1. Les prêtres assassinés

Avant la libération

Le premier prêtre à tomber sous les balles de la résistance est l’abbé Jean Sallaz, curé de Chilly depuis 19354160. C’est le 23 juin 1944 qu’il est enlevé de son presbytère, alors que des individus armés de mitraillettes4161 saccagent les lieux. Les mobiles de cet assassinat peuvent être, soit la jalousie ou la vengeance, soit un règlement de compte qui aurait mal tourné. À la date du 26 juin 1944, l’imprimeur Dépollier note dans son journal, que l’abbé Sallaz « a la réputation d’avoir un mauvais caractère et d’être un “sectaire” »4162, mais il est également zélé et autoritaire4163.

Au cours de la guerre, sans doute grâce à ses talents de bon commerçant4164, l’abbé Sallaz réussit à construire une maison paroissiale, parvenant ainsi à obtenir ce que d’autres ne pouvaient avoir. En octobre 1942, alors que le Foyer Social de Chilly est en construction, des personnes démolissent « des moellons frais destinés au Foyer Social »4165. L’année suivante, probablement le même groupe détériore la croix de Mannecy, en apposant des inscriptions « gaullistes […ou], menaçantes pour [lui] et [ses] collaborateurs »4166. Ces menaces sont les suivantes : « “Vengeance et Terreur. À bas Sallaz et ses collaborateurs” »4167. Le prêtre estimant que les profanateurs ont « toute une maffia derrière eux pour commander »4168, informe le préfet qu’il y a « bien d’autres choses […] à faire avouer à l’un des principaux auteurs »4169. Se tenant à la disposition du préfet et des policiers, pour donner des renseignements sur les personnes ayant commis ces délits4170, l’abbé Sallaz souhaite qu’une enquête sérieuse soit menée par des policiers inconnus dans le village. Le desservant dépose une plainte contre les auteurs des inscriptions, mais la retire le 10 décembre 1943 puisque « l’auteur des inscriptions […] faites à Mannecy le 1er novembre 1943 »4171 est venu s’excuser et a déclaré regretter son geste. Est-ce la vérité ou a-t-il subi des pressions pour retirer sa plainte ? Nous pouvons nous interroger sur l’implication de ces personnes dans la mort du prêtre. Sont-elles mêlées de près ou de loin à son assassinat ou celui-ci relève uniquement d’un groupe de résistance étranger à la paroisse ?

Dans quelles circonstances le desservant de Chilly trouve-t-il la mort ? Enlevé « par des affiliés aux organisations de résistance transportées par un camion automobile »4172, il est conduit dans les bois, sur la commune de Chaumont, où il est exécuté, après avoir creusé sa tombe. Avant son exécution, il rédige deux billets, l’un destiné à ses parents, et l’autre à ses paroissiens. Dans les deux papiers, il déclare mourir en « victime innocente »4173. Dans celui qu’il adresse à ses paroissiens, il dit quitter cette terre pour le « salut et la conversion de [sa] paroisse » qu’il a aimée et qu’il aime jusqu’à la mort4174. Alors qu’ils mettent à sac le presbytère, les assassins trouvent une grande quantité de vivres, ce qui leur laisse penser que le prêtre se serait livré au marché noir. Cette supposition semble être inexacte, puisque Le Réveil, évoquant la découverte de cette nourriture, rappelle qu’elle était destinée aux ouvriers du foyer social et que l’abbé Sallaz avait constitué un stock en vue de l’ouverture prochaine d’une école ménagère4175.

Lors d’une visite au préfet, le chanoine Duval, exécuteur testamentaire de l’abbé Sallaz, souligne que les assassins « auraient fait main basse sur une importante quantité de matériel, n’appartenant pas au défunt, en particulier sur du matériel électrique, une automobile et une motocyclette. Fait plus grave, ils auraient dérobé des sommes d’argent considérables, laissées en dépôt à la cure »4176. Certaines personnes auraient-elles trouvé un motif de collaboration du prêtre pour régler un compte personnel ? Cela est possible, néanmoins ses assassins meurent tous tragiquement peu de temps après la guerre !4177 Il est également possible de penser à une explication qui aurait tourné au drame. Les ravisseurs auraient pu souhaiter intimider le prêtre, cependant l’un d’eux aurait été dévisagé ou ils auraient été trop loin et devant la peur d’une confrontation, ils auraient préféré l’abattre. C’est en 1954 que la tombe sommaire du prêtre est retrouvée, et relevée. À cette occasion, Mgr Cesbron prononce une allocution et donne l’absoute pour le prêtre qui est inhumé à Chilly4178.

Le vendredi 7 juillet 1944, l’abbé Albert Vaudaux, curé d’Ayze, est assassiné. Nous l’avons évoqué précédemment pour ses fonctions de président de la section communale de la Légion4179 et de responsable de la distribution des bons de chaussures4180. Sans doute par ses fonctions a-t-il dû s’attirer des ennemis. Il est abattu « sur le pas-de-porte du presbytère, de trois coups de revolver à la tête, par trois inconnus »4181. Seul le vicaire de Bonneville peut franchir les barrages pour courir à son chevet. Lorsque l’abbé Menuz arrive au presbytère, il est trop tard, l’abbé Vaudaux est déjà mort4182. Le dimanche, l’abbé Menuz informe les paroissiens du décès du desservant, leur indiquant simplement le jour et l’heure de la sépulture. Lorsqu’il quitte la chaire pour sortir de l’église, il s’aperçoit que des hommes, avec des foulards rouges et des mitraillettes, sont présents. L’abbé Menuz estime qu’il s’agit de membres des BRI sans doute venus pour écouter ses propos4183. Ils ont du être satisfaits puisqu’il ne reçoit aucune observation de leur part.

Les assassinats semblent cesser pendant l’été. Est-ce à cause des combats pour la Libération ? Quoiqu’il en soit, nous ne connaissons pas les raisons qui ont poussé des individus à assassiner ces prêtres. Pas plus eux d’ailleurs que les trois autres.

Notes
4160.

ADA. Registre d’entrées au grand séminaire et Nouveau supplément au dictionnaire…, op. cit., p. 1045. Il est le neveu de l’abbé Jérémie Sallaz, curé de Seynod. Il effectue une partie de ses études au grand séminaire d’Annecy avant de partir pour « raisons de familles » à Meaux où il est ordonné en 1927. Il y devient  professeur au petit séminaire avant d’être réincorporé au diocèse d’Annecy en 1930. Après un court vicariat à Reignier, il devient professeur puis économe au collège de Thônes avant de rejoindre Chilly en 1935.

4161.

Revue du Diocèse d’Annecy, nos 29 et 30, 20 et 27 juillet 1944, p. 443.

4162.

ADHS, 1 Mi 162 [R1] : Cahier n° 5 : 26 juin 1944. Dans le message téléphoné (n° 2087), adressé au cabinet du préfet, les renseignements généraux rappellent que « l’abbé Sallaz avait la réputation d’être très sectaire ». ADHS, 15 W 22. Message téléphoné des renseignements généraux d’Annecy, le 5 juillet 1944, 20 heures. Adressé au cabinet du Préfet, n° 2087.

4163.

Entretien téléphonique avec l’actuel curé de Chilly.

4164.

Entretien avec René Terrier.

4165.

ADHS, 15 W 13. Lettre de l’abbé Sallaz au préfet, 15 novembre 1943.

4166.

Ibid.

4167.

 Ibid. L’inspecteur principal de police nationale Goux au Commissaire principal des renseignements généraux, 14 décembre 1943.

4168.

ADHS, 15 W 13. Lettre de l’abbé Sallaz au préfet, 15 novembre 1943.

4169.

Ibid.

4170.

Ibid.

4171.

Ibid.

4172.

 ADHS, 15 W 22. Message téléphoné des renseignements généraux d’Annecy, le 5 juillet 1944, 20 heures. Adressé au cabinet du Préfet, n° 2087.

4173.

Revue du Diocèse d’Annecy, nos 37-38, 14 et 21 juillet 1944, p. 497.

4174.

Ibid.

4175.

Le Réveil, 16 septembre 1944.

4176.

ADHS, 15 W 22. Lettre du préfet au chef de bataillon Roux, commandant la subdivision militaire de la Haute-Savoie, 4 décembre 1944. Ces sommes se composaient ainsi : « une somme de 8 600 francs, montant des honoraires de 172 messes à 150 francs ; une somme de 100 000 francs, remise au curé de Chilly, mais revenant à l’École libre de la commune ; une somme de 200 000 francs, acompte d’un emprunt de 360 000 francs contracté en faveur du Foyer Social ».

4177.

Entretiens avec l’abbé M. Birraux, et R. Terrier.

4178.

Nouveau supplément au dictionnaire…, op. cit., p. 1045.

4179.

ADHS, 15 W 5.

4180.

l. menuz, Souvenirs …., p. 7.

4181.

ADHS, 1 Mi 162 [R1] : Cahier n° 5 : 8 juillet 1944.

4182.

l. menuz, Souvenirs…, op. cit., p. 7.

4183.

Ibid. et entretien avec le chanoine L. Menuz.