a. Qu’est-ce que la mission régionale ?

Comme la mission paroissiale, elle dure, en général, trois semaines. Cependant à sa différence, elle est préparée, pendant plusieurs mois, par les prêtres de tout un secteur4914. Ces derniers sont entourés de laïcs parmi lesquels des membres de l’action catholique4915. Si la mission paroissiale ne s’adressait qu’à une paroisse, la mission régionale, elle, concerne toutes les paroisses d’un secteur donné, qui sont « en mission », en même temps. Elle se prépare en quatre temps, sur plusieurs mois ou années : la préparation, la pré-mission, la mission proprement dite et le retour (bilan) de mission4916. Contrairement à la mission paroissiale qui se voulait plutôt d’un style grandiose et presque tape à l’œil, la mission régionale est beaucoup plus simple dans ses aspects extérieurs. Si les retours étaient l’objectif principal des missions paroissiales, la situation est différente dans le cadre des missions régionales, puisqu’il s’agit de modifier l’esprit des croyants.

Les comptes-rendus de missions n’évoquent que rarement ces « retours ». Nadine Broisat souligne qu’elle n’a trouvé que trois allusions4917 à ce terme dans les comptes-rendus des missions. Le vicaire général Aimé Duret souligne à propos de la mission de La Roche-sur-Foron – Reignier qu’il y a eu « un peu partout des “retours” », qu’il les « espère durables »4918. L’abbé Philippe nous rappelait que les missions régionales n’ont pas pour unique souci de « ranimer la flamme sous un clocher, mais de faire prendre conscience aux chrétiens qu’ils sont une communauté »4919.

Les fidèles sont particulièrement sollicités pour participer à ces nouvelles formules pastorales. L’ambition de la mission régionale est d’« apporter au clergé de la région et aux communautés paroissiales l’épaulement temporaire de missionnaires et de spécialistes d’action catholique, en vue de planter plus profondément l’Église dans tous les milieux de la région »4920. En effet, comme nous l’avons montré avec l’enquête Boulard, les problèmes pastoraux, soulevés par les différentes études menées dans tous les secteurs d’activités du diocèse, se retrouvent dans plusieurs paroisses. Dans ce cas, le regard extérieur apporté par les missionnaires est un avantage important. La mise en place Centre Pastoral des Missions Intérieures (CPMI) permet une bonne préparation à ce genre d’intervention.

Christian Sorrel rappelle à ce propos que c’est le Père Motte4921 qui, « fort de ses expériences en milieu ouvrier, […] fonde à Paris, en septembre 1951, le Centre pastoral des missions à l’intérieur4922 qui se présente comme un organe de recherche et de liaison au service des missions intérieures et restera toujours une institution privée, malgré une tendance à l’institutionnalisation et à l’affirmation du soutien de l’épiscopat, surtout après 1958 »4923. Dans la région, c’est le diocèse de Chambéry qui reçoit les premières expériences de ce nouveau type de mission. Mgr Cesbron ne tarde pas à appliquer cette méthode nouvelle dans son diocèse. Ces nouvelles mesures ont un coût puisque les honoraires des missionnaires s’élèvent à vingt-et-un mille francs auxquels s’ajoutent les frais de route. La pension revient aux prêtres sur la base de huit cents francs par jour et par missionnaire4924.

Ce type de rencontres permet de faire une sorte de bilan assez précis de la situation religieuse d’un secteur donné. Ce constat est d’autant plus précis que le temps de la préparation est assez long ; il dure en moyenne deux années durant lesquelles prêtres et laïcs se réunissent, partagent leurs opinions et se répartissent les différentes tâches spécifiques à effectuer. Grâce aux enquêtes et aux travaux de préparation, les missionnaires connaissent très bien le milieu dans lequel ils travaillent, et cela rend leurs efforts d’autant plus précis. Ils savent avec précision ce qui doit être ciblé, sur quelle catégorie socio-professionnelle il est important de porter une attention particulière. Un certain aspect pédagogique est également perceptible dans ces missions, ce qui ne semblait pas toujours existé dans le cas des missions paroissiales.

Dans la présentation qu’il fait de la mission régionale de La Roche-sur-Foron, le père Jean-Baptiste rappelle que « la paroisse isolée – en autarcie spirituelle – n’existe plus, pas plus que la commune », car « la vie est influencée par toutes sortes de courants régionaux, départementaux ». Il souligne alors que « la pastorale doit [en] tenir compte et qu’une mission ne peut l’ignorer sous peine de “bâtir en l’air ou sur le sable” »4925. Il rappelle également que la paroisse ne peut « plus se suffire, quant aux difficiles problèmes de milieu et d’apostolat ». C’est pourquoi il devient nécessaire de faire un travail de groupe en rassemblant les différentes paroisses. En effet, « à quoi bon essayer de porter seul, le poids d’une pastorale adaptée, alors que le même problème se pose aux confrères et qu’on pourrait porter ensemble des problèmes complexes »4926.

Mgr Cesbron, présentant la première mission régionale de la Vallée de l’Arve, parle d’une « affaire importante » et d’une « grande entreprise apostolique »4927. Il appelle les diocésains des trente paroisses concernées à venir nombreux et leur demande de ne pas avoir « peur d’y prendre une part » active4928 et d’aider les quatre-vingts missionnaires présents sur le territoire de la mission. L’évêque rappelle à ses « très chers chrétiens » que « rien ni personne » ne souffrira de la mission, « ni à la maison, ni à l’école, ni à l’usine, ni à la terre, ni au magasin, ni au bureau, ni à l’hôtel, ni au restaurant ni sur les champs de ski » puisque « tout au contraire […] la vérité, la lumière, la charité n’ont jamais fait de mal à personne. Elles vous feront grand bien, par la grâce de Dieu »4929.

En janvier 1956, Mgr Cesbron adresse à ses diocésains une lettre pastorale dans laquelle il évoque l’apostolat et plus précisément les leçons de la mission régionale4930. Il insiste particulièrement sur la nécessité de la collaboration entre les prêtres eux-mêmes et avec les laïcs. À cette occasion, il écrit :« Autrefois, on a pu garder jalousement sa porte, pour ne rien perdre de ses trésors, croyait-on, au contact d’autrui. Aujourd’hui on comprend que tenir sa porte fermée c’est s’appauvrir et s’asphyxier soi-même. On comprend que travailler avec les autres, plus au large, c’est répondre au dessein de Dieu et aux demandes de l’Église, et c’est encore aider les autres sans rien perdre soi-même et, sans appauvrir les autres, s’enrichir soi-même. Bienheureux les bras qui s’ouvrent et les mains qui se tendent pour mieux travailler »4931.

Notes
4914.

Voir la carte en annexe n° 110.

4915.

En 1953, les paroisses de la ville d’Annecy ont vécu ensemble la mission qui s’est déroulée du 15 mars au 4 avril. Lors de l’annonce de la mission, Mgr Cesbron rappelle que les prêtres se sont réunis entre eux mais également avec les futurs missionnaires et les militants d’action catholique. Revue du Diocèse d’Annecy, n° 9, 26 février 1953, p. 132-133.

4916.

Si nous prenons l’exemple de la mission de La Roche-sur-Foron – Reignier, la mission dure quatre années. La pré-mission débute le 13 juillet 1958. La mission à proprement parler se déroule en décembre 1960 et le retour de mission est prévue pour février 1962. ADA. 8 E 1960. Mission de La Roche-sur-Foron. Compte-rendu d’A. Duret. Décembre 1960. Lors de l’ouverture de la mission de l’Arve, Mgr Cesbron rappelle que la mission est évoquée depuis trois ans. Dans le numéro 20 du 19 mai 1955 de la Revue du Diocèse d’Annecy, p. 290, l’évêque écrit : « Pas une seule famille de chez nous ne doit l’ignorer. On en parle depuis trois ans… On en parle même en dehors de la Vallée… ».

4917.

n. broisat, Le diocèse d’Annecy…, op. cit., p. 122. Les deux autres missions où des allusions aux retours sont faites se déroulent à Frangy-Seyssel en 1963 et à Viuz-en-Sallaz en 1964.

4918.

ADA. 8 E 1960. Mission de La Roche-sur-Foron. Compte-rendu d’A. Duret. Décembre 1960.

4919.

Entretien avec l’abbé Ch. Philippe.

4920.

ADA. 8 E 1960. Mission de La Roche-sur-Foron. Circulaire n° 1. 13 juillet 1958 : première réunion préparatoire à la mission.

4921.

Il est franciscain.

4922.

Adrien Dansette rappelle à propos du CPMI qu’il s’agit « d’une communauté de travail consacrée à l’étude des problèmes qui intéressent les missions à l’intérieur » et que ce centre est « n’est pas une organisation autoritaire, mais un foyer d’initiatives qui centralise les expériences et en diffuse les leçons ». a. dansette, Destin du catholicisme…, op. cit., p. 363.

4923.

e. fouilloux, « Vers une histoire … », loc. cit., p. 429-432. Cité par ch. sorrel, « Les diocèses français à l’heure Boulard…», in Mélanges Etienne Fouilloux, à paraître, p. 4.

4924.

ADA. 8 E 1959. Mission zone du Chablais (secteur de Bons). Il est rappelé que si le missionnaire ne reste pas jusqu’au terme de la mission, les honoraires sont de vingt mille francs.

4925.

ADA. 8 E 1960. Mission de La Roche-sur-Foron. Circulaire n° 1. 13 juillet 1958 : première réunion préparatoire à la mission. Nous retrouvons la présentation faite des missions régionales en 1955 par Mgr Cesbron qui écrivait alors : « Parce que – aujourd’hui – les communautés humaines ne sont plus circonscrites dans les limites d’une paroisse. Il y a des influences qui s’exercent, des problèmes qui se posent sur un plan régional. Il faut planter l’Église dans ces communautés humaines ». Revue du Diocèse d’Annecy, n° 20, 19 mai 1955, p. 290-291.

4926.

ADA. 8 E 1960. Mission de La Roche-sur-Foron. Circulaire n° 1. 13 juillet 1958.

4927.

Revue du Diocèse d’Annecy, n° 20, 19 mai 1955, p. 290.

4928.

Ibid.

4929.

ADA. 8 E 1955. Mission de la vallée de l’Arve. Texte d’un communiqué de Mgr Cesbron.

4930.

Lettre Pastorale de Mgr l’Évêque d’Annecy au clergé aux fidèles de son diocèse sur l’apostolat (les leçons de La Mission Régionale), 18 pages, 29 janvier 1956.

4931.

Ibid., p. 7.