constater que les effets de la mobilisation avaient pu être atténués, en partie, grâce à la bonne volonté de chacun. Les prêtres en repos ou en retraite se mettant à la disposition des paroisses sans desservant, alors que les jeunes militants se préoccupent de la survie des mouvements. Quoi qu’il en soit les premiers mois de la guerre marquent une période de retour aux autels, comme cela avait déjà été observé en 1914. Cependant, l’habitude s’installant chez un certain nombre de fidèles, les services spéciaux semblent moins nombreux même s’ils retrouvent un rythme à nouveau soutenu à l’approche des heures graves de la guerre éclair.

Notes
3302.

Cette attitude ne doit pas faite oublier le rapprochement qui s’est opéré entre l’Église et l’État sous le gouvernement Daladier. Sur cette question, voir j.-m. mayeur, La question laïque…, op. cit., p. 123-160. Citant l’exemple des cérémonies d’inauguration de la cathédrale de Reims, l’auteur rappelle que « les temps ont bien changé depuis le refus de Clemenceau d’assister à Notre-Dame au Te Deum pour l’armistice de 1918 ». j.-m. mayeur, La question laïque…, op. cit., p. 127.

3303.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 39, 28 septembre 1939, p. 659.

3304.

La Croix de la Haute-Savoie, 3 septembre 1939.

3305.

Bulletin paroissial de Thonon-les-Bains, octobre 1939, p. 3.

3306.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 9, 29 février 1940, p. 148.

3307.

Ibid., n° 35, 31 août 1939, p. 592.

3308.

Bulletin paroissial de Notre-Dame de Liesse, octobre 1939.

3309.

D’après l’ordo de 1940, ce sont 51 prêtres sur 278 qui sont mobilisés, 55 vicaires sur 60 et 26 professeurs sur 51.

3310.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 36, 7 septembre 1939, p. 615.

3311.

Dans le Bulletin paroissial de Thonon-les-Bains d’octobre 1939, le chanoine Bublens, alors au front, écrit qu’il remercie le « bon père Ambroise qui a bien voulu ajouter à sa charge de provincial … celle de curé administrateur de Thonon ». L’archiprêtre souligne la « générosité avec laquelle l’abbé Firmin a accepté de nouveaux soucis et des peines nouvelles ».

3312.

Bulletin paroissial de Savigny, février 1940.

3313.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 36, 7 septembre 1939, p. 615 et Bulletin paroissial de Savigny, février 1940.

3314.

Ibid., n° 35, 31 août 1939, p. 591.

3315.

Ibid.

3316.

Il faisait partie des premiers professeurs du nouvel établissement à son ouverture en 1923. Ordo, année 1940, p. 170.

3317.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 5, 1er février 1940, p. 67.

3318.

Ibid., n° 47, 23 novembre 1939, p. 787.

3319.

Ibid.

3320.

Ibid.

3321.

Le Courrier Savoyard, n° 26, 7 avril 1945.

3322.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 4, 31 janvier 1941, p. 44.