a. La piété

À l’occasion du dimanche de la Passion 1942, les « mouvements catholiques paysans » demandent que tous les ruraux se réunissent « dans une même prière ». en effet, il souhaitent que, ce jour-là, tous les paysans du diocèse « oublient […] ce qui les divisent et s’unissent pour faire monter vers le ciel la grande prière de leur travail, de leurs souffrances, de leurs soucis et de leurs espoirs »3820. Un texte est même spécialement édité pour cette journée de prières intenses. Tiré à environ quatre mille cinq cents exemplaires, il est distribué dans plus de cent cinquante paroisses, soit à peine la moitié du diocèse3821.

Avec l’installation de la guerre dans une certaine durée, les pèlerinages de la LFACF, en l’honneur de saint François de Sales, se multiplient. Les ligueuses sont toujours plus nombreuses à se rendre aux Allinges, au début du mois de septembre, afin d’honorer saint François de Sales. Devant les difficultés croissantes liées à la guerre, elles décident d’organiser un certain nombre de pèlerinages supplémentaires pour l’obtention de réparations. Le 3 juillet 1943, à l’occasion d’un pèleringage, la LFACF lance un appel, et souhaite qu’il prenne un « caractère de pénitence et de sacrifices »3822, et qu’il soit suivi par le maximum de personnes. Mgr Cesbron, exprimant son accord, en reconnaît d’ailleurs la nécessité, déclarant que « tout le diocèse, pendant les mêmes journées, priera la Très Sainte Vierge Marie aux mêmes intentions : juste réparation pour [les] fautes, paix et charité fraternelle, fidélité chrétienne »3823. Nous retrouvons ici l’idée exprimée au lendemain de la défaite visant à expliquer la situation par le triptyque « péché, châtiment et rachat ». La LFACF n’est sans doute pas étrangère à ce renouveau de l’élan marial, même si ce dernier apparaît aussi au niveau national avec le parcours de la statue de Notre-Dame de Boulogne à travers le pays3824. Par cet élan marial, la Ligue souhaite rassembler le plus grand nombre de chrétiens en ces « heures douloureuses »3825. Les lieux de prières sont multipliés, et les « anciens sanctuaires locaux dédiés à la Vierge retrouveront […] l’entrain joyeux et fervent de leur jeunesse »3826. La possibilité de création de nouveaux sanctuaires est même envisagée, et ce pour prouver que « la piété mariale [d’alors], en […] Savoie, est digne des anciens jours »3827. Cette journée du 3 juillet 1943, placée sous le signe de la « réparation pour la France »3828, remporte un vif succès notamment à la Visitation, où l’allocution du père Monier est suivie par une foule importante.

Les prisonniers de guerre sont présents de façon constante dans les intentions de prières des différents mouvements d’action catholique. Lors de sa réunion, tenue le 17 décembre 1943, le bureau diocésain des œuvres reçoit, de la part de l’évêque, des « consignes générales d’action catholique »3829. Mgr Cesbron s’adressant aux président(e)s des groupements diocésains de l’UDH, de l’ACJF et de l’ACJFF et des mouvements d’adultes, leur demande que tous « les membres de l’action catholique et toutes les personnes de bonne volonté » offrent « à Dieu la journée du vendredi de chaque semaine pour [les] absents et leurs foyers » 3830 . Cette mesure semble être en vigueur depuis plusieurs mois au sein de la JOC3831. Nous savons également que la LFACF, héritière de la Ligue des femmes françaises, organise des messes tous les vendredis depuis longtemps. Cependant, les ligueuses se mobilisent davantage pour les prisonniers puisqu’elles font célébrer des messes spécialement à leur intention. En 1944, ce sont deux cent quatre-vingt-six messes qui sont célébrées pour les prisonniers3832, soit quatre-vingts de plus qu’en 19433833. En 1942, le diocèse adopte le stalag II D, et ce sont une douzaine de messes qui sont célébrées uniquement pour les prisonniers de ce stalag, avec une moyenne d’une messe par mois3834. À partir du 10 mai 1945, la Revue du Diocèse d’Annecy communique que les messes « seront désormais célébrées en action de grâces pour le retour des prisonniers et déportés, pour la protection de ceux qui ne sont pas encore rapatriés et pour le repos de l’âme de ceux qui sont morts dans les camps »3835. D’après le relevé effectué dans la Revue du Diocèse d’Annecy il ressort que les messes ont été célébrées jusqu’en novembre 19453836.

Le 11 mai 1944, les diocésains, encore sous le choc des luttes fratricides, sont invités à participer massivement à un « pèlerinage familial »3837 où les intentions de prières sont données pour « le retour des absents, la réunion des foyers séparés, la croissance de la vie chrétienne des familles, l’union des Français, la paix du monde, le Souverain-Pontife, sa vie et ses intentions »3838. Si l’évocation des absents fait référence aux prisonniers, et sans doute également aux déportés, il n’en reste pas moins que l’allusion à l’union des Français ne manque pas de rappeler que des luttes intestines opposent les Français. Le diocèse est particulièrement touché par ces luttes qui divisent partisans de la résistance et partisans de la Milice. La volonté de l’accroissement des familles renvoie aux desseins de la LFACF, organisatrice du pèlerinage. Ce pèlerinage du 11 mai est également l’occasion pour certaines paroisses de poser la « première pierre » d’un oratoire consacré à Marie3839. Les fidèles répondent nombreux à l’appel de Mgr Cesbron « “à la levée en masse pour la supplication à Notre-Dame”, prélude au renouvellement, le jour de l’Assomption, de la consécration du diocèse à la Vierge, célébrée en 1927 »3840.

D’après le rapport de l’activité du diocèse établit en 1945, il ressort que les journées des 3 juillet 1943 et 11 mai 1944 ont été particulièrement importantes. La seconde semble même avoir été plus éclatante que la première, sans doute les événements du printemps ne sont pas étrangers à la forte fréquentation du pèlerinage du 11 mai3841. Le rapport précise qu’à « chaque fois des foules de pèlerins se sont groupées dans les cinquante principaux sanctuaires mariaux du diocèse, [et que] la presque totalité des paroisses y ont participé (trois cents sur trois cent huit) »3842. Faut-il voir dans cette participation un des effets du travail mené par les mouvements d’action catholique pour refaire chrétienne la société ? Ou est-ce plutôt l’expression du rachat de la société qui est la vraie motivation d’une telle participation ? Le chanoine Berthoud nous rappelait que « toutes les périodes de misère et de malheurs amènent à des introspections chez les individus et dans ces cas, ils se raccrochent à une vie spirituelle »3843. Les nombreuses manifestations mariales ne seraient-elles pas l’expression de cette vie spirituelle qui devient plus intense avec les épreuves de la guerre ? Il ne faut pas oublier non plus que le diocèse connaît une vie religieuse assez dynamique, et même en temps de paix, les pèlerinages restent des manifestations qui sont relativement bien suivies.

Les mouvements d’action catholique appellent leurs membres à participer financièrement à la fin de la construction de la basilique de la Visitation dont les travaux avaient débuté avant la Première Guerre mondiale. C’est par un appel lu en chaire que les « dirigeants diocésains de l’action catholique » invitent tous les catholiques du diocèse à « se tourner vers les saints protecteurs de la Savoie, en particulier vers saint François de Sales, dans un geste unanime de foi, de confiance et de supplication »3844. Les signataires3845 demandent aux saints d’intervenir pour que leur pays et leurs familles « soient préservées des maux qui les menacent et qu’[ils] retrouvent par un retour sincère au Christ, la paix que Dieu peut donner »3846. Pour concrétiser ces projets, les dirigeants demandent aux diocésains de « faire un effort pour hâter l’achèvement de la basilique qui attend depuis vingt ans »3847. Mgr Cesbron ne manque pas d’approuver cette « courageuse initiative »3848. Nous savons que la Légion avait offert un vitrail en 1943, les mouvements d’action catholique veulent-ils montrer qu’ils sont également capables de participer à l’embellissement de la basilique ?

Les mouvements d’action catholique multiplient les actes montrant leur piété et les militants n’hésitent pas non plus à accroître les initiatives destinées à soulager les plus malheureux ou les plus démunis. Les mouvements mettent en application la devise épiscopale de Mgr Cesbron qui est Luce Maria, labor et caritas 3849.

Notes
3820.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 12, 19 mars 1942, p. 182.

3821.

Ibid.

3822.

Ibid., n° 18, 13 mai 1943, p. 276-277.

3823.

Ibid., p. 274.

3824.

Sur cette question voir les articles de Louis Pérouas, « Le Grand Retour de Notre-Dame de Boulogne à travers la France (1943-1948). Essai d’interprétation », Archives des sciences sociales des religions, 1983, vol. 56, n° 1, p. 37-57. Louis Pérouas « Le grand retour de Notre-Dame de Boulogne à travers la France (1943-1948). Essai de reconstitution », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 90, 1983, p. 171-183.

3825.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 18, 13 mai 1943, p. 276.

3826.

Ibid. p. 277.

3827.

Ibid.

3828.

Ibid., nos 31-32, 9-16 septembre 1943, p. 461.

3829.

Ibid., n° 46, 23 décembre 1943, p. 669.

3830.

Ibid.

3831.

Ibid.

3832.

D’après le dépouillement de la Revue du Diocèse d’Annecy de l’année 1944.

3833.

D’après le dépouillement de la Revue du Diocèse d’Annecy de l’année 1943. Nous n’avons pas comptabilisé les messes célébrées pour les prisonniers du stalag II D, « adopté » par le diocèse.

3834.

D’après le dépouillement de la Revue du Diocèse d’Annecy de l’année 1943.

3835.

Revue du Diocèse d’Annecy, nos 19-20-21, 10-17-24 mai 1945, p. 207.

3836.

Le numéro 46 du 15 novembre 1945 est le dernier a mentionné ces offices pour les prisonniers et déportés.

3837.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 16, 20 avril 1944, p. 245.

3838.

Ibid.

3839.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 17, 27 avril 1944, p. 261-262. « Certaines paroisses qui ne possèdent pas encore à ce jour d’oratoire dédié à Marie en ont décidé l’érection et poseront, le 11 mai, la première pierre de l’édifice ».

3840.

 c. sorrel, « Les sanctuaires contemporains entre ancrage régional et enjeux nationaux. Les mutations du pèlerinage dans les diocèses de Savoie », Mélanges de l’Ecole Française de Rome. Italie et Méditerranée, t. 117, vol. 2, 2005, p. 588.

3841.

La Revue du Diocèse d’Annecy estime la participation à près de quatre mille personnes. Revue du Diocèse d’Annecy, n° 20, 18 mai 1944, p. 314.

3842.

ADA. Boîte guerre 1939-1945. Rapport sur l’activité du diocèse…, p. 6.

3843.

Entretien avec le chanoine Berthoud.

3844.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 25, 22 juin 1944, p. 387.

3845.

 Il s’agit de Pierre Calliès, président de l’UDH, de madame Béraud, présidente de la LFACF, de mademoiselle Tissot, présidente de la Jeunesse Féminine et de Charles Bosson, président de l’ACJF.

3846.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 25, 22 juin 1944, p. 387.

3847.

Ibid.

3848.

Ibid.

3849.

Sous la lumière de Marie, travail et charité.