a. Le rôle des prêtres dans la Libération

Les communes chablaisiennes sont parmi les premières à être libérées, autour du 15 août 1944. L’archiprêtre de Thonon-les-Bains, le chanoine Bublens, prend une grande part à la reddition de la garnison allemande de Thonon. C’est le 16 août qu’ont lieu les combats pour la libération de la ville. Rappelons que peu de temps avant a eu lieu le désastre de Saint-Gingolph, où l’abbé Rossillon a été abattu parce que considéré comme un notable. Cette affaire dessert la résistance, puisque les exécutions sont liées à une imprudence de sa part. Une situation semblable aurait pu avoir lieu à Thonon-les-Bains, où les combats débutent au port de Rives, le 16 août. La résistance, principalement FTP, n’est pas suffisamment armée, mais décide, malgré tout, d’attaquer la Kommandantur sise à Rives, en contrebas de la ville. Les occupants ripostent, un certain nombre de personnes sont tuées, dont Raymond Gros, servant de la basilique. C’est à ce moment que le chanoine Bublens se rend auprès de la résistance afin de demander ce qu’ils promettent aux Allemands s’ils sont faits prisonniers. Il quitte le château de Sonnaz pour se rendre à pied vers le port de Rives. Alors que les combats se poursuivent, il a la chance de ne pas être touché par une balle. Peut-être le port de la soutane, et son attitude pacifique (les mains sur la tête) lui sont favorables. À son arrivée, il déclare aux Allemands que la Libération est proche, la fin des combats devant intervenir dans un avenir très proche. C’est de cette façon qu’il leur fait comprendre qu’il serait préférable pour eux de se rendre. Le maquis leur propose de hisser un drapeau blanc, de se rendre les bras levés, et ainsi d’être faits prisonniers. Les troupes de la Wehrmacht se rendent, et le chanoine Bublens porte, dans les différentes casernes de la ville, l’ordre de se rendre. Après s’être rendu au petit séminaire, transformé en caserne depuis décembre 1943, puis au Sacré-Cœur, transformé en infirmerie, il se rend à l’institut Saint-Joseph, où sont cantonnées les troupes. Après avoir porté les plis dans les différents cantonnements, le chanoine Bublens redescend à la basilique. La ville connaît encore quelques combats mais la fin est proche⁴¹⁰⁷. La sous-préfecture est libérée le 16 août.

Le lendemain, 17 août, au Fayet, le curé bâtisseur de la paroisse, l’abbé Domenget, sert d’intermédiaire entre les Allemands et la résistance. Des soldats de la Wehrmacht ont été abattus dans les environs du Fayet, et leurs compatriotes souhaitent leur donner des obsèques religieuses. Afin que la cérémonie se déroule sans heurts, les Allemands décident de faire des otages parmi la population fayerande. Parmi ceux-ci se trouve l’abbé Domenget. Le chef du détachement allemand, Hauffen, « après discussion […] demande l’enterrement décent de ses soldats contre la libération du prêtre »⁴¹⁰⁸. La cérémonie se déroule sans incident, et l’abbé est « relâché par les Allemands ». Rapidement, il part informer la Résistance que « Hauffen, n’acceptera de se rendre qu’à l’armée régulière »⁴¹⁰⁹. La reddition de la garnison allemande du Fayet est ainsi obtenue sans effusion de sang.

En 1945, l’abbé Domenget est cité à l’ordre de la Division avec attribution de la croix de guerre avec étoile de bronze⁴¹¹⁰. La citation rappelle qu’il est « résistant de la première heure et patriote ardent [ ; que] dès 1941, [il] a manifesté de nobles sentiments contre l’occupant. [Qu’il] a donné tout son appui aux groupes de résistants de la région [et] a collaboré activement à un service de renseignements. Pris comme otage avec d’autres habitants du pays, au moment de la libération du Fayet, a fait preuve du plus grand sang-froid et d’un beau courage en profitant de l’inhumation des militaires allemands [sic] tués par le maquis pour prendre contact avec ce dernier et régler les conditions de capitulation de la garnison allemande qui occupait le pays »⁴¹¹¹.

Le lendemain, 18 août, à Cluses, l’abbé Chevallier joue un rôle dans la libération de la commune. Alors que la résistance libère la ville, certaines personnes souhaitent se venger des Allemands⁴¹¹², et des SS « tant les combats [de la libération] avaient été violents »⁴¹¹³. Alors qu’il « fait à peine jour, [une] fusillade retentit vers le Pont-Neuf […] ». Au même moment, s’avançant avec précaution, « une colonne FFI débouche sur la place de la Mairie […] accompagnée du curé et de l’abbé »⁴¹¹⁴. C’est alors que le plébain, « tenant un drapeau français, rappelle à la foule les termes de la convention de Genève »⁴¹¹⁵. Par son sang-froid, l’abbé Chevallier permet d’éventuelles représailles qui auraient pu avoir lieu si les prisonniers allemands n’avaient pas été épargnés.

L’abbé Fournier, curé de Vers, joue également un rôle pour sa paroisse, au moment de la retraite allemande, en évitant qu’elle ne soit brûlée. Toutes les communes voisines sont en feu, qu’il s’agisse de Valleiry, de Vulbens ou encore de Chevrier. À l’arrivée des Allemands, l’abbé Fournier, ancien de 1914-1918, est presque le seul à être resté dans la paroisse, c’est alors qu’il « offre la gnôle aux Allemands »⁴¹¹⁶ et invoque « avec confiance la Vierge »⁴¹¹⁷ pour qu’elle protège le village. Que se passe-t-il réellement chez les occupants ? Nous ne savons pas, cependant un fait est certain, ils n’incendient pas Vers. L’abbé Fournier promet de remercier la Vierge pour sa protection en ce jour d’août 1944. C’est ainsi que le 7 octobre 1945, une statue de la Vierge, due au sculpteur Gracien, est inaugurée par le chanoine Duval, ami de l’abbé. En 1953, le chanoine Vuarnet bénit la première pierre de la Chapelle de Notre-Dame du Mont-Sion⁴¹¹⁸. Le remerciement de l’abbé Fournier est ainsi exprimé pour de longues années. Le curé de Vers remercie la Vierge pour son aide apportée tout au long de la guerre.

Évoquons l’abbé Berger, curé de Chedde, en exil à Coligny, dans l’Ain, depuis son évasion de la prison de Chambéry, en septembre 1943. C’est le 21 août 1944, que l’abbé Berger, est nommé membre du Comité de Libération de Passy. À cette occasion, le « vicaire Bellon » demande à un jeune du village d’aller le chercher en utilisant sa « vieille voiture »⁴¹¹⁹.

Jusqu’à présent, nous avons évoqué uniquement la résistance, mais une fois l’heure de la Libération arrivée, il est nécessaire de juger ceux qui ont pris une part active à la politique de collaboration. Les miliciens sont les premiers à être jugés et c’est parce que le prêtre est celui de tous qu’ils bénéficient d’un soutien religieux.