A. La jeunesse

Nous avons vu précédemment que le clergé avait perçu l’arrivée du maréchal Pétain comme un signe de la providence. Cette perception a sans doute été partagée par de nombreux catholiques, au moins dans les premiers mois qui ont suivi la défaite. La jeunesse n’a sans doute pas échappé à ce mouvement enthousiaste, même si pour elle, née après la Première Guerre mondiale, le culte du Maréchal n’a pas la même intensité que pour les Poilus. Nous ne possédons que peu d’informations quant à l’opinion des jeunes des mouvements face au régime de Vichy, notamment à cause de la suppression des publications des mouvements, de la censure3544 ou de leur absence aux Archives. Les jeunes semblent suivre la mouvance des adultes, tout en jugeant la situation avec peut-être plus de recul que leurs aînés. Il apparaît que le retour aux affaires de Laval (18 avril 1942) marque une charnière dans l’attitude de nombreux Français. En octobre 1940, l’abbé Grenet rappelait déjà, que Pierre Laval était détesté, et que rien n’était dit contre le Maréchal, mais que nombre de personnes étaient persuadées que d’autres agissaient à sa place3545. Le rôle de la publication de Témoignage Chrétien, à partir de 1941, n’est probablement pas non plus étranger à cette évolution de l’opinion catholique, qui passe progressivement de l’enthousiasme à la méfiance qui pour une part ira jusqu’à l’opposition. Contrairement à la Première Guerre mondiale, où l’activité des mouvements de jeunes avait été quasi stoppée par les événements, au cours du second conflit l’activité des jeunes se poursuit et s’intensifie même dans certains cas.

La jeunesse est au centre des préoccupations de l’État Français. Dès juillet 1940, cette question est évoquée. Jacques Duquesne rappelle à ce propos que les mouvements « craignent que la direction de la jeunesse, bientôt appelée Secrétariat Général à la Jeunesse, ne devienne un organisme totalitaire chargé de surveiller et de régenter les mouvements de jeunesse, voir de promouvoir une “jeunesse unique” »3546. André Colin, nouveau président de l’ACJF, évoque une autre crainte qui est celle de voir les mouvements [de l’ACJF] devenir des instruments politiques, ce qu’il refuse catégoriquement3547. C’est ce que rappelle Jacques Dusquesne, lorsque évoquant Colin, il écrit que « l’œuvre des mouvements de jeunes, devient impossible s’ils se trouvent entraîner sur le terrain de la révolution politique et, si, au regard des masses, ils apparaissent comme des instruments politiques »3548. C’est cette peur de la politisation des mouvements qui pousse les jeunes à être encore plus méfiants vis-à-vis de Vichy. À ce propos, Alphonse Métral, militant jociste puis délégué régional du mouvement, souligne que « la hiérarchie de l’Église ne va pas se couper du pouvoir, elle va dialoguer avec lui »3549. Les jeunes jugent probablement la situation avec un recul plus important que la hiérarchie qui, d’une certaine façon, consciemment ou non, prend une certaine revanche sur les années de laïcité. Les dirigeants de l’ACJF demandent à la hiérarchie d’être prudente face au gouvernement3550.

En août 1940, le Maréchal annonce que les mouvements seront conservés, et c’est sans doute pour clarifier cette situation que Georges Lamirand, directeur général de la jeunesse, et Pierre Goutet réunissent les « dirigeants des mouvements de jeunesse pour leur présenter un projet de “charte de jeunesse” sous forme de loi »3551. Ce projet est finalement abandonné, et ce n’est qu’un an plus tard qu’un terrain d’entente est trouvé. Vichy, qui a besoin de chefs pour ses nouvelles organisations, comme les chantiers de jeunesse, tente d’attirer les jeunes qui ont pu avoir des responsabilités avant la guerre, comme les instituteurs, les présidents de sections des mouvements, etc… Alphonse Métral souligne que, lui comme d’autres, refuse d’occuper ces fonctions, effectuant ainsi une première forme de résistance face au gouvernement. De plus, il semble que les jeunes soient informés des difficultés rencontrées par les jeunes en Allemagne.

Des rumeurs laissent penser que le gouvernement souhaiterait constituer une jeunesse unique, un peu à l’image des dictatures italiennes ou allemandes. Afin de dissiper les inquiétudes, Mgr Couderc, évêque de Viviers, publie un texte qui est repris, en avril 1941, par la Revue du Diocèse d’Annecy. Dans ce dernier, il évoque l’attitude à adopter face aux organisations gouvernementales, et notamment envers les compagnons de France. Pour le prélat, « loin de leur être hostiles [les mouvements doivent] leur témoigner de la sympathie puisqu’ils travaillent comme [les] œuvres catholiques, bien qu’à un étage inférieur, au relèvement du pays »3552. Il poursuit en rappelant un principe, qui sera évoqué, dans la convention d’agrément, et qui est la sauvegarde, par les mouvements, de leur « personnalité, [de] leur caractère, [de] leur orientation particulière »3553. Le gouvernement doit accepter les mouvements tels qu’ils sont, et non pas comme il voudrait qu’ils soient. Mgr Couderc rappelle également que cette collaboration à la régénération du pays doit se faire sans rivalité, sans hostilité, et avec des moyens propres à chaque œuvre. Il met en garde les œuvres contre « une tendance qui se fait jour vers la fusion de toutes les œuvres de jeunesse de France en un seul mouvement unique »3554. Mgr Cesbron, dont la prudence est de mise, ne se prononce pas sur cette question de la jeunesse unique. Cependant, le fait que la Revue du Diocèse d’Annecy reprenne le texte montre d’une certaine façon qu’il partage les idées de son homologue. Les jeunes restent méfiants vis-à-vis de la politique de la jeunesse prévue par Vichy, et ils montrent leur désaccord en disant « non à la venue de Georges Lamirand en Haute-Savoie »3555. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1941 que les mouvements et le gouvernement arrivent à trouver un compromis.

En effet, il apparaît évident que les mouvements de jeunesse, qui sont déjà structurés, sont un élément sécurisant pour le gouvernement. En juin 1941, Louis Garrone réunit, à Uriage, les « dirigeants des mouvements pour leur annoncer la mise en place d’une nouvelle procédure »3556, et ce n’est qu’à l’automne qu’est signé un accord entre Louis Garrone, directeur de la formation des jeunes, et Jean Chollet, archevêque de Cambrai et secrétaire permanent de l’ACA. Cet agrément accordé par Vichy est d’une certaine façon destiné à flatter les organisations déjà existantes. L’État reconnaît officiellement leur existence, et leur apporte son aide financière, en échange de quoi il exercera un certain contrôle moral et financier3557. Cette convention signée entre l’épiscopat et le Secrétariat Général de la Jeunesse ne manque pas de stipuler que « toute association qui sera, par la suite, désignée par l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France comme partie intégrante de l’ACJF sera agréée de droit »3558. Il importe de souligner que l’éducation civique qui, normalement, est du ressort de l’État, peut être dispensée par les mouvements d’action catholique puisque « les principes enseignés par l’Église concourent au bien de la société civile »3559. L’État n’intervient pas dans la nomination des dirigeants des mouvements, ce qui montre qu’il reste tout de même une certaine liberté aux mouvements. Dans une lettre adressée de manière confidentielle aux délégués régionaux, Louis Garrone rappelle clairement que « les mouvements d’action catholique ne sont pas faits pour promouvoir la Révolution Nationale, encore que leur formation y coopère de façon singulière »3560. Il est clairement rappelé dans la convention de l’automne 1941, que « tous les rapports entre l’Église et l’État doivent […] être marqués d’une extrême prudence »3561. Il est d’ailleurs intéressant de souligner que les opinions au sein même du monde catholique divergent. Dans une note, Louis Garrone réaffirme la difficulté rencontrée tant par les mouvements que par l’État à propos de l’attitude à adopter, alors que l’ACA déclare que « l’État est en droit d’exiger une adhésion sans réticence à son Chef, le maréchal Pétain, et à sa doctrine, ensuite à une participation active de la vie publique »3562. L’ACA juge sans doute avec moins de recul que les mouvements notamment parce qu’elle semble satisfaite de ce retour aux affaires des questions religieuses, et principalement de la jeunesse. D’une certaine façon, cet agrément est pour elle un moyen de se « venger » des lois infâmes du début du siècle. Durant l’entre-deux-guerres, la jeunesse a été l’objet de nombreuses attentions de la part des prêtres. Ce compromis est aussi un moyen pour la hiérarchie catholique de réaffirmer son autorité sur les laïcs. Une note de l’ACA rappelle que si des difficultés venaient à surgir entre « quelque mouvement d’action catholique ou leur ensemble, et le gouvernement, NN. SS. les évêques demande[raient que le gouvernement veuille bien traiter, non avec les chefs laïcs des mouvements, mais avec la hiérarchie »3563. Cette décision fait-elle référence à l’hostilité que les dirigeants du mouvement ont montré rapidement face à la politique de la jeunesse, à la suite du président André Colin ?

Dans le diocèse, la Revue du Diocèse d’Annecy publie une note de Mgr Cesbron sur cette question de l’agrément, alors que la plupart des bulletins paroissiaux n’en parlent pas. De la même façon, il est surprenant de constater que le chanoine Clavel ne se prononce pas sur la question. Il n’apparaît pas dans les sources que nous avons pu consulter, alors qu’il est toujours aumônier diocésain de l’ACJF. L’évêque, dans sa note, évoque trois points qui, pour lui, sont majeurs : il insiste sur le fait qu’au travers des mouvements, l’Église peut aider au relèvement du pays. Il invite ensuite les mouvements à être « fidèles aux devoirs si importants de l’heure actuelle, de l’obéissance à l’égard du pouvoir établi et d’une vivante collaboration à l’immense travail entrepris pour le relèvement de la France »3564. Reconnaissant ensuite que l’agrément est le fruit d’une reconnaissance de l’État, Mgr Cesbron donne trois consignes à savoir : la fidélité, le zèle et la charité3565. Pour l’Église en général, l’obéissance est une valeur de premier ordre, mais il semble que, pour l’évêque, elle prime sur toutes les autres. Il rappelle que « celui qui est chef ou responsable d’un mouvement d’action catholique ne prendra pas, n’acceptera pas la direction d’un groupement non confessionnel », car il faut éviter les « confusions toujours possibles, et actuellement très faciles et regrettables, entre spirituel et temporel »3566. Cette idée est celle émise par l’ACA qui rappelle que la « politique de parti est strictement interdite aux mouvements de jeunesse. Quant à la grande politique, dans la mesure où elle est de leur âge, elle leur est recommandée à titre individuel »3567. Le bulletin paroissial de Notre-Dame-de-Liesse d’Annecy est sans doute l’un des seuls à évoquer cette question. L’auteur de l’article souligne sa satisfaction quant à cette décision. Pour lui, les mouvements prennent une part active à « la construction de l’ordre nouveau fondé sur les trois principes du Maréchal : Travail, Famille, Patrie. Ainsi l’Église et ses organisations contribueront, sur le plan qui leur est propre, à la Révolution Nationale »3568. La JEC d’Annecy semble partager un sentiment proche, en déclarant avoir trouvé dans le « christianisme une doctrine capable de transformer et d’embellir nos vies – une doctrine qui se fonde sur des bases solides, le travail, la famille, la patrie »3569. Les jécistes croient qu’une « génération de jeunes qui prendrait le christianisme au sérieux, voilà la chance de la France et de l’Europe de demain »3570.

En janvier 1942, à Lyon, sous la présidence de Mgr Gerlier, le conseil national de l’ACJF prend position, « traçant à ses membres la voie à suivre, doctrinale et pratique »3571, en évoquant les problèmes qui gravitent autour de « la notion de patriotisme et de la collaboration au relèvement national »3572. À cette occasion, le Primat des Gaules donne ses consignes en cinq points. Il demande à tous de conserver l’union notamment par « un grand effort de fraternité en tous milieux et entre tous »3573. Cet effort peut se retrouver dans la réalisation des colis familiaux qui apparaissent à cette période et qui voient la collaboration entre les paysans et les ouvriers. La seconde consigne demande la garantie du « patriotisme moral de la France, contre des infiltrations de la pensée païenne qui dissolvent l’esprit chrétien. Le devoir des jeunes est de s’y opposer, sans haine, mais avec une intransigeante fermeté »3574. Faut-il voir dans la référence à la pensée païenne une allusion au nazisme ou au communisme ? La troisième recommandation s’intéresse au respect de la collaboration avec le Maréchal pour le redressement spirituel et moral du pays, alors que les deux dernières recommandent aux mouvements de rester tels qu’ils sont, et de tout juger « à la lumière de la doctrine chrétienne »3575. Au regard des différents titres de presse que nous avons pu consulter, il ressort que finalement ces accords passent un peu sous silence. Le Clocher Savoyard ne fait aucune allusion à cet épisode. Toutefois, d’après les documents étudiés, il semble que l’idée sous-jacente d’une revanche sur les lois de la République apparaisse de plus en plus nettement. L’Église voit là un moyen de retrouver une place qu’elle n’avait plus depuis longtemps, alors que pour les jeunes des mouvements la situation est différente. Ils n’ont pas connu les tensions des années 1900 et ils ont été formés à l’école de l’action catholique.

Malgré la situation parfois délicate, les mouvements poursuivent inlassablement leurs activités, et ils réussissent à maintenir des effectifs importants. En septembre 1941, les jeunes hommes se réunissent pour participer au congrès diocésain. À cause de la situation, il se tient dans chacun des chefs-lieux d’arrondissements3576, ce qui permet ainsi à un maximum de jeunes d’y participer. C’est le 14 août 1941, que Mgr Cesbron se félicite de la reprise des congrès diocésains3577. Les thèmes abordés à cette occasion sont ceux du triptyque de Vichy. L’évêque encourage ces manifestations extérieures de l’activité chrétienne des jeunes. Il rappelle à cette occasion que celui qui « veut être un vrai chrétien doit être chrétien dans toutes ses paroles, dans toutes ses actions, partout et toujours : voilà ce que nos jeunes apôtres d’action catholique veulent dire à la jeunesse »3578. Il souligne ensuite le parallèle entre la mission proposée par l’Église et en même temps par l’État qui remet des valeurs chrétiennes à l’honneur3579. Développant les thèmes d’études présents pour ce congrès, il évoque le travail qui est présent « afin que Dieu entre dans la profession de plus en plus », la famille pour que « Dieu la rende stable et féconde de plus en plus » et enfin la patrie, pour que « Dieu la protège et la garde à jamais »3580. En septembre 1941, Charles Bosson, président diocésain, lance à son tour un appel pour que les jeunes soient nombreux à venir à ces rencontres. Il redit que « par le passé, [les congrès furent] une réponse claire et enthousiaste aux appels, tantôt impétueux, tantôt angoissés, de la Patrie et de l’Église, indissolublement unis dans nos cœurs »3581. Sans doute, le président pense-t-il au congrès de 1924, tenu à La Roche-sur-Foron et qui, comme nous l’avons vu précédemment, a marqué une étape importante dans l’histoire de la défense religieuse et du dynamisme de l’ACJF. Ces congrès sont aussi l’occasion pour les dirigeants de faire passer des directives pour le relèvement de la France. Il est intéressant de signaler que les dirigeants font nettement la distinction entre la France (la Patrie) et l’État. En effet, une distance est clairement établie avec l’autorité, puisque les jeunes sont prêts à travailler au relèvement de la France, leur patrie, mais en aucun cas, ils ne travaillent pour le régime de Vichy ou pour l’État, même s’ils reconnaissent que parfois les thèmes présentés par Vichy se rapprochent de leurs conceptions chrétiennes de la société. C’est d’ailleurs ce qu’ils soulignent dans la brochure Au service de la France, éditée à l’occasion de ce congrès, où il est rappelé qu’en « servant l’Église par l’action catholique, [ils servent] la France »3582.

Le congrès se déroule selon le schéma des manifestations d’avant-guerre. Une messe ouvre la journée, et les séances d’études se tiennent le matin. Un lever de couleurs ouvre l’après-midi qui se construit autour des thèmes « Travail, Famille, Patrie ». Les trois mots du triptyque sont évoqués par des jeux scéniques basés sur le « christianisme incarné dans les communautés naturelles »3583. La famille est représentée par « le semeur » à qui succède un discours du président jaciste. Le travail est évoqué par les « mains noires, [les] mains rudes »3584, le président jociste prenant ensuite la parole. Enfin la Patrie est représentée par le « jeu patriotique »3585. L’évêqueclôt la cérémonie par ses consignes. Faisant alors un parallèle avec le Maréchal, il déclare : « Jeunesse pense à tes responsabilités ; sois grave, sérieuse, fidèle à ton devoir. Soyez unis »3586. Clôturant un congrès, Charles Bosson déclare que la journée « témoigne […] du christianisme qui [les] anime », ajoutant qu’ils ne veulent pas d’un « christianisme momifié [mais d’un] christianisme vivant »3587. Il ajoute que les jeunes doivent travailler tous les jours à la résurrection de la France et que le christianisme « apprend à donner tout [d’eux-mêmes] et jusqu’à [leur] vie »3588. À Annecy, alors qu’il prononce le discours de clôture du congrès, Mgr Cesbron demande aux militants de faire « l’offrande du trésor de [leur] jeunesse pour qu [e le Christ] puisse le multiplier au centuple pour le bien de notre chère patrie »3589. Il est intéressant de souligner que le chanoine Clavel semble moins présent lors de ces congrès, il ne semble plus occuper la même place que celle qu’il avait à la veille de la guerre3590.

En 1942, les jeunes filles tiennent leurs congrès, qui, comme pour les jeunes gens, se répartissent sur trois journées en différents lieux du diocèse3591. Ils s’articulent autour du thème de la reconstruction d’une France chrétienne. Nous retrouvons ici un thème déjà largement présent chez les dames de la Ligue des femmes françaises. C’est la première fois que Mgr Cesbron voit les jeunes filles des mouvements réunies. C’est pour lui l’occasion de leur rappeler qu’elles ne doivent pas être égoïstes, qu’elles doivent être croyantes et n’adorer qu’un seul Dieu3592. Nous pouvons nous demander si ces consignes ne sont pas en référence directe avec la situation liée à la guerre. Cette dernière incitant parfois certaines personnes à devenir trop individualistes, et à profiter des circonstances pour arranger une situation financière. Concernant l’adoration d’un seul Dieu, il y a une référence sous-jacente à l’argent et au plaisir. À ce propos, l’évêque n’hésite pas à rappeler que l’argent « s’introduit […] dans les campagnes, étouffant tout principe de morale »3593. Si le choix du thème n’est pas sans rapport avec le travail déjà effectué par les femmes à la veille de la guerre, il n’en reste pas moins vrai que les congrès ont lieu après l’été 1942. Ce dernier marque un « tournant »3594 pour les mouvements. Gérard Cholvy rappelle à ce propos qu’à ce moment « la majorité des dirigeants des mouvements se détache du régime et, de plus en plus nombreux sont ceux qui, tout en vénérant la personne du Maréchal, donnent la priorité à la lutte contre l’occupant, avec ou sans le Maréchal et contre son gouvernement »3595. Les mouvements de jeunesse se trouvent dans une situation délicate, au moins jusqu’à 1942. D’une certaine façon, ils approuvent l’idée selon laquelle la foi catholique doit participer à la restauration de la France, mais en même temps les jeunes des mouvements restent méfiants vis-à-vis du régime surtout à partir du retour de Laval aux affaires et plus encore à partir de l’instauration du Service du Travail Obligatoire (STO).

1942 marque une date importante pour la JOC qui fête son quinzième anniversaire. C’est l’occasion d’une nouvelle démonstration de l’importance du mouvement. Contrairement à 1937, le rassemblement ne peut se tenir à Paris et, c’est à Grenoble, que les jeunes se réunissent, le 21 juin. Selon Alphonse Métral3596, il y aurait environ dix mille jeunes, alors que la Revue du Diocèse d’Annecy estime, quant à elle, à près de quinze mille le nombre des participants3597. Ces chiffres montrent la mobilisation des jeunes pour participer à cette manifestation. Alphonse Métral nous rappelait les difficultés liées à l’organisation d’un tel rassemblement puisque les « cars étaient rares et les transports économisés »3598. Nous ne connaissons pas les chiffres exacts de la participation des jeunes du diocèse. Nous possédons en revanche les comptes-rendus de cette cérémonie qui ne sont que successions de louanges.

Les mouvements participent également à des cérémonies publiques organisées par le gouvernement, du moins jusqu’en 1942, date à laquelle un certain retrait se fait ressentir. Les jeunes ont participé à la fête de Jeanne d’Arc, à Annecy en 19413599. L’année suivante, la JAC d’Abondance chante « Maréchal nous voilà », et le chant de la jeunesse à l’occasion de la fête de Jeanne d’Arc3600. En revanche, en mai 1942, à l’instigation des mouvements de jeunesses catholiques, « l’ensemble des mouvements de jeunes d’Annecy a refusé de faire, à l’occasion de la fête de Jeanne d’Arc, un envoi des couleurs sous le commandement d’un chef légionnaire officier, combattant des deux guerres, blessé plusieurs fois »3601. Nous percevons déjà ici, un signe de protestation de la part de la jeunesse. Cela ne faisant qu’augmenter avec le temps. En mai 1943, toujours à l’occasion de la fête de Jeanne d’Arc, les scouts et l’ACJF refusent « de prendre part à une manifestation officielle que défiguraient son exploitation politique et la présence de Miliciens »3602. Lorsque le commissaire général impose à Paul Thisse « de revenir sur sa décision [limiter la délégation des Scouts] il démissionne ; il est alors traduit devant une cour d’honneur qui l’absout de toute faute, mais il préfère maintenir sa démission »3603. Paul Thisse, avait déjà rompu avec le Père Doncœur en août 1942 à l’occasion du pèlerinage au Puy3604.

Comme nous pouvons le constater contrairement à la Première Guerre mondiale3605, les mouvements continuent leur formation auprès des militants et leur « activité […] est toujours vive »3606. Les militants comme leurs homologues féminins se retrouvent pour des journées de formation, même si les conditions ne sont pas toujours aisées pour organiser des rencontres. En février 1941, Charles Bosson s’adresse au préfet pour lui signaler que des « difficultés avaient été faites pour des réunions de jeunes dans le département et que des autorisations préalables avaient été nécessaires »3607. Le président diocésain demande donc au préfet de bien vouloir accorder une autorisation générale. Le général Lenclud, commandant militaire du département, fait savoir au préfet qu’il ne voit « aucun inconvénient à ce que l’autorisation soit donnée », laissant à son interlocuteur le choix de juger « de la réponse à donner »3608. Le 14 mars, le préfet informe le président diocésain que sa réponse est négative, soulignant cependant que « la question [était] à l’étude et [que] des instructions seraient données à bref délai »3609. Le préfet ajoute que « tenant compte du rôle moral [du] mouvement, [il est] disposé à accorder à chacun des groupements qui y participe, une autorisation valable pour un cycle de réunions »3610, à condition que le texte qui lui sera soumis soit le même pour toutes les réunions et que la demande lui arrive au moins huit jours avant ladite réunion.

Les jeunes filles organisent leur première semaine rurale en 1942. C’est l’occasion pour elles de se pencher sur leurs conditions de vie et de travail. Marie-Louise Lefebvre-Beetschen estime que les effectifs de la JACF ont été en augmentation suite aux restrictions imposées par la guerre (interdiction des bals notamment)3611. Les jeunes gens ont également des semaines rurales. Le programme de ses dernières ne se différencie pas véritablement de ceux d’avant-guerre. La seule différence porte sur le fait que les participants s’intéressent davantage aux questions d’actualité. Les jocistes, qui ne bénéficiaient pas de journées spéciales, en organisent. Tel est le cas de celle de La Roche-sur-Foron, tenue en janvier 1943, et où une « cinquantaine de travailleurs et militants, […] la plupart des localités ouvrières de la Haute-Savoie »3612 participe. Les jeunes s’intéressent à la valeur éducative du travail industriel. À cette occasion, ils montrent que le « travail va à l’encontre de leur développement physique, intellectuel et moral »3613. Les jeunes ouvrières se réunissent également en janvier 1943 à La Roche-sur-Foron pour s’intéresser à la santé des jeunes travailleuses3614.

La jeunesse doit donc faire face à un dilemme : soit adhérer complètement à Vichy, et de ce fait perdre son autonomie, et d’une certaine façon son identité de mouvements de jeunesse catholique, soit affirmer sa position catholique et indépendante face au régime, et à ses ambitions sur la jeunesse française. La question du STO permet à une majorité de jeunes de faire un choix dans l’attitude à adopter face à Vichy, mais déjà avant cette date, un certain nombre de militants se mobilisent pour sauver des vies. La Haute-Savoie, par sa position géographique, est une porte ouverte vers la liberté qui peut se trouver en Suisse. Les jeunes des mouvements, individuellement, se mobilisent pour soutenir et aider ceux qui sont considérés comme indésirables sur le sol national. Ils reçoivent parfois l’aide des prêtres ou d’autres laïcs également croyants. Des réseaux apparaissent progressivement dans le diocèse et il est intéressant de souligner que les différences religieuses sont souvent oubliées. L’œcuménisme trouve ici une place qui ne cessera de progresser au lendemain de la guerre.

Notes
3544.

Il est parfois possible de retrouver des articles qui ont été refusés par la censure. Voir notamment aux Archives départementales de de la Haute-Savoie, les documents des séries 8 W 15 et 26 W 6.

3545.

ADHS, 8 W 10. Note de l’abbé Grenet, 22 octobre 1940.

3546.

j. duquesne, Les catholiques…, op. cit., p. 211.

3547.

Sur la question de l’ACJF pendant la guerre voir Alain-René michel , Catholiques en démocratie…, op. cit., p. 229-355.

3548.

Ibid., p. 213.

3549.

Entretien avec Alphonse Métral.

3550.

j. duquesne, Les catholiques…, op. cit., p. 213.

3551.

Ibid.

3552.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 15, 10 avril 1941, p. 222-223.

3553.

Ibid.

3554.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 15, 10 avril 1941, p. 222-223.

3555.

Entretien avec André Fumex.

3556.

j. duquesne, Les catholiques…, op. cit., p. 216.

3557.

Ibid.

3558.

ADHS, 5 J 24. Voir le texte de la convention en annexe n° 93. Voir également l’implantation des mouvements en 1941 en annexe n° 92.

3559.

Ibid.

3560.

Ibid.

3561.

Ibid.

3562.

Ibid. Lettre datée du 27 décembre 1941.

3563.

ADHS, 5 J 24.

3564.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 3, 15 janvier 1942, p. 34.

3565.

Ibid.

3566.

Ibid., p. 35.

3567.

Ibid., p. 36.

3568.

 Bulletin paroissial de Notre-Dame-de-Liesse, mars 1942. Il est intéressant de souligner que Mgr Cesbron n’utilise que très rarement le terme de « Révolution Nationale », lui préférant celui de « relèvement national ». Le rédacteur du bulletin semble reprendre les termes de la déclaration de l’épiscopat français au sujet de l’agrément des mouvements d’action catholique » (ADHS, 5 J 24).

3569.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 19, 30 avril 1942, p. 279-280.

3570.

Ibid.

3571.

Ibid., n° 6, 5 février 1942, p. 84.

3572.

Ibid.

3573.

Ibid., p. 85.

3574.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 6, 5 février 1942, p. 85.

3575.

Ibid.

3576.

Annecy, Bonneville et Thonon-les-Bains.

3577.

Revue du Diocèse d’Annecy, nos 32-33, 14 août 1941, p. 618. Le congrès diocésain de la jeunesse aurait dû avoir lieu en 1940.

3578.

Ibid.

3579.

Ibid. Il écrit : « Ne sont-ils pas conviés, tous ces jeunes, au même travail et par l’Église catholique et par le Chef de l’État Français ? ».

3580.

Revue du Diocèse d’Annecy, nos 32-33, 14 août 1941, p. 620.

3581.

Ibid., nos 36-37, 11 septembre 1941, p. 670.

3582.

Au service de la France, 1941.

3583.

Au service de la France, p. 6.

3584.

Ibid., p. 8.

3585.

Ibid., p.9.

3586.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 39, 2 octobre 1941, p. 716.

3587.

Ibid., n° 38, 25 septembre 1941, p. 702.

3588.

Ibid., p. 705.

3589.

Ibid., n° 39, 2 octobre 1941, p. 720.

3590.

 Faut-il voir dans cette situation un certain recul de son activité, du fait que les aumôniers fédéraux des mouvements spécialisés sont plus nombreux et donc l’aumônier diocésain est moins présent sur le terrain ?

3591.

La Roche-sur-Foron, Thonon-les-Bains et Annecy.

3592.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 34, 17 septembre 1942, p. 534-535.

3593.

Ibid., p. 535. Sans doute fait-il référence au marché noir.

3594.

g. cholvy, « Les jeunes en mouvement », Notre Histoire, n° 114, p. 34.

3595.

Ibid.

3596.

Entretien avec Alphonse Métral, 10 février 2004.

3597.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 26, 25 juin 1942, p. 407.

3598.

Entretien avec Alphonse Métral.

3599.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 22, 29 mai 1941, p. 301.

3600.

ADHS, 15 W 40.

3601.

ADHS, 5 J 24. Lettre d’Alphonse Depraz à mademoiselle Tissot, 20 juillet 1942.

3602.

Le Courrier Savoyard, 21 octobre 1944.

3603.

c. sorrel, dir., Dictionnaire du monde religieux…, La Savoie, op. cit., p. 388.

3604.

e. kessler , Le vieux Thisse…, op. cit., p. 57.

3605.

Il est à noter que la situation est totalement différente.

3606.

ADHS, 8 W 12.

3607.

ADHS, 8 W 17.

3608.

Ibid.

3609.

Ibid.

3610.

ADHS, 8 W 17.

3611.

Elle a été présidente fédérale de la JACF à partir de 1943. Elle estime que les jeunes filles ne pouvant pas sortir trouvent dans les réunions de JACF un moyen de sortir.

3612.

ADHS, 8 W 12.

3613.

ADHS, 8 W 12 et Revue du Diocèse d’Annecy, n° 3, 28 janvier 1943, p. 40.

3614.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 4, 4 février 1943, p. 54-55. La Revue dit qu’elles sont une quarantaine, alors que les Renseignements Généraux estiment leur nombre à une cinquantaine, ADHS, 8 W 12.