a. Présentation générale

L’écart entre le taux de pratique des messalisants et des pascalisants, du même sexe, reste relativement proche de celui qui a été relevé entre le monde rural et le diocèse. Les écarts entre les hommes et les femmes sont différents selon les classes d’âge ; s’ils sont peu élevés pour les jeunes adultes et ils tendent à s’accroître chez les plus de quarante ans. Nadine Broisat relève à ce propos que chez les 15-19 ans la différence de pratique entre hommes et femmes s’élève à 9 % pour les pascalisants et à 11 % pour les messalisants4674. L’écart passe à 11 % et 13 % pour les 20-24 ans, puis à 17 % et 15 % chez les 25-44 ans. Pour la tranche 45-64 ans, l’écart est de 24 % pour les pascalisants. L’apparition de la baisse la plus significative autour de l’âge de vingt-cinq ans s’explique par l’installation des individus dans une vie nouvelle. A contrario, il apparaît que c’est vers l’âge de la retraite qu’un certain nombre de personnes retournent vers la religion. Est-ce à cause d’un temps libre plus important ?

Même dans les cas où il y a une certaine déchristianisation, la pratique des femmes est toujours supérieure à celle des hommes. Dans les cantons où l’on peut dénoter un certain détachement, les femmes participent beaucoup plus aux cérémonies pascales (63,29 %)4675 qu’aux messes dominicales (53,3 %). Cependant, comme en 1901, l’élément masculin est déterminant quant à la pratique ; c’est lui qui permet souvent de différencier la pratique dans les différents cantons. En effet, rares sont les cantons où pratique masculine et féminine ont un taux de pratique proche. À propos de ce dimorphisme sexuel, Christian Sorrel rappelle qu’il est une « réalité générale »4676 mais qu’il est atténué dans la Savoie du nord par rapport aux trois autres diocèses savoyards.

Dans le cas du diocèse d’Annecy, il y a soixante-cinq pascalisants et soixante-trois messalisants pour cent femmes4677. Ce dimorphisme est en progression par « rapport à 1900, contrairement à une tendance majoritaire en France, mais conformément à un schéma attesté dans des terres de chrétienté (ouest breton, Massif central) »4678. Les pascatins et les cénalisants peuvent également entrer dans le champ d’étude, mais la première catégorie reste « difficile à interpréter » car le taux de cénalisants « s’élève aussi bien dans les cantons médiocres que dans les bons »4679. Ces derniers sont principalement des hommes, même si l’écart diocésain entre les deux sexes reste assez faible puisque le taux de pascatins hommes est de 20,5 % alors que celui des femmes est de 18 %4680. La situation est différente pour les cénalisants où l’écart entre hommes et femmes est important ; ces dernières étant largement majoritaires avec une moyenne diocésaine de 42,5 %, alors qu’elle est de 18 % pour les hommes4681.

Comme en 1901, l’attitude masculine influence beaucoup la carte de la pratique globale diocésaine. En effet, c’est par les comportements religieux qu’il est possible de relever deux types de catholicisme ; « l’un où les gestes de dévotion sont affaire de femmes, l’autre où la ferveur eucharistique et le militantisme se confortent »4682. Si, dans le premier, nous retrouvons les cantons à forte pratique (Abondance ou Le Biot), la situation est différente dans le second, puisqu’il s’agit là des cantons de « sensibilité variée, fidèles (La Roche-sur-Foron, Sallanches) ou anciennement détachés (Chamonix, Saint-Gervais-les-Bains) »4683. Si nous changeons d’échelle de comparaison et que nous prenons les arrondissements comme bases de comparaisons, il ressort que ceux de Saint-Julien-en-Genevois et de Bonneville, qui ont des taux de cénalisants supérieur à la moyenne diocésaine (14 %), sont ceux « où la pratique pascale est la plus faible »4684. Christian Sorrel conclut à ce propos que « le conformisme s’efface devant la ferveur d’un groupe moins nombreux, mais plus décidé à affirmer son identité chrétienne, même si le processus n’est pas général »4685. Ce constat montre que le travail effectué, en profondeur, par les mouvements d’action catholique, surtout depuis le milieu des années Vingt, porte ses fruits.

Le nombre d’enfants baptisés4686 peut également être un moyen de connaître l’attachement de la population à la religion. Il ressort de l’enquête que jusqu’ à quatorze ans, seul 1,01 % des enfants n’étaient pas baptisés, alors que la moyenne nationale est d’environ 3 %4687. La catéchisation des enfants permet aussi de savoir si la population se détache ou non de la religion. Le chanoine Boulard estime que c’est à partir d’un taux de 20 % d’enfants non catéchisés qu’une partie « de la population, délibérément, consciemment n’est pas ou plus dans l’Église »4688. Le diocèse d’Annecy est loin de ce taux puisque ce sont 5,63 % des enfants âgés de huit à treize ans qui ne fréquentent pas le catéchisme4689.

Une certaine érosion de la pratique peut être perçue par la différence entre les taux de messalisants et de pascalisants. Elle peut être confirmée par le nombre de ceux qui communient au moins une fois par mois. Seuls 14,49 % des diocésains d’ascendants catholiques s’approchent de la Sainte Table au moins une fois par mois4690.

L’histoire du diocèse n’est sans doute pas non plus étrangère à un certain maintien de la pratique. Plusieurs éléments semblent entrer en jeu. D’abord, il y a tout le travail effectué dans le Chablais par François de Sales pour tenter de ramener au catholicisme cette partie du diocèse passé aux mains des Protestants après l’occupation bernoise. Cette partie du diocèse semble d’ailleurs être l’une de celle où la pratique semble se maintenir sans trop de difficulté entre 1901 et 1955. Mais le diocèse d’Annecy s’inscrit également dans un cadre géographique plus large. Étienne Fouilloux souligne que la carte de la pratique européenne laisse « apparaître au premier coup d’œil [la] catholicité périphérique [du diocèse d’Annecy] non comme [un] isolat mais comme [le] prolongement dans l’Hexagone d’un bloc d’observance supranational […] des Alpes occidentales »4691. Il souligne également que, sur la carte de la pratique du chanoine Boulard, les régions qui ont été rattachées tardivement à la France apparaissent comme plus attachées au catholicisme, tel est le cas de la Savoie ou de l’Alsace4692.

Le diocèse fait figure de pratiquant au regard de certaines autres zones de France, même s’il est lui-même nuancé dans la pratique4693. Les différentes zones de pratique rencontrées en 19014694 se retrouvent lors de l’enquête Boulard, même si certaines ont évolué vers un certain détachement. Les dénivellations cantonales sont importantes : pour le taux de pascalisants il y a un écart de plus de 47,77 % entre le canton de Thônes et celui de Saint-Gervais-les-Bains4695. Tous les cantons ont vu leur taux de pratique pascale diminuer entre 1901 et 1955 ; la moyenne diocésaine a diminué de 33,85 %4696 en un demi-siècle. Le même phénomène se rencontre pour les messalisants où la différence de pratique entre les deux sexes est de 17,62 %, alors que pour les pascalisants elle est de 20,09 %4697. L’intensité de la pratique pascale des deux sexes diminue même dans les meilleurs cantons. Si en 1901, le taux de 75,77 % est celui du canton le moins pratiquant, en 1955, ce même taux se retrouve parmi les cantons les plus pratiquants4698. Comme souvent les taux féminins sont supérieurs à ceux des hommes. Le plus fort taux de pascalisantes est de 92,20 % dans le canton de Thônes, alors que le plus bas se trouve à Annemasse avec 46,52 %. Pour les hommes, Thônes obtient le taux le plus élevé (78,85 %) alors que le plus bas apparaît à Saint-Gervais-les-Bains (25,13 %). La même situation se retrouve pour les messalisantes et les messalisants4699.

Nous avons défini trois zones de pratique : forte, moyenne et faible et nous pouvons remarquer que dans ces cantons, plus la pratique (pascalisants et messalisants) est élevée, plus la différence entre pascalisants et messalisants est importante.

Notes
4674.

n. broisat, Le diocèse d’Annecy…, op. cit., p. 34. Pour les messalisants voir les annexes nos 31, 35 et 36. Pour les pascalisants voir les cartes nos 30, 33 et 34.

4675.

Ibid.

4676.

c. sorrel,« La Savoie, terre catholique : les enseignements des enquêtes de sociologie religieuse », op. cit., p. 153.

4677.

Ibid. En 1951, dans le diocèse de Chambéry ce rapport est de 57 pascalisants et 54 messalisants pour 100 femmes, alors qu’en 1960-1966, il est de 52 et 50.

4678.

Ibid., p. 154.

4679.

Ibid., p. 156.Pour les cénalisants voir les cartes en annexes nos 32, 37 et 38.

4680.

c. sorrel, Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, t. 4, à paraître.

4681.

c. sorrel, Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, t. 4, à paraître.

4682.

c. sorrel,« La Savoie, terre catholique : les enseignements des enquêtes de sociologie religieuse », op. cit., p. 156.

4683.

Ibid.

4684.

Ibid. les taux de pascalisants sont de 40 % pour Saint-Julien-en-Genevois et 43 % pour Bonneville.

4685.

Ibid.

4686.

Voir la carte en annexe n° 39.

4687.

n. broisat, Le diocèse d’Annecy…, op. cit., p. 35.

4688.

f. boulard, Premiers itinéraires…, op. cit., p. 21. Voir la carte en annexe n° 40.

4689.

n. broisat, Le diocèse d’Annecy…, op. cit., p. 37. Christian Sorrel rappelle quant à lui que pour le diocèse de Chambéry ce taux est de 4,5 % en 1951, et de 8 % dans celui de Maurienne. c. sorrel, Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, t. 4, à paraître.

4690.

n. broisat, Le diocèse d’Annecy…, op. cit., p. 34. Elle rappelle que le sondage effectué en 1966 par l’IFOP donne le chiffre de 9 % de communiants fréquents.

4691.

e. fouilloux, « “Fille aînée de l’Église” ou “pays de mission” ? (1926-1958) », in j. le goff, r. remond, Histoire de la France religieuse…, op. cit., p. 198.

4692.

I bid., p. 203. Voir la carte en annexe n° 28.

4693.

Les zones de pratique du diocèse se répartissent dans les zones A et B définies par le chanoine Boulard.

4694.

Cf. supra, p. 39 et suiv. Voir annexe n° 25.

4695.

En 1901, ce taux était de 40,67 %. La pratique la plus élevée se trouvait alors à Abondance, mais la plus faible était dans le canton de Saint-Gervais.

4696.

La moyenne diocésaine était de 90,58 % en 1901.

4697.

Le taux de messalisantes est de 54,39 % et celui des messalisants est de 36,77 %. Le taux de pascalisantes est de 66,44 % et celui des pascalisants est de 46,35 %. L’écart entre pascalisants et messalisants (deux sexes) est de 2,47 %.

4698.

En 1901, la pratique pascale oscille entre 75,77 % et 99,02 % et en 1955, les taux varient entre 37,96 % et 82,83 %.

4699.

Le plus fort taux de messalisantes est dans le canton de Thônes avec 90 % alors que le plus faible est à Annemasse avec 37,45 %. Pour les hommes, le plus fort taux est à Thônes avec 75,22 % et le plus bas à Saint-Gervais avec 18,38 %.