c. Le clergé adhère-t-il au nouveau régime ?

Comme le soulignent Yves-Marie Hilaire et Gérard Cholvy, le clergé adhère au nouveau régime en trois temps, c’est-à-dire « la reconnaissance du pouvoir établi en juin-juillet 1940, l’adhésion à la Révolution Nationale d’août à octobre, le culte du Maréchal […] en novembre »3458. Le clergé haut-savoyard ne fait pas figure d’exception et son attitude paraît être semblable à celle adoptée dans de nombreux diocèses de la zone sud, où le clergé « n’a pas ménagé son soutien [ni] au Maréchal ni à la Révolution Nationale »3459. Ce comportement s’explique par le fait qu’il n’y a rien « pour oblitérer l’autorité directe de Vichy »3460. De plus, le régime de Vichy accepte la présence d’un nonce apostolique, ce qui n’est pas sans susciter une certaine satisfaction chez une majorité de catholiques3461. Le fait que le Maréchal s’entoure « d’hommes jeunes et énergiques, sans aucune compromission avec le régime qui vient de mourir »3462 semble également satisfaire. La Haute-Savoie, qui a opéré son renversement à droite pendant l’entre-deux-guerres, adhère massivement au nouveau régime, probablement aussi par réaction sentimentale au chef3463.

Le 14 Juillet devient une journée de deuil national, et un certain nombre de cérémonies sont organisées pour rendre hommage aux combattants tombés au champ d’honneur. C’est l’occasion pour certains prêtres, de montrer leur enthousiasme envers le programme de redressement du pays. Tel est le cas de l’abbé Jean Sallaz, curé de Chilly, qui évoque « la belle figure d’un soldat mort pour le pays » et qui insiste sur « l’éducation morale et religieuse pour refaire la France »3464. Devant le monument aux Morts, il fait réciter un « De Profundis pour les morts et une prière pour le relèvement de la France »3465, et demande aux plus jeunes de « servir la France et de développer »3466 son relèvement. Il ne faut pas oublier que l’obéissance est une des vertus primordiales pour l’Église de 1940, c’est pourquoi les prêtres, comme les catholiques, adhèrent au nouveau régime, car il « faut reconnaître comme légitime toute autorité »3467. Cette idée d’obéissance semble perdurer pendant un certain temps, puisqu’en juin 1941, le chanoine Corbet rappelle que « la sagesse commande de suivre [le Maréchal] parce qu’il est le chef, l’autorité »3468. L’éditorialiste ajoute que « le devoir n’en est donc que plus clair : servir le Maréchal Pétain, suivre le Chef […] qui oserait […] disputer […] le vainqueur de Verdun ? »3469. En février 1941, le chanoine Bublens demandait à ses paroissiens de suivre le « chef aveuglement »3470, ce qui constitue pour lui un devoir. Le curé de Cluses, l’abbé Chevallier, pense également que l’Église doit travailler au redressement de la France. Dans un émouvant sermon, il résume « l’œuvre et l’influence de l’Église dans le cadre de la Révolution Nationale »3471. Sans doute nombreux sont ceux à souhaiter « ardemment l’union de tous et la volonté de travail pour le relèvement de la patrie »3472.

La réhabilitation du monde paysan est également un élément qui semble parfaitement satisfaire le clergé, en particulier celui de la zone sud, qui voit dans cette attitude « le chemin du retour à la foi »3473. Ce retour aux valeurs traditionnelles lui permet de réaffirmer ses propres valeurs sur la cellule familiale, notamment par l’encouragement des familles nombreuses. Cette question a été largement évoquée par les associations catholiques, surtout depuis 1918. Dans un éditorial de juin 1941, le chanoine Corbet rappelle qu’il faut « hautement approuver une législation favorisant la famille et surtout la famille nombreuse »3474. Les Catholiques sont également satisfaits de constater que le travail retrouve sa place parmi les valeurs de la société. C’est pour cette raison que tous pensent qu’il faut remettre la France au travail, car c’est une « loi naturelle […] donnée par Dieu à l’homme »3475. Il semble d’ailleurs que ce thème du travail apparaisse fréquemment dans les lettres épiscopales, ou dans les éditoriaux des bulletins paroissiaux. Rappelons d’ailleurs qu’il est l’un des thèmes de la devise épiscopale. Faut-il voir dans ce choix une simple coïncidence ou est-ce un moyen pour l’évêque de montrer son attachement au redressement national ?

L’État Français remet à l’honneur l’enseignement libre, ce qui n’est pas sans satisfaire Mgr Cesbron, qui a passé la majeure partie de sa carrière comme professeur dans les séminaires. Il s’attache particulièrement au développement des écoles libres, considérant qu’un desservant sans école libre est un « pauvre curé »3476. Dans la lettre pastorale qu’il publie à l’occasion de son arrivée dans le diocèse, il demande à tous les travailleurs manuels, comme aux travailleurs intellectuels, de travailler « dans l’obéissance aux autorités établies »3477, ajoutant qu’ils « doivent [avoir] le courage d’obéir »3478. Ses lettres pastorales s’inscrivent, d’une certaine façon, dans l’idée de la Révolution Nationale. Il rejoint les autres évêques de la zone Sud. Claude Langlois souligne à ce propos, qu’en 1941, sur dix-huit lettres pastorales de Carême, seules trois ont un « thème strictement religieux »3479. Dans celle de 1941, il insiste sur la formation de la jeunesse, qu’il est urgent de reprendre en main. L’évêque est heureux de constater que « l’État Français se préoccupe […] de donner aux enfants de France ce patrimoine spirituel dont on les avait dépouillés, depuis plusieurs années »3480. Dans une lettre personnelle, qu’il adresse au général Cartier, maire d’Annecy, Mgr Cesbron manifeste son enthousiasme envers les mesures prises par l’État afin de ramener le pays dans le droit chemin. Il est heureux d’adresser ses félicitations à celui qui se « montre soucieux de la bonne tenue de sa commune, comme le fait en ce moment, dans le pays, l’autorité suprême »3481. Il rappelle que « le Chef de l’État veut remplacer en France la vie trop facile, qui nous a perdu, par l’effort et le travail – et vous ici, vous vous appliquez à supprimer tout ce qui entraînerait la population à faire passer des plaisirs malsains avant le devoir »3482.

Le clergé semble approuver le nouveau régime ; toutefois, il ne paraît pas vouloir l’utiliser pour se « faire une place plus importante [ou] intervenir dans les affaires publiques »3483. Nous retrouvons ici un état d’esprit qui pourrait se rapprocher de celui présent en 1905, c’est-à-dire que le clergé reste influent dans les zones de montagne mais agit avec prudence. C’est du moins ce que laisse penser le rapport dressé par Robert Avezou, directeur des Archives départementales, chef du centre départemental de l’information. En effet, il rappelle qu’« en somme, le clergé du diocèse, qui n’a cessé de demeurer influent dans les hautes vallées, agit avec prudence, et se garde de se compromettre par une prise de position trop marquée vis-à-vis de ses anciens adversaires »3484. Il semble d’ailleurs que, d’après les différentes informations reçues par Avezou, la collaboration des milieux catholiques soit « acquise à l’action entreprise par le gouvernement pour prendre en main la jeunesse du moment [et] que les groupements déjà organisés (JOC, JAC, JEC), considérés par les catholiques comme une charpente indispensable3485, seront maintenus et favorisés »3486. Si les rapports soulignent que le clergé ne profite pas de l’occasion de l’arrivée d’un nouveau régime pour s’imposer, il n’en demeure pas moins que les opposants à l’Église pensent différemment. D’après les rapports présentés par la JOC, il ressort que pour un certain nombre d’ouvriers (non jocistes), « les curés et la droite gouvernent, [qu’] ils ont leur revanche du Front Populaire, obtenue par la guerre, voulue de concert avec le Pape »3487.

À présent, nous pouvons nous demander quelle est la réaction du clergé face à l’entrevue de Montoire d’octobre 1940. Elle marque le début d’une collaboration avec l’Allemagne. Assez peu de documents évoquent cette question. Nous pouvons citer le texte du chanoine Corbet qui estime que l’on « peut se réjouir […] de l’atmosphère qui a présidé cette prise de contact et de la haute considération dont a joui le Chef de l’État Français. […] Le vainqueur aurait pu connaître la tentation de mépriser et d’écraser une pétaudière, il appelle au contraire la France courageuse et saine de Pétain à une œuvre de collaboration pour la reconstruction de la paix en Europe »3488. L’éditorialiste, ancien combattant, voit donc dans cette entrevue, un signe d’espoir qui pourrait permettre à l’Europe de vivre en paix. En décembre 1940, lorsqu’il revient sur cette entrevue, il écrit que « cette politique […] en ce qui regarde nos adversaires d’hier, veut être sous le signe de la collaboration. Est-ce cela qui fait scandale ? Est-ce que donc, une fois pour toutes et, quoi qu’il puisse arriver, la France devrait se regarder comme éternellement ennemie de telle ou telle nation et éternellement tenue dans un cercle donné de prétendus alliés et dans une certaine politique qu’il ne lui serait jamais plus loisible de rompre ? Quelle idée se fait-on de l’indépendance française et quel souci a-t-on des intérêts […] du Pays ? »3489 Le chanoine Corbet ne voit probablement pas les enjeux à long terme de l’entrevue, et probablement aussi pense-t-il que cette alliance permettra de lutter contre les communistes. Cette peur du communisme anime le clergé depuis plusieurs années, et surtout depuis l’encyclique de 1937. L’exemple que nous venons de citer avec le chanoine Corbet ne doit pas être généralisé puisqu’un certain nombre de prêtres s’opposent rapidement à Vichy. Tel est le cas de l’abbé Bastard-Bogain, qui déclare que « ces tristes individus de Vichy [les] ont trahis et vendus jusqu’au bout »3490. Il n’en reste pas moins vrai que l’entrevue de Montoire ne semble pas prendre, sur le moment, une grande importance dans la presse catholique. Faut-il voir dans ce silence une forme de réserve ou un temps d’interrogation face à l’importance de l’événement ? Quoiqu’il en soit, il semble que la majorité du clergé garde de l’estime pour le Maréchal et tient pour responsable de cette rencontre le cynique Laval3491.

Dans le diocèse, le clergé participe à différentes cérémonies mettant à l’honneur le régime de Vichy. Les premières participations, des prêtres comme des laïcs, se font à l’occasion du premier anniversaire de la Légion Française des Combattants. Cette dernière a été créée le 29 août 1940. Elle a pour but de regrouper les anciens combattants des deux guerres mondiales qui « vont épauler l’effort du chef de l’État en vue de restaurer la nation »3492. En 1941, elle compte un million six cent mille adhérents3493, dont un peu plus de vingt mille dans le diocèse. Parmi ces derniers, nous retrouvons quelques prêtres, dont certains occupent la présidence de sections3494, tels les desservants d’Ayze, d’Argonnex et de Veigy-Foncenex. Des fiches de renseignements dressées par l’administration permettent de connaître les opinions des trois prêtres. L’abbé Vaudaux, curé d’Ayze, qui se montre actif « au sein de la Légion », a une « opinion politique modérée » ; il n’a « jamais adhéré à aucun parti » et n’a « jamais eu d’activité politique »3495. Cependant, il semble que certains lui reprochent une certaine partialité, notamment parce qu’il s’occupe de la distribution des bons de chaussures3496. Le second prêtre à s’occuper de la Légion est l’abbé Brison, curé d’Argonnex. Mutilé de la Grande Guerre, et membre de l’Union Fédérale des Anciens Combattants, il montre « dès le début un soutien actif au Maréchal »3497. Grâce « à sa personnalité et à une activité intelligemment menée »3498, il recueille de nombreuses adhésions. Enfin, le dernier prêtre président de section est l’abbé Chevrier, curé de Veigy-Foncenex, qui « a réuni au sein de la Légion presque tous les anciens combattants de sa commune »3499. Nous ne savons pas combien de temps ces prêtres occupent leurs fonctions. Ils doivent, sans doute, quitter leurs fonctions après que l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de zone sud ait demandé « aux prêtres membres de la Légion d’y “décliner toute participation active” et notamment de ne pas faire partie des groupes locaux »3500.

En 1941, de nombreuses cérémonies ont lieu pour bénir les fanions des sections locales. Elles sont toujours précédées par une messe. À cette occasion, le prêtre rappelle le souvenir des morts des deux guerres, mais il glorifie également le rôle de la Légion, en l’associant à celui de l’État, et procède à la bénédiction du fanion de la section. Citons l’exemple de Vinzier, où à l’Évangile, le prêtre parle des « devoirs des catholiques envers le Maréchal » avant de procéder à « la bénédiction du fanion »3501. Ces cérémonies sont présidées, soit par le maire, soit par le curé. Tel est le cas à Bluffy, le 21 décembre 19413502. Le fanion départemental, quant à lui, est béni par Mgr Cesbron lors de la première fête de Jeanne d’Arc3503. L’évêque, accompagné de « Mgr Mogenet, vicaire général, ainsi que du chanoine Cuttaz »3504, exalte les vertus de Jeanne d’Arc qui refit l’unité de la France « meurtrie, envahie et divisée »3505. Rapprochant la situation de l’époque médiévale à celle de 1940, il rappelle que les Français, envahis et meurtris, sont unis derrière leur chef, le Maréchal, avec « l’aide de Dieu » qui sauvera la France.

À la fin août 1941, la Légion fête son premier anniversaire3506. Elle souhaite donner à l’événement « un caractère d’une manifestation nationale [et] le directoire de Vichy demande que la journée soit annoncée la veille au soir par des sonneries de cloches »3507. Afin de répondre à ce désir, Mgr Cesbron demande aux prêtres de mettre en branle toutes les cloches « non pas pour annoncer une joie ou une mobilisation, mais pour inviter la France chrétienne au recueillement »3508. Le samedi 30 août, veille de la cérémonie d’anniversaire, et à l’occasion d’un dîner, Mgr Cesbron, s’adressant au général Laure, représentant le Maréchal, évoque le rôle et l’adhésion de son clergé dans la Révolution Nationale. Il affirme que la France « a besoin de renouveau » et que « l’Église est présente pour le travail et la construction »3509 d’une France nouvelle. Mgr Cesbron ajoute que ce qui donne confiance au clergé, c’est que « les voix officielles de la Nation qui modulaient, hier, des couplets légers, des couplets d’un jour, s’entraînent aujourd’hui sur des rythmes graves aux sonorités profondes et divines d’éternité. L’Église s’y connaît à ces cadences que l’on trouve maintenant »3510. Ces paroles laissent percevoir une certaine adhésion aux idées de la Révolution Nationale qui utilise un vocabulaire qui n’est pas sans déplaire au clergé. La cérémonie d’anniversaire de la Légion se passe, à Annecy, le dimanche 31 août. À cette occasion, Mgr Cesbron est entouré de Mgr de La Villerabel, archevêque d’Aix-en-Provence, de Mgr Terrier, évêque de Tarentaise, du préfet Édouard Dauliac, du colonel Laurent, commandant militaire du département et du général Laure, représentant le Maréchal.

Cette « émouvante et grandiose » cérémonie, groupant environ quinze mille légionnaires3511 et pas moins de quatre-vingt-dix-huit fanions, se tient sur le Pâquier. La messe est présidée par l’évêque. Ce dernier bénit les fanions et la foule, avant de céder la parole au chanoine Cuttaz, membre du directoire de la Légion, qui invite les Légionnaires à faire leur examen de conscience. L’émotion semble au rendez-vous, et les Visitandines notent que les « larmes coulaient de tous les yeux, surtout à ces mots souvent répétés : “La France a perdu son âme !” »3512. Le prédicateur rappelle qu’Elle la « retrouvera si chaque individu […], si la société s’efforcent de garder et de faire prospérer la vie intérieure »3513. Dans le compte-rendu qu’elle consacre à l’événement La Revue du Diocèse d’Annecy ne manque pas de souligner que cette célébration est le « signe frappant de temps nouveaux et un gage – réel celui-là – de la résurrection française »3514 mais également que les « Légionnaires referont une France fidèle à sa vocation… »3515.

À peine un mois plus tard, une nouvelle cérémonie attire de nombreux catholiques à Annecy, avec la venue du Maréchal. C’est le 23 septembre 1941 que le chef de l’État Français arrive dans la cité épiscopale où il est accueilli, à sa descente du train, par le général Cartier, maire d’Annecy. Ensuite, le Maréchal se rend à la basilique de la Visitation où il est attendu par l’évêque, les chanoines, le clergé de la ville, et des « supérieurs de communautés et des notables de l’action catholique »3516. À sa descente de voiture, le Chef de l’État se voit présenter, par Mgr Cesbron « un goupillon, rite réservé aux souverains et aux princes de l’Église »3517. Par la présence du Maréchal3518, la cérémonie semble associer la religion et la patrie, chose qui n’était pas arrivée depuis près d’un demi-siècle. Dans son allocution « plein[e] de patriotisme, d’amour pour nos Saints et de vénération pour le Maréchal »3519, Mgr Cesbron fait part de sa satisfaction à recevoir l’autorité suprême du pays notamment par des hommages « respectueux [de] fidèle dévouement », d’« attachement profond » ainsi que d’une « vénération reconnaissante »3520 de la part du clergé et des fidèles. Il exprime également la joie de ses diocésains de le recevoir. Ces derniers le remercient pour « toutes les vies qu’il a sauvées » et pour l’espérance qu’il a « semée, à pleines mains, sur notre terre de France »3521. Il est remercié par le Maréchal de « vouloir l’aider dans son rude labeur »3522. Ce dernier reçoit d’ailleurs comme cadeau un coffret contenant des reliques des saints fondateurs3523. Le Chef de l’État, que les Visitandines considèrent comme un « catholique [qui] n’a peur de rien, [que] rien n’arrête dans sa résolution de tout entreprendre avec prudence et sagesse pour arriver à ses fins : “relever la France par le christianisme” »3524, les invite à prier pour « le relèvement de la France »3525.

En juillet 1941, l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France publie une déclaration rappelant que l’épiscopat veut que « sans inféodation, soit pratiqué un loyalisme sincère et complet envers le pouvoir établi ». Les prélats ajoutent qu’ils vénèrent « le Chef de l’État, et demand[ent] instamment que se réalise autour de lui l’union de tous les Français. L’union, toujours, est principe de force »3526. Malgré cette déclaration, un certain détachement est perceptible dans les rangs du clergé, comme dans ceux des diocésains. À partir de 1942, le clergé manifeste un certain retrait par rapport à la participation aux manifestations du régime, même si, à quelques occasions Mgr Cesbron représente le clergé diocésain. Tel est le cas, en mai 1942, lors de la cérémonie de réparation à saint François de Sales, dont la statue a été peinte en rouge par des résistants. L’évêque organise une cérémonie pour réparer cette offense. Il publie également une lettre, qu’il demande de lire en chaire pour obtenir le pardon du saint3527. En 1943, Mgr Cesbron inaugure la statue de Jeanne d’Arc, œuvre du sculpteur Réal del Sarte3528. Il est intéressant de souligner que cette cérémonie n’est pas évoquée par la Revue du Diocèse d’Annecy. Est-ce par rapport aux positions tenues par le sculpteur dans sa jeunesse ? Faut-il voir dans ce silence une certaine manifestation d’un détachement face à Vichy ? En août 1943, a lieu l’inauguration, à la basilique de la Visitation, d’un vitrail offert par les légionnaires. Mgr Cesbron semble dérangé par ce présent, qui pourtant ne le concerne pas directement. Dans un courrier qu’il adresse à son vicaire général, il ne manque pas de rappeler qu’il n’accepte pas que la cérémonie se déroule lors de la clôture de la Neuvaine, et surtout que cela se fasse sans son accord. Il ne veut pas que la cérémonie religieuse soit associée à une manifestation du régime de Vichy. Malgré tout, Mgr Cesbron célèbre pontificalement la messe, qui est d’ailleurs chantée par les « petits chanteurs de la Côte d’Azur » et diffusée par la radio du monde entier3529.

Il serait inexact de penser que le régime de Vichy est soutenu par tous les catholiques. Nous avons vu précédemment que quelques personnes se détachaient rapidement du Maréchal, et du nouvel État. Certains prêtres n’hésitent pas à s’opposer ouvertement aux organisations légionnaires, tel est le cas de l’abbé Bastard-Bogain. En mai 1941, lors de la fête de Jeanne d’Arc, il élimine la Légion de la « cérémonie religieuse » et « seul le conseil municipal est invité sur les premiers bancs de l’église »3530. Poussant la provocation plus loin, il déclare, dans son sermon, qu’il s’incline « bien bas devant le conseil municipal, seule autorité [qu’il] reconnaît dans la commune »3531. L’année suivante, toujours à l’occasion de la fête de Jeanne d’Arc, il refuse de dire la messe demandée par le délégué cantonal de la jeunesse, car il considère que dans ce domaine, il est le « maître et qu[‘il] fait ce qu[‘il] veut »3532. Invité, avec ses vicaires, à aller au monument aux Morts, il refuse de s’y rendre, interdisant même à la « JAC et à la chorale paroissiale d’y figurer avec leurs emblèmes »3533. De la même façon, lors d’une cérémonie d’hommage aux morts des deux guerres, l’abbé Bastard-Bogain toise du regard « pendant au moins cinq minutes, le comité de la Légion, qui rend les honneurs »3534. Alors qu’un autre jour en sacristie, il déclare que le chef communal de la Légion « a bien fait de ne pas venir plus en avant avec ses moineaux (son comité), sans quoi, [il] leur aurait fait un affront »3535. Si le règlement de compte personnel entre l’abbé et le chef de la Légion n’est pas à exclure3536, il n’en reste pas moins que l’abbé Bastard-Bogain maintient son hostilité à Vichy tout au long de la période.

L’abbé Menuz, responsable de la chorale du petit séminaire de Thonon-les-Bains, manifeste son opposition au régime en refusant d’apprendre « l’hymne au Maréchal, “Maréchal nous voilà” »3537 aux élèves. Ce chant aurait dû être exécuté lors de la visite du sous-préfet de Thonon-les-Bains, venu pour inaugurer le « salut au drapeau », mais l’abbé préfère laisser le soin à son supérieur d’apprendre lui-même l’hymne aux élèves. Même si cet acte peut paraître anodin, il n’en reste pas moins qu’aux yeux du jeune prêtre, il « est important »3538. Dans ses souvenirs, l’abbé Menuz rappelle que sa génération est celle qui revendique une réconciliation entre l’Église et l’État, mais « dans l’autonomie souveraine de chaque société »3539.

Si l’enthousiasme a prévalu dans les premiers mois de la mise en place du nouveau régime, il n’en reste pas moins que les sentiments changent au fil des années. Dès 1941, nous avons constaté qu’un certain détachement se laissait percevoir, alors qu’il s’affirme nettement à partir de 1942 et plus encore l’année suivante. L’épisode de Vichy marque incontestablement une rupture pour la société française, et les jeunes sont – à l’évidence – les plus exposés aux difficultés.

Notes
3458.

g. cholvy, y.-m. hilaire , Histoire religieuse…, op. cit., t. 3, p. 74.

3459.

e. fouilloux, Les chrétiens français…, op. cit., p. 121.

3460.

Ibid., p. 122.

3461.

La République avait également accepté la présence d’un Nonce à Paris au début des années Vingt. Cf. supra, p. 238.

3462.

 Bulletin paroissial du Lyaud, n° 31, juillet-août 1940. L’abbé Longet semble cependant oublié que Pierre Laval, vice-président du Conseil, a occupé des fonctions sous la IIIe République.

3463.

p. golliet , Monument aux Glières, Cahiers des Amis du Val de Thônes n° 1, Thônes, Imp. Jacquet, 1994, 176 p., p. 11.

3464.

ADHS, 15 W 40.

3465.

Ibid.

3466.

Ibid.

3467.

Bulletin Paroissial de Thonon-les-Bains, décembre 1940.

3468.

La Croix de la Haute-Savoie, 8 juin 1941.

3469.

Ibid.

3470.

Bulletin paroissial de Thonon-les-Bains, février 1941.

3471.

Le Légionnaire de la Haute-Savoie, décembre 1941.

3472.

Ibid.

3473.

cl. langlois, « Le régime de Vichy et les semaines religieuses… », op. cit., p. 760.

3474.

La Croix de la Haute-Savoie, 22 juin 1941.

3475.

Ibid.

3476.

Entretien avec l’abbé M. Birraux.

3477.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 51, 19 décembre 1940, p. 555.

3478.

Ibid.

3479.

cl. langlois, « Le régime de Vichy et les semaines religieuses… », op. cit., p. 753.

3480.

La Croix de la Haute-Savoie, 2 mars 1941.

3481.

ADA. Boîte guerre 1939-1945. Lettre de Mgr Cesbron à monsieur le maire d’Annecy, 23 mai 1941.

3482.

Ibid.

3483.

ADHS, 8 W 10. Rapport sur le moral et la vie économique du département, présenté par Robert Avezou, chef du centre départemental d’information.

3484.

Ibid.

3485.

Expression reprise d’une note du chanoine Clavel du 5 septembre 1940.

3486.

ADHS, 8 W 10. Rapport sur le moral et la vie économique du département, présenté par Robert Avezou, chef du centre départemental d’information.

3487.

Ibid. Note de l’abbé Grenet, 22 octobre 1940.

3488.

La Croix de la Haute-Savoie, 3 novembre 1940.

3489.

Ibid., 15 décembre 1940.

3490.

ADA. Boîte guerre 1939-1945. Rapport sur les incidents causés à Taninges.

3491.

b. comte, L’honneur et la conscience…, op. cit., p. 155.

3492.

La Croix de la Haute-Savoie, 20 octobre 1940.

3493.

g. cholvy, y.-m. hilaire , Histoire religieuse…, op. cit., t. 2, p. 82.

3494.

ADHS, 15 W 5. Forces du maintien de l’ordre. Seules les listes des présidents de l’année 1941 sont conservées.

3495.

Ibid.

3496.

ADHS, 1 Mi 162. Journal clandestin de Louis Dépollier. l. menuz, Souvenirs…, op. cit., p. 7.

3497.

ADHS, 15 W 5. Il a été blessé le 29 octobre 1916, amputé du bras droit. Revue du Diocèse d’Annecy, n° 29, 18 juillet 1919, p. 286.

3498.

ADHS, 15 W 5.

3499.

ADHS, 15 W 5.

3500.

g. cholvy, y.-m. hilaire , Histoire religieuse…, op. cit., p. 83.

3501.

Le Légionnaire de la Haute-Savoie, février 1942.

3502.

Ibid.

3503.

ADHS, 15 W 40. Dans le rapport du 11 mai 1941, il est écrit que c’est « devant la statue de la sainte qu’a lieu la bénédiction du fanion départemental par Son Excellence Mgr Cesbron ».

3504.

Le Légionnaire de la Haute-Savoie, décembre 1941.

3505.

Ibid.

3506.

Voir les photos en annexe n° 95.

3507.

Revue du Diocèse d’Annecy, nos 34-35, 28 août 1941, p. 643.

3508.

Ibid.

3509.

Le Légionnaire de la Haute-Savoie, novembre 1941.

3510.

Ibid. Claude Langlois voit dans cette phrase l’aveu de la séduction d’un certain nombre d’ecclésiastiques. Cité par cl. langlois, « Le régime de Vichy et les semaines religieuses… », op. cit., p. 764.

3511.

Annales écrites de la Visitation. 1913-1942. Document Monastère de la Visitation, 31 août 1941. Elles notent dans leurs Annales qu’il y a environ vingt mille anciens combattants (légionnaires) à la cérémonie.

3512.

Ibid.

3513.

Ibid.

3514.

Revue du Diocèse d’Annecy, nos 36-37, 11 septembre 1941, p. 675. Le compte-rendu fait sept pages.

3515.

Ibid.

3516.

Échos salésiens publiés par les Missionnaires de Saint-François-de-Sales d’Annecy, n° 18, noël 1941, p. 16.

3517.

Ibid., p. 17.

3518.

Il est installé dans un « trône aux couleurs de la France, écussonné du Sacré-Cœur ». Échos salésiens publiés par les Missionnaires de Saint-François-de-Sales d’Annecy, n° 18, Noël 1941, p. 18. Voir annexe n° 96.

3519.

Annales écrites de la Visitation. 1913-1942. Document Monastère de la Visitation.

3520.

Échos salésiens publiés par les Missionnaires de Saint-François-de-Sales d’Annecy, n° 18, Noël 1941, p. 19.

3521.

Ibid., p. 20.

3522.

Annales écrites de la Visitation. 1913-1942. Document Monastère de la Visitation.

3523.

Ibid.

3524.

Ibid.

3525.

Ibid.

3526.

Revue du Diocèse d’Annecy, nos 36-37, 11 septembre 1941, p. 664-665.

3527.

Ibid., n° 21, 21 mai 1942, p. 325. Ce dernier a été choisi comme patron du Service d’Ordre Légionnaire.

3528.

Membre de l’Action française, il avait participé, au début du siècle, avec Maurice Pujo, à l’affaire Thalamas.

3529.

Annales écrites de la Visitation. 1943-1945. Document Monastère de la Visitation, 29 août 1943. Voir annexe n° 100.

3530.

ADA. Boîte guerre 1939-1945. Rapport sur les incidents causés à Taninges.

3531.

Ibid.

3532.

Ibid.

3533.

Ibid.

3534.

Ibid.

3535.

Ibid.

3536.

AAS. Boîte Mgr du Bois de la Villerabel n° 2. Lettres de Mgr de La Villerabel à l’abbé Bastard-Bogain, 1938 et 1940. De la même façon, il refuse publiquement de donner la communion à l’épouse du chef de la Légion, et s’oppose à la célébration des obsèques de première classe demandée par la famille (dont un des fils est d’ailleurs prêtre) sous prétexte que les « honneurs religieux se méritent » et ne s’achètent pas.

3537.

l. menuz, Souvenirs d’un curé…, op. cit., p. 5.

3538.

Ibid.

3539.

Ibid.