II. L’enquête Boulard

Gabriel Le Bras, « las des vaines querelles opposant les deux France, celle des fils des Croisés et celle des fils de Voltaire, lance une enquête sur la pratique religieuse concrète des populations françaises »4556. En 1931, il publie un article, dans la Revue d’Histoire de l’Église de France 4557,où il s’intéresse à la pratique religieuse et où il tente de la comprendre et d’en définir les différents types4558. Il souligne alors que « clercs et laïques, historiens, sociologues et tous les bons esprits s’accorderont pour désirer des statistiques et des cartes expliquées, c’est-à-dire des tableaux précis, parlants, complets, de la pratique religieuse dans la France contemporaine et l’introduction historique qui les fera comprendre : nulle part n’est plus évidente que la continuité des événements et ne peut être plus utilement évoquée que cette unité de l’histoire, cette fonction explicative de la recherche historique – le passé rendant compte du présent, qui aide à reconstruire mentalement le passé – dont les sciences économiques et sociales, politiques et morales ont déjà recueilli les avantages »4559. Aucune carte synthétique de la France religieuse n’est encore réalisée malgré les études [ponctuelles] qui sont menées dans quelques diocèses. En 1943, les abbés Godin et Daniel publient leur ouvrage au titre provocateur, La France, pays de mission ? 4560 Après 1945, la France n’entre-t-elle pas dans un moment de bouillonnement autour de ces questions de pratique religieuse, d’autant plus importantes que les mentalités évoluent, changent dans une société qui n’est plus la même que celle de 1939.

Le doyen Le Bras fait des émules, et l’abbé Boulard4561 entreprend des analyses pour essayer de comprendre l’évolution de la pratique qui tend à connaître une diminution. L’une de ses premières études s’intéresse aux Problèmes missionnaires de la France rurale 4562 . En 1947, les deux pionniers de la sociologie religieuse dressent la carte religieuse de la France qui met en évidence trois types de zones de la pratique, qu’ils nomment A, B et C. La première regroupe les lieux où la pratique religieuse est encore largement majoritaire, alors que la seconde représente les régions de pratique minoritaire, la dernière est celle où une minorité est détachée du catholicisme. Le diocèse d’Annecy entre, pour une large majorité, dans la première catégorie alors que quelques zones dépendent de la seconde. Cette situation de 1947 est schématique puisque les précisions obtenues grâce aux investigations du chanoine Boulard montrent que la situation est plus complexe et que certaines paroisses pourraient entrer dans la catégorie C.

Le chanoine Boulard entreprend alors une œuvre d’envergure : dresser un tableau de la pratique en France. En 1954, il publie Premiers itinéraires en sociologie religieuse 4563  ; cet ouvrage pose d’une certaine façon, les méthodes de ce qui va devenir la sociologie religieuse4564. Afin de pouvoir réaliser son tableau de la pratique française, il demande à ses confrères4565 de collaborer à son enquête, qui est restée comme « l’enquête Boulard ». Elle marque la naissance d’une nouvelle discipline qu’est la sociologie religieuse. D’abord, il s’agira de présenter l’enquête, puis de voir quelle influence peuvent avoir l’économie et l’aire géo-culturelle, ainsi nous pourrons analyser les résultats de l’enquête.

Notes
4556.

g. cholvy, y.-m. hilaire, dir., Histoire religieuse de la France. Géographie, XIX e -XX e …, op. cit., p. 181.

4557.

g. le bras, « Statistique et histoire religieuse », RHEF, 1931, p. 425-449. Il est intéressant de noter que cet article intervient peu de temps après la création par Febvre et Bloch de la revue des Annales.

4558.

Il classe les pratiquants en 4 catégories : les dévots, les fidèles, les conformistes saisonniers et les dissidents. Les fidèles sont ceux qui font leurs pâques et assistent à la messe dominicale. Les conformistes saisonniers sont ceux qui ne viennent à l’église que pour les grandes étapes : baptême, mariage, sépulture et en général première communion également. Enfin, les dissidents sont les personnes éloignées de toute pratique.

4559.

g. le bras, « Statistique et histoire religieuse », RHEF, 1931, p. 429.

4560.

Lyon, Éd. de l’Abeille, 1943, 215 p.

4561.

Il était également aumônier de la JAC.

4562.

En collaboration avec les abbés Achard et Emerard, Paris, Éd. du Cerf, 1945.

4563.

Paris, Éd. Ouvrières, 1954, 152 p.

4564.

Son ouvrage Essor ou déclin du clergé français, publié en 1950, est déjà un ouvrage de sociologie religieuse. Paris, Éd. du Cerf, 1950, 476 p.

4565.

Il semble qu’au départ, les enquêtes réalisées en milieu rural soient facilitées par la bonne connaissance de la pratique des fidèles par les prêtres ; les enquêtes urbaines venant à la suite.