a. La question du STO pour les laïcs

Bernard Comte rappelle que « l’affaire du STO a été pour l’Église une épreuve redoutable. Elle a posé aux jeunes la question de l’obéissance à la loi, dans ces mouvements que les évêques tenaient pour “la prunelle de leurs yeuxet dont ils ne réussissent pas à garder pleinement le contrôle »3692. C’est à ce moment-là que les mouvements montrent qu’ils sont indépendants de la hiérarchie, et qu’ils mettent à profit leurs années de réflexion menées au sein des cercles d’études. Les propos tenus par Bernard Comte peuvent s’adapter au diocèse d’Annecy dans lequel l’évêque attache un intérêt particulier aux mouvements de jeunesse. Le vicaire général Duval travaillant dans le « sens voulu par Mgr Cesbron : développement de la vie spirituelle, des mouvements d’action catholique »3693. L’évêque ne donne d’ailleurs aucune directive aux jeunes quant à l’attitude à adopter face au STO ; il a cependant une attitude « très compréhensive à l’égard des mouvements de jeunesse (JOC en particulier) »3694. Alain-René Michel rappelle que les dirigeants de l’ACJF n’attendent pas la loi du 16 février 1943 pour protester contre la réquisition de la main d’œuvre3695. Une réunion, tenue à Lyon, montre que les dirigeants refusent cette réquisition généralisée3696. C’est ce que rappelle Jacques Duquesne lorsqu’il écrit que l’ACJF décide « de protester contre le STO et déclare, la première, que s’y soumettre n’est pas un devoir de conscience pour les jeunes catholiques »3697. L’association est également encouragée par la déclaration de Radio-Vatican, qui, trois jours après la loi du 16 février, réprouve « les régimes bâtis sur le travail forcé, les déportations collectives ou individuelles, les déportations de peuples »3698. Le 6 mars 1943, le conseil national de l’ACJF proteste contre une « atteinte au droit naturel et au droit international positif »3699, alors que l’ACA demande aux « mouvements d’action catholique d’encadrer les partants », annonçant qu’elle ferait son possible pour « leur assurer le service d’aumôniers »3700. Dans sa déclaration des 6 et 7 avril 1943, elle « proteste, compatit et recommande aux chrétiens contraints au départ de le vivre en esprit de service, de sacrifice rédempteur et d’apostolat »3701. Lors du conseil d’Avignon, Rémy Montagne « réclame une intervention plus forte de l’épiscopat sur le STO », et c’est la première fois que l’ACJF, « sous la plume de son dirigeant, évoque la dissidence en termes non voilés : “Nos meilleurs militants […] délaissent le mouvement, désireux de porter un témoignage plus ferme et plus net, et leur paraissant plus conforme à leur sens de l’honneur national… Ils jugent que notre attitude générale revient à une condamnation implicite de l’effort de résistance aux exigences de l’ennemi” »3702. Les jeunes doivent donc faire face à un dilemme qui, dans les deux cas, mène à la désobéissance. Soit ils désobéissent à l’ACJF, et décident de partir en Allemagne, comme le demande l’épiscopat, soit ils désobéissent à l’épiscopat en refusant de partir, et de ce fait ils sont en accord avec l’ACJF.

Les mouvements réagissent de façon différente. Les étudiants publient une protestation contre le départ3703, alors que les ouvriers rencontrent de plus grandes difficultés, et que, dans un premier temps, les agriculteurs semblent être les moins touchés. Les jécistes ont beaucoup travaillé sur le plan de la résistance spirituelle. André Mandouze, aidé du père de Lubac, rédige une note de protestation contre le STO, et de nombreux membres de l’ACJF côtoient les équipes de Témoignage Chrétien ou des Cahiers de notre jeunesse 3704 . Dans le diocèse, l’action des jécistes est principalement faite par la diffusion de Témoignage Chrétien, et sans doute participent-ils ainsi à la réflexion sur les questions du STO.

En 1943, plusieurs choix s’offrent aux jeunes soumis au STO, et qui refusent le départ : ils peuvent entrer dans la Milice, qui vient d’être créée, et par ce moyen ils restent dans une certaine légalité3705, ils peuvent devenir des réfractaires, en se cachant et en intégrant pour certains des groupes de la Résistance. La seconde solution implique un changement de vie, dans le sens où ils doivent se cacher, devenir des hors-la-loi, avoir une nouvelle identité, ce qui suppose donc de ne plus avoir de cartes de ravitaillement. Le choix doit être mûri, il ne peut être pris à la légère, ni sur le plan spirituel, ni sur le plan matériel. D’ailleurs il importe de s’interroger sur une question à laquelle il est difficile de répondre : comment des jeunes gens qui ont reçu la même formation au sein de l’ACJF, qui ont participé aux mêmes réunions et aux mêmes manifestations, prennent parfois des chemins opposés. Faut-il voir dans ces choix, une influence familiale ou celle d’une camaraderie ? Faut-il voir le fruit d’une histoire personnelle que chacun porte en lui ? Faut-il attribuer ce choix au rôle joué par le prêtre dans la formation des militants ? Certaines zones du diocèse sont plus propices au recrutement de la Milice alors que d’autres sont toutes entières acquises à la Résistance. Faut-il voir, pour ces jeunes, un refus d’entrer dans l’illégalité ou un refus de désobéir ? Faut-il voir une conviction politique, une certaine forme d’opportunisme3706 ? L’ACJF a « sans aucun doute préparé les esprits à l’engagement dans la Résistance, qui est apparu à beaucoup de ses dirigeants et à certains de ses militants comme un prolongement naturel des prises de position et des analyses de l’entre-deux-guerres comme de la guerre »3707. En même temps, elle semblait prémunir ses membres de la Milice.

Notes
3692.

b. comte, L’honneur et la conscience…, op. cit., p. 171.

3693.

 Note du cardinal Léon-Albert Duval adressée à Christian Sorrel en 1987. Document communiqué par Ch. Sorrel.

3694.

Ibid.

3695.

 a.-r. michel, Catholiques en démocratie…, op. cit., p. 305. Il faut voir ici la référence à la réquisition des hommes âgés de quinze à cinquante ans, ainsi que des jeunes femmes célibataires entre vingt-cinq et trente-cinq ans. L’ACA de la zone libre proteste le 5 février contre cette mesure en parlant « d’atteintes au droit naturel familial ».

3696.

a.-r. michel, Catholiques en démocratie…, op. cit., p. 306.

3697.

j. duquesne , Les catholiques…, op. cit., p. 222.

3698.

r. bedarida, Les catholiques dans la guerre de 1939-1945 : entre Vichy et Résistance, Paris, Hachette, 1998, 286 p., p. 188.

3699.

b. comte, L’honneur et la conscience…, op. cit., p. 169.

3700.

Ibid., p. 281.

3701.

Ibid., p. 171.

3702.

a.-r. michel, Catholiques en démocratie…, op. cit., p. 311.

3703.

Sur cette question voir la thèse de Alain-René Michel, La JEC face au nazisme et à Vichy, 1938-1944, PUL, 1988, 311 p.

3704.

Cette publication cesse de paraître en juin 1943 pour réapparaître à la fin de la guerre. Voir a.-r. michel, Catholiques en démocratie…, op. cit., p. 292-295. Il cite le mémoire de maîtrise réalisé par Mathias Delobel, Les cahiers de notre jeunesse, juin 1941-juin 1943, mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Dominique Durand.

3705.

Nous avons retrouvé l’exemple de cinq hommes des classes 1940-1942 qui s’engagent en mai 1943 dans la Franc-Garde volontaire de la Milice. Nous pouvons nous interroger sur les raisons de cet engagement. Il y a par exemple deux frères nés en 1921 et 1922. Entrent-ils dans la Milice pour échapper au STO et rester dans la légalité ou par conviction politique ? ADHS, 23 W 14.

3706.

N’oublions pas que les miliciens reçoivent une solde, ce qui peut être un critère d’entrée dans la formation pour certains. ADHS, 23 W 14.

3707.

a.-r. michel, Catholiques en démocratie…, op. cit., p. 345.