Afin de réagir rapidement à la situation de détresse dans laquelle se trouvent nombre de personnes, les jocistes mettent en place un « centre national jociste de chômage »3850. Ce dernier est lancé, en octobre 1940, « sur la demande et avec l’aide du Secrétariat général à la jeunesse »3851. Il permet l’ouverture de chantiers pour tous les jeunes qui sont sans travail. Dès 1941, plusieurs chantiers ouvrent leurs portes dans le diocèse. Deux sont à Annecy et trois se répartissent entre Annemasse, Thonon-les-Bains et Cluses alors qu’un chantier rural ouvre à Cranves-Sales3852. L’ensemble de ces unités permettent de donner du travail à cent soixante jeunes. En 1942, sur l’ensemble de la zone sud, ce sont cinquante-sept3853 chantiers qui donnent un travail ou une formation à plus de deux mille jeunes âgés de quatorze à dix-sept ans.
Les paysans se mobilisent pour améliorer le quotidien des citadins contraints à des restrictions, malgré les tickets de ravitaillement. Certains ruraux trouvent dans cette situation un moyen de prendre une revanche sur les vexations dont ils ont pu être l’objet à la veille de la guerre. En 1942, dans les appels qu’il adresse à ses diocésains, Mgr Cesbron ne manque de rappeler qu’ils ne doivent pas « écouter la voix d’une rancune méchante, qui sent avec une joie malsaine, arriver le moment où [ils pourront] enfin se venger des railleries d’autrefois »3854. L’évêque demande à ses diocésains, dont la plupart vivent de l’agriculture, de calculer au plus près leurs besoins afin de pouvoir donner leur surplus aux citadins. Terminant son communiqué, il déclare : « ne refusez pas votre blé »3855. Son invitation est renouvelée, en février 1943, lorsqu’il demande à ses diocésains de se souvenir de l’Évangile et du Notre-Père. Sans doute répondent-ils aux appels, mais nous ne sommes pas en mesure de savoir dans quelle mesure ils le font. Cependant, nous savons que les mouvements de jeunesse se mobilisent pour venir en aide aux citadins du diocèse et de la région lyonnaise.
En avril 1942, les jeunes militants justifient leur engagement en faveur des personnes dans le besoin, en rappelant que le « problème du ravitaillement est un problème d’action catholique, dans la mesure où il est une question de justice et de charité, d’inter-compréhension et de collaboration »3856. Ils soulignent également que ce sont pour ces raisons qu’ils s’en occupent malgré leur « jeunesse et [leurs] incompétences techniques »3857. Il y a bien ici l’application des principes de charité et de justice. Charité envers les plus pauvres et les plus démunis, et justice entre les différentes classes sociales, puisque les citadins peuvent bénéficier d’un peu plus de nourriture que ce à quoi ils ont le droit avec les tickets de rationnement. Cette collaboration entre les différents milieux n’est-elle pas l’une des applications des principes de l’ACJF ? La responsabilisation des jeunes n’est pas non plus sans rappeler la volonté du chanoine Clavel qui souhaitait que les jeunes prennent part à différentes activités pour devenir responsables et aptes à participer à la vie publique.
En octobre 1942, Mgr Cesbron s’adresse aux jacistes pour les féliciter de l’initiative qu’ils prennent pour venir en aide aux plus démunis3858. Il les félicite d’entreprendre « une grande et belle œuvre de charité » car, après « avoir ramassé des légumes pour les pauvres », ils commencent « les colis pour les familles pauvres ou malheureuses »3859. Le prélat se réjouit de constater que la « sainte Religion n’est pas seulement sur [leurs] lèvres en quelques paroles de prière rapide, matin et soir ; elle est encore dans [leur] décision, dans [leur] travail, dans [leur] vie de cultivateurs » et c’est également pour cette raison qu’il rappelle que la « sainte Église [les] reconnaît comme ses vrais enfants »3860. Lors de la première campagne de ramassage des légumes, en 1942-1943, cinquante-deux sections jacistes réussissent à collecter soixante dix-huit tonnes de légumes, alors que l’année suivante elles réunissent quatre-vingt-quatre tonnes neuf cent sept kilogrammes. Enfin pour la campagne 1944-1945, la baisse du tonnage est significative, puisque la JAC ne réussit à réunir que quarante tonnes de légumes. Il est paradoxal de constater que la campagne 1943-1944 est la plus fructueuse en ce qui concerne le ramassage des légumes, alors qu’en même temps c’est la campagne qui rapporte le moins en ce qui concerne les colis familiaux. À l’hiver 1944-1945, la collecte de légumes prend le nom de « ramassage des légumes pour l’entr’aide ouvrière »3861.
C’est par une collaboration étroite entre les jacistes et les jocistes que des colis peuvent être distribués dans plusieurs familles. Les premiers sont informés par les seconds des besoins des citadins. Ils réussissent, en se mobilisant et en intervenant auprès des voisins et amis, à confectionner des colis qui prennent le nom de colis familiaux dont le poids est d’environ quinze kilogrammes. Cette campagne, qui se tient de décembre à mai, prend le nom de campagne de fraternité3862. Une bonne organisation permet à chacun de savoir ce qu’il doit faire, des délégués cantonaux sont d’ailleurs nommés pour diriger les délégués communaux. Chaque délégué gère le ramassage, principalement des légumes, puis doit s’assurer « du nombre de colis que les familles de chaque commune pourront envoyer pendant toute la campagne »3863. Ils doivent également vérifier que les marchandises fournies soient semblables d’un canton à un autre afin de ne pas défavoriser des personnes. La JOC, connaissant les problèmes de nutrition dans les milieux ouvriers, se préoccupe également de la santé des ouvrières. C’est pour cette raison qu’elle leur fournit des suppléments destinés à leur permettre d’avoir une vie plus saine et ainsi un travail plus efficace. Des familles de la LOC profitent des légumes qui sont également collectés par les prêtres du diocèse. Tel est le cas de la famille de Marie-Jeanne Izopet, dont les parents sont militants à la LOC3864.
En novembre 1942, ce sont deux mille cinq cents colis familiaux qui ont été envoyés à des « familles urbaines dans la nécessité »3865. La répartition se faisant ainsi 80 % sont adressés à des familles lyonnaises de la rive gauche, alors que les 20 % restant sont destinés à des familles du diocèse3866. Le choix des destinataires est fait par la LOC, en collaboration avec le Secours National3867. Le chanoine Duval, vicaire général et directeur des œuvres, rappelle que des familles de la cité épiscopale ont bénéficié d’un « important envoi de colis »3868. Le chanoine Duval souligne l’importance qu’il faut donner à cette campagne de fraternité en rappelant que la campagne d’année porte sur « le sens de la communauté (famille, village, province, paroisse, patrie) »3869. Ce sont près de cent paroisses qui participent à la première campagne de fraternité des colis familiaux3870, ce qui représente environ une collecte de cent tonnes de vivres. La campagne 1943-1944 permet de recueillir soixante-dix tonnes de nourriture3871. Cette baisse peut s’expliquer par le fait que les paysans participent déjà au ravitaillement des différents camps de réfractaires ou de maquisards qui se retrouvent nombreux à l’hiver 1943-1944. À cela s’ajoute également les réquisitions opérées par les troupes d’occupation allemandes.
Un certain nombre de sanatoria sont installés dans le diocèse, principalement dans la zone proche de Saint-Gervais-les-Bains et de Passy. De nombreuses jeunes ouvrières et ouvriers d’autres diocèses y sont soignés. Les jocistes du diocèse décident de les parrainer afin qu’ils puissent avoir un séjour moins pénible. C’est dans ce dessein que des colis sont préparés puis distribués aux malades. Pour le sanatorium de Praz-Coutant, ce sont deux cent quatre-vingt-cinq colis qui sont donnés en 1942-1943. La campagne suivante permet la confection de deux cent cinquante-huit colis alors que celle de 1944-1945 n’en donne que cent dix. Près de cent vingt malades sont parrainés dans le diocèse3872, soit environ 4,8 % des malades parrainés par la JOC dans la zone sud3873. Les jacistes n’oublient pas non plus les malades. En trois années, ils envoient près de cinq cents colis ainsi que des lettres. En novembre 1944, près de deux cents tuberculeux sont pris en charge par près de cent vingt sections de la JAC3874. Force est de constater que la campagne 1944-1945 se révèle moins fructueuse que les autres pour le ramassage des légumes et les colis pour les sanatoria. Faut-il voir dans cette diminution un des effets de la Libération ou plutôt les conséquences d’un été plus chaud, et qui aurait donné peu de légumes ?
Les mouvements d’action catholique se mobilisent également pour venir en aide aux personnes victimes des bombardements. En novembre 1943, la ville d’Annecy en est victime et plusieurs décès sont à déplorer. À cette occasion, Mgr Cesbron prescrit une quête au profit des sinistrés ce qui permet de récolter pas moins de 615 713 francs3875. L’année suivante, Modane, et sa région, sont victimes d’un bombardement. Pour venir en aide aux sinistrés, l’évêque, conjointement à la LFACF, lance un appel à la charité. Des paroisses mauriennaises sont parrainées par certaines du diocèse d’Annecy, comme Morzine qui parraine Saint-Michel-de-Maurienne3876. Les colis sont confectionnés grâce à des dons, et le parrainage permet une meilleure organisation pour leur acheminement. Ces derniers se composent principalement de linge de maison, de matériel de cuisine et de ménage ainsi que de ravitaillement. Au 30 juin 1945, ce sont vingt-sept camions de « dons en nature » et près de trois cent mille francs qui ont été envoyés par la Ligue aux sinistrés3877. Les jocistes ne restent pas en dehors de cet élan charitable. La section de Cluses collecte mille pièces d’habillement, autant de vaisselle, sept cents kilogrammes de pommes de terre et trente-neuf mille francs3878.
Ces différentes actions charitables en faveur des plus défavorisés ne sont pas les seules à être menées par les mouvements d’action catholique. La LFACF se préoccupe également du placement et de l’aide à apporter aux enfants des villes.
Le Clocher Savoyard, mars-avril-mai 1941.
ADA. Boîte JOC/F.
Le Clocher Savoyard, mars-avril-mai 1941.
La répartition se fait ainsi : vingt-neuf chantiers sont destinés aux hommes et vingt-huit pour les branches féminines.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 14, 2 avril 1942, p. 220.
Ibid.
Ibid., p. 223.
Ibid.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 46, 10 décembre 1942, p. 715. Le texte s’intitule « Travail et charité des jacistes ».
Ibid.
Ibid.
ADA. Boîte guerre 1939-1945. Rapport sur l’activité…, op. cit., p. 4.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 43, 19 novembre 1942, p. 663.
Ibid.
Entretien avec Marie-Jeanne Izopet, 27 janvier 2004. Elle garde le souvenir de sa « jeune mère allant chercher les légumes collectés par des prêtres et destinés aux citadins de la région d’Annemasse ».
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 43, 19 novembre 1942, p. 669.
Ibid., n° 3, 28 janvier 1943, p. 39.
Ibid., n° 43, 19 novembre 1942, p. 669.
Ibid.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 43, 19 novembre 1942, p. 669.
Ibid., n° 3, 28 janvier 1943, p. 39.
ADA. Boîte guerre 1939-1945. Rapport sur l’activité du diocèse…, op. cit., p.4.
Ils se répartissent principalement entre les sanatoria de Sancellemoz et Praz-Coutant.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 29-30, 26 août-2 septembre 1943, p. 452-453. Le nombre de malade parrainés est estimé à deux mille cinq cents.
Le Courrier Savoyard, 4 novembre 1944. Il est d’ailleurs surprenant de constater que ces colis et lettres adressés par la JAC ne soient pas évoqués dans le rapport de l’activité du diocèse entre 1939 et 1945.
ADA. Boîte guerre 1939-1945. Rapport sur l’activité du diocèse…, op. cit., p. 3.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 13, 29 mars 1945, p. 156.
ADA. Boîte guerre 1939-1945. Rapport sur l’activité du diocèse…, op. cit., p. 3.
Ibid.