C. Les prisonniers de guerre

Le clergé, comme les mouvements d’action catholique, s’intéresse au sort des prisonniers de guerre. S’il est plutôt peu aisé de connaître le nombre de prisonniers parmi les militants d’action catholique, nous savons que le clergé en compte vingt-cinq. Une aide spirituelle et matérielle est donnée, à la fois aux prisonniers, et à leurs familles. Malgré la compassion d’un grand nombre de diocésains, certains ont des propos peu flatteurs pour les prisonniers qu’ils tiennent pour responsables de la défaite. En décembre 1941, la Revue du Diocèse d’Annecy publie un article pour condamner la « rumeur infâme » qui circule à propos de ces soldats. Cette dernière laisse penser que les prisonniers sont « ceux qui n’ont pas su se débrouiller »3906. Faut-il voir dans ces propos l’idée selon laquelle un certain nombre de soldats faits prisonniers ont réussi à s’évader dès les premières heures ? Ou faut-il voir une allusion aux problèmes de commandement3907 ? Pour une part de la population française, les prisonniers sont la honte de l’armée française, et sont tenus pour responsables de la défaite et d’une certaine façon de l’occupation. Quoiqu’il en soit, des Catholiques voient dans le sort des prisonniers une façon d’expier les fautes d’avant-guerre.

Afin de réfuter cette rumeur, la Revue du Diocèse d’Annecy évoque au contraire des hommes qui ne sont pas lâches et qui n’ont pas reculé devant les colonnes de blindés ; l’auteur estime que ce sont les meilleurs des soldats puisqu’ils n’ont pas déserté ou fuis3908. Pour de nombreux diocésains, ces soldats français paient pour l’ensemble de la population. Ils le font par l’éloignement de leurs foyers, par la faim, la soif, et leur logement qui est souvent peu confortable. Le régime de Vichy apporte un soutien particulier à ses soldats captifs, compatissant ainsi à leur sort douloureux. L’interdiction des bals n’est sans doute pas sans faire référence à cette situation. En effet, pourquoi des Français s’amuseraient-ils alors que plus d’un million cinq cent mille de leurs compatriotes sont outre-Rhin. Dès juillet 1940, le chanoine Pasquier exprimait cette idée à ses élèves, lorsqu’il évoquait le « sacrifice des distractions que ne peut plus permettre un budget familial lourdement grevé par l’enchérissement de la vie, ou qui s’accorderaient mal avec la douleur silencieuse de ceux qui vous entourent »3909.

Assez rapidement des actions sont menées pour venir en aide à ces Français, soit par l’envoi de colis, soit par l’aide apportée aux familles sous la forme de main d’œuvre. L’initiative de l’envoi des colis revient, soit à la LFACF, soit au desservant de la paroisse. Les mouvements d’action catholique participent également à ces actions, cependant nous ne sommes pas en mesure de savoir qui en bénéficie. S’agit-il uniquement de militants ou les colis sont-ils distribués aux diocésains présents dans les stalags ou les oflags ?

Des prêtres se mobilisent pour la confection de colis. Tel est le cas de l’abbé Mollard, curé de Sciez, qui est placé à la tête du comité de soutien aux prisonniers de sa paroisse. Mobilisant les bonnes volontés de la paroisse, il réussit à réaliser près d’un millier de colis pour les prisonniers3910. La LFACF joue également un rôle important pour la confection des colis en fournissant les emballages. Les ligueuses les réalisent avec les produits apportés par les familles et en complétant au besoin par des dons offerts par des bénévoles3911. Les ligueuses, qui s’étaient mobilisées à l’hiver 1939-1940 pour confectionner des vêtements pour les soldats, reprennent leurs activités pour les prisonniers. Comme elle avait donné la priorité aux épouses de militaires pour tricoter, la Ligue donne du travail aux épouses de prisonniers. Ces activités se poursuivent jusqu’en novembre 1944, date à laquelle l’Entraide française ne fournit plus de laine, ce qui contraint les ouvroirs à cesser leurs activités3912. Toutefois, en janvier 1945, des précisions sont données pour rappeler que « par tous les moyens la Ligue cherche à venir en aide aux femmes atteintes dans leurs ressources par les difficultés de la guerre »3913. À cette même date, les ligueuses lancent un appel pour les « soldats du front [qui] ont besoin de lainages, de vivres et de vêtements », car beaucoup « manquent du nécessaire et ne peuvent recevoir aucune aide familiale »3914. Le 7 janvier 1945, une grande collecte est organisée pour les soldats, et les présidentes paroissiales de la LFACF sont invitées à largement y faire participer leurs adhérentes.

Les mouvements d’action catholique n’oublient pas de venir en aide aux familles de ceux qui se retrouvent dans les camps. Cela est particulièrement vrai pour les jacistes qui se mobilisent afin de soulager les familles de prisonniers. Le conseil fédéral de la JAC, tenu le 23 février 1941, à La Roche-sur-Foron, rappelle que des équipes d’entr’aide « au service de toutes les familles, où les femmes et les enfants se tuent au labeur pour le Pays et les chers exilés »3915. Au printemps 1941, Le Clocher Savoyard ne manque pas de souligner qu’une section jaciste n’a pas hésité à se répartir « soixante-dix journées de travaux de printemps, en faveur de vingt-trois familles de prisonniers de guerre »3916. Chaque famille bénéficie de la présence jaciste pendant trois journées. La section de Châtillon-sur-Cluses choisit de « faire œuvre d’apôtre » en déclarant que ses membres « viendraient en aide » aux familles de prisonniers « en s’y rendant pour une journée de travail »3917.

Les sections jacistes organisent des représentations théâtrales ou des quêtes directement destinées aux prisonniers. En 1941, il est estimé qu’une séance peut rapporter jusqu’à deux cents francs par prisonnier3918. En 1941, la section jaciste de Chens-sur-Léman organise une quête qui produit quatre cent trente francs3919, alors qu’en janvier 1942, ils présentent une séance récréative au profit des prisonniers. Ces initiatives perdurent jusqu’en 1945. À cette date, la section JAC de Ballaison récolte, grâce à des séances récréatives, sept mille francs, alors que la JACF obtient douze mille six cent cinquante francs3920. Ces sommes sont versées sur le « livret d’épargne du prisonnier »3921. En 1945, à l’occasion du temps pascal, Mgr Cesbron n’oublie pas de mentionner que les mouvements d’action catholique n’ont « ménagé ni leurs prières ni leur dévouement charitable »3922 pour les prisonniers. L’évêque les remercie, et les félicite, pour ces nombreuses initiatives qui ont permis d’adoucir le sort de ses Français outre-Rhin. Nous avons précédemment évoqué le rôle joué par les jacistes, mais il ne faut pas non oublier que les jécistes et les jicistes se mobilisent pour l’organisation de la journée du prisonnier. D’ailleurs pour symboliser cet engagement, une paire de skis, offerte par un anonyme suisse, est remise à l’ACJF parce qu’elle s’est révélée être le mouvement s’étant le plus dévoué pour les prisonniers3923.

Intéressons nous à présent à l’aspect plus religieux de l’aide apportée aux prisonniers. Nous avons constaté précédemment que des messes étaient célébrées à leurs intentions, particulièrement par la LFACF. Des journées sont spécialement destinées à la prière pour ces Français, tel est le cas du 26 avril 1942. Cette journée est considérée comme leur journée, alors que Mgr Cesbron prescrit quelques jours plutôt une neuvaine à l’intention des prisonniers. Le 28 juin 1942, le diocèse adopte le stalag II D. Situé en Poméranie, il compte vingt-et-un mille prisonniers, répartis en mille deux cents commandos de travail. À l’occasion de cette adoption, une messe est célébrée dans toutes les paroisses du diocèse à l’intention de ce stalag, et une allocution est prononcée pour tous les prisonniers. L’évêque assiste à la messe célébrée à la cathédrale3924. Cette adoption consiste à l’envoi de colis, mais également à l’organisation de quêtes. L’abbé Delasalle, aumônier du camp, sert de lien entre les prisonniers er le diocèse. Les quêtes rapportent des sommes non négligeables, comme celle organisée, à Saint-Julien-en-Genevois, qui permet de recueillir deux mille six cents francs3925. Au cours des années 1943 et 1944, les trois quêtes « chaudement recommandées par l’évêque »3926 rapportent respectivement trois cent cinquante-trois mille cinq cent vingt-et-un francs et cinq cent quatre vingt mille trois cent soixante-douze francs3927.

Les diocésains manifestent leur dynamisme en venant en aide au plus démunis. Les mouvements d’action catholique jouent un rôle particulièrement important dans ce maintien de dynamisme. Nous pouvons nous demander si cela ne provient pas du climat de l’entre-deux-guerres, qui, comme nous l’avons montré précédemment, a été particulièrement favorable à l’éclosion des mouvements. Le chanoine Clavel ne cessait-il pas de prêcher la charité3928 ? Mais si les militants, comme les Catholiques plus largement, acceptent de s’entraider au nom d’une solidarité ou d’une charité chrétienne, il n’en reste pas moins que les opinions divergent largement quant à l’attitude à adopter face au régime de Vichy. L’hiver 1943-1944 ouvre une période de quasi guerre civile dans le département de la Haute-Savoie, qui à partir de la fin janvier est mis sous les projecteurs de Vichy en même temps que Londres loue les exploits des résistants du plateau des Glières.

Notes
3906.

Ibid., n° 49, 11 décembre 1941, p. 925.

3907.

Marc Bloch dans L’étrange défaite mentionne les problèmes relatifs au commandement ou à l’organisation.

3908.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 49, 11 décembre 1941, p. 925.

3909.

Lettre aux élèves du collège de Thônes par le chanoine Pasquier, 4 juillet 1940. Document communiqué par M. J. Golliet.

3910.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 35, 29 août 1946, p. 501.

3911.

Ibid., n° 9, 1er mars 1945, p. 127.

3912.

ADA. Boîte guerre 1939-1945. Rapport sur l’activité du diocèse.

3913.

RDA, n° 1, 4 janvier 1945, p. 6.

3914.

Ibid.

3915.

Ibid., n° 11, 13 mars 1941, p. 145.

3916.

Le Clocher Savoyard, mars-avril-mai 1941.

3917.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 11, 13 mars 1941, p. 145.

3918.

Ibid.

3919.

Bulletin paroissial de Chens-sur-Léman, octobre-novembre 1941.

3920.

Bulletin paroissial de Ballaison, mai 1945.

3921.

Ibid.

3922.

Revue du Diocèse d’Annecy, nos 5-6, 1-8 août 1945, p. 289.

3923.

Le Clocher Savoyard, mars-avril-mai 1941.

3924.

Le cultivateur savoyard, 25 juin 1942.

3925.

Ibid., 9 juillet 1942.

3926.

ADA. Boîte guerre 1939-1945. Rapport sur l’activité du diocèse…, op. cit., p. 1.

3927.

Ibid.

3928.

Entretien avec M.-L. Lefebvre-Beetschen.