1. Le choix de la Résistance ?

La JOC semble être le mouvement le plus touché par le STO. Gérard Cholvy rappelle que ce mouvement s’est « trouvé comme écartelé, pendant l’occupation entre le STO et la Résistance »3708. En effet, cette question, et la prise de position qui s’ensuit, pose de « véritables drames de conscience dont la solution quelle qu’elle fût, témoignait de la volonté courageuse, voir héroïque, d’une présence active au sein de la jeunesse ouvrière française dans les différentes conditions de vie qui lui étaient faites »3709. Ces dernières pouvaient être de deux types : soit partir pour aider les autres, soit rester en France pour participer à la libération future du territoire national. Le départ pouvait être considéré comme la mise au service de ceux qui n’ont pas pu se détourner du STO afin de les aider à surmonter l’épreuve. Alain-René Michel rappelle que c’est « au nom de cette logique apostolique, de la nécessité pour la JOC d’être “avec” les ouvriers, que l’abbé Guérin émet les plus vives réserves sur le document de protestation »3710 proposé par l’association. Alphonse Métral souligne que la JOC informe ses militants qu’ils doivent « s’attendre à encadrer ces jeunes qui partaient en Allemagne »3711.

Les jeunes des mouvements sont aidés dans leur réflexion par des prêtres, comme l’abbé Folliet, ou par des responsables de l’ACJF. Charles Bosson et le chanoine Clavel organisent une réunion, au cours de laquelle Camille Folliet déclare formellement : « il ne faut pas partir en Allemagne ! Partir c’est trahir ! »3712. Cela rejoint les propos d’André Fumex qui nous déclarait s’être entretenu avec Charles Bosson à propos de la conduite à adopter face au STO3713. Les choix sont difficiles à faire, et il semble que l’abbé Folliet soit souvent le conseiller des jeunes en difficulté. Malgré tout, quelques-uns partent en Allemagne, comme Pierre Gavel, responsable de la JOC, dans le secteur de l’Arve, depuis la défaite. Il est appelé aux chantiers de jeunesse entre juillet 1942 et février 1943. Il s’y heurte à des chefs trop proches des idées de la Révolution Nationale. Rendu à la vie civile pour quelque temps, il rentre à La Roche-sur-Foron d’où il est originaire. Né en 1922, il est donc contraint au STO, toutefois il refuse de partir, et décide de se cacher dans le massif des Bornes. Des représailles pesant sur sa famille, il choisit « avec quelques regrets »3714 de partir en Allemagne. Il s’y rend dans l’esprit d’aider ceux qui n’ont pas pu se soustraire à la loi3715, mais tout en ayant à l’esprit une certaine résistance. Gavel est alors envoyé au camp de Gnydia où il arrive avec son frère, le 25 mars 19433716. Fidèle à ses principes de lutte contre les nazis et de soutien à ses camarades, il sabote des machines, du matériel ferroviaire, ou encore des constructions en ne respectant pas les doses de ciment3717. Par fraudes, il procure de la nourriture à ses camarades. Fidèle à l’esprit de l’ACJF qu’il a découvert à la veille de la guerre, Pierre Gavel organise des « réunions [et…] avec quelques jocistes retrouvés, deux puis douze cercles d’études dans les camps voisins »3718 ; il va même jusqu’à organiser une bibliothèque clandestine. Son attitude n’est pas unique, et d’autres militants catholiques ont ce genre d’activités dans les camps allemands. Ils s’appliquent à vivre quotidiennement leur foi au Christ, et se mettent au service des autres. Gavel, comme d’autres, pense déjà à une forme de résistance. C’est pour cette raison qu’il fait une intervention orale devant près de « deux cents camarades français dans un argot ouvrier, à la barbe du boche, il se moqu[e] du Führer et f[a]it applaudir de Gaulle qui mène le bon combat […]. Mussolini ne fut pas oublié »3719. Il choisit de s’évader et, le 23 octobre 1943, il est de retour à La Roche-sur-Foron. C’est là qu’il choisit de regrouper une trentaine de camarades en vue d’une opposition à Vichy. Gavel est parti en mars, à un moment où les jeunes ne savaient pas encore réellement quelle attitude adopter face au STO, mais tout au long de l’année des réflexions sont menées pour savoir s’il faut partir ou non. Au départ, la question qui préoccupe le plus les jeunes, comme l’encadrement, est bien celle-ci : faut-il partir en Allemagne ? La plupart répondent par la négative, et après avoir fait ce choix, il est nécessaire de s’organiser pour rester en France.

Les réunions organisées par les mouvements ont un rôle à jouer, mais il ne faut cependant pas sous-estimer l’importance de l’abbé Folliet. Alphonse Métral, jociste à la section Notre-Dame d’Annecy avant la guerre, puis permanent jociste à Grenoble, est rapidement alerté par les premiers convois de jeunes ouvriers partant en Allemagne. Il rappelle que les jocistes étaient bien informés des dangers du nazisme grâce aux commentaires qui avaient pu être faits lors des réunions d’études à la suite de la parution de l’encyclique Mit Brennender Sorge. Né en 1922, il est concerné et inquiet de devoir partir. Il rentre à Annecy pour « rencontrer des jocistes et Camille Folliet »3720. Ce dernier a une « influence déterminante sur [sa] décision et celle de tous les autres dirigeants fédéraux de la JOC »3721. Il semble d’ailleurs que dans le cas d’Alphonse Métral, les réseaux d’avant-guerre fonctionnent pour préparer le refus de départ. Alors qu’un de ses camarades a reçu une feuille de départ, Alphonse Métral se rend auprès d’Henri Molinos, président de la JOC à la veille de la guerre, pour lui dire qu’il rejoint ses camarades Paclet et Laydevant, anciens jocistes. Installés à quelques kilomètres d’Annecy, ils sont contactés par l’abbé Folliet, qui leur donne rendez-vous à l’Auberge du Lyonnais. Il est alors décidé d’envoyer Métral et Laydevant en stage au col des Saisies. À leur retour, ils sont accueillis par « l’abbé Cam » qui les met en contact avec une douzaine d’autres ouvriers qui ne sont pas forcément des jocistes. Cependant, Métral et Paclet, tous deux jocistes, sont chargés de s’occuper des jeunes qui arrivent. Le petit groupe est en contact avec Charles Bosson. Ce dernier est toujours président diocésain de l’ACJF, et il sert de responsable civil à ce petit réseau qui emmène les jeunes jusqu’à Manigod, où une école des cadres est créée en vue de préparer les chefs de la Résistance. Charles Bosson est aidé dans sa tâche par Irénée Revillard, membre de la conférence de Saint-Vincent-de-Paul à Annecy, et qui forme le côté plus logistique de la filière3722. Pour être assisté dans sa tâche, il choisit André Fumex, président de la JIC3723. Alphonse Métral rappelle que, devant l’accroissement du nombre de jeunes réfractaires, une filière se met en place grâce à des jocistes non concernés par le STO3724, parmi lesquels Henri Molinos ou encore Placide Lombard. Elle part de Sainte-Foy-lès-Lyon pour arriver à Annecy. Le scout Gavarotti sert de guide pour mener les jeunes d’Annecy à un point de contact pour rejoindre Manigod.

Comme nous pouvons le constater, des membres de l’ACJF, ou de mouvements catholiques plus largement, s’investissent pleinement dans la Résistance. Sans doute l’expérience acquise dans les mouvements n’est pas sans rapport avec cette présence de militants à des points importants de l’organisation résistante. Au sein de l’ACJF, les jeunes ont appris à devenir responsables, à prendre des initiatives, mais également à s’organiser, notamment par le biais des rencontres qu’ils préparaient. Les cercles d’études sont également mis à l’honneur. Dans certains camps, comme à celui de Manigod, les réfractaires réfléchissent à l’après-guerre, et pour nourrir cette réflexion ils font appel à des membres de l’équipe d’Uriage comme Hubert Beuve-Méry3725. Ils se rendent ainsi compte qu’ils devront passer du rôle de spectateur à celui d’acteur. Ils prennent conscience qu’ils doivent participer effectivement à la libération du territoire. Nous ne serons donc pas surpris de constater que plusieurs membres de l’ACJF, ayant refusé de partir en Allemagne, se retrouvent sur le plateau des Glières, sous les ordres d’un ancien scout. Nous ne connaissons pas les proportions exactes de militants catholiques, cependant il se révèle que quelques-uns occupent des postes clés, comme Alphonse Métral qui devient « secrétaire » et qui se charge de la répartition des vivres. André Fumex, quant à lui, s’occupe de la logistique relative à la réception des parachutages, alors que Lucien Cotterlaz-Rannard, ancien président fédéral de la JAC, est chef de section3726. D’autres enfin se retrouvent à la Section d’Eclaireurs Skieurs, véritable centre de liaison entre les différents postes3727. Les jocistes et les jacistes sont les plus nombreux, mais ces deux mouvements sont numériquement les plus importants dans le diocèse3728.

Si des jeunes décident d’entrer dans la clandestinité ou de se cacher pour échapper au STO, il en est d’autres qui choisissent une voie différente, celle de la Milice. Concernant ces derniers, il est peu aisé d’obtenir des renseignements. Toutefois, nous pouvons essayer de trouver des pistes permettant de comprendre pourquoi certains jeunes choisissent la Milice.

Notes
3708.

g. cholvy, Mouvements de jeunesse…, op. cit., p. 102.

3709.

Ibid.

3710.

a.-r. michel, Catholiques en démocratie…, op. cit., p. 307.

3711.

Entretien avec Alphonse Métral.

3712.

h. vulliez, Camille Folliet…, op. cit., p. 59. C’est ici l’une des rares mentions que nous ayons du chanoine Clavel pendant la guerre.

3713.

 Entretien avec André Fumex. Né en 1923, il n’est pas directement concerné par la question, mais il est président diocésain de la JIC.

3714.

Le Clocher Savoyard, 14 juillet 1945.

3715.

Il part dans l’esprit d’un Marcel Callo pour qui le départ en Allemagne est comme missionnaire.

3716.

Le Courrier Savoyard, 14 juillet 1945.

3717.

Ibid.

3718.

Le Courrier Savoyard, 14 juillet 1945.

3719.

Ibid.

3720.

h. vulliez , Camille Folliet…, op. cit., p. 60.

3721.

Ibid.

3722.

Entretien avec Alphonse Métral.

3723.

Entretien avec André Fumex

3724.

Entretien avec Alphonse Métral.

3725.

Entretien avec Alphonse Métral.

3726.

Pierre Gavel, que nous avons présenté précédemment se trouve dans cette section, dénomée Savoie-Lorraine. Cette dernière participe à toutes les opérations délicates menées par ceux des Glières.

3727.

Olivier Fournier-Bidoz, Fernand Tardy, Jean Dujourd’hui.

3728.

Il y a probablement d’autres militants catholiques venant d’autres diocèses. Il serait intéressant de faire une étude pour connaître le nombre exact de ces jeunes qui ont milité dans des mouvements catholiques à la veille de la guerre, et de savoir quelle importance a eu pour eux ce passage à l’école de l’ACJF.