1. Des souvenirs de guerre

Le 1er juillet 1945, une cérémonie est organisée « à la mémoire des jeunes catholiques fusillés et victimes de la déportation »5084. La messe est célébrée à la cathédrale par l’abbé Jean Truffy, curé du Petit-Bornand, tout juste rentré de Dachau. Ce dernier, jouissant « d’une grande popularité »5085 souligne sa déception lorsqu’il constate que l’égoïsme règne toujours. Il parle « [du] même marché noir, [de] la même lâcheté, [du] même laisser-faire [que] jadis»5086. La liste des vingt et un principaux militants tués au combat est lue par le chanoine Clavel. Parmi les défunts, notons la présence de nombreux combattants des Glières, mais également de passeurs comme les frères Rousset, d’Évian-les-Bains.

Les combats des Glières prennent rapidement valeur d’exemple et plusieurs cérémonies d’hommage se succèdent. En juillet 1945, des jacistes de Morzine se rendent sur l’illustre plateau pour saluer Tom Morel ainsi que ses hommes. Le 13 juillet, l’abbé Truffy les accueille en évoquant la résistance et ses souvenirs de déportation. Le lendemain, les jeunes filles conduites par Renée Ballanfat5087, montent se recueillir sur la tombe du « lieutenant Morel, l’héroïque Tom »5088. Le rapporteur n’est pas fidèle dans son compte-rendu puisque nous savons que la tombe provisoire de Morel est relevée le 2 mai 1944, et son corps est transféré à Morette, avec celui de Georges Descours. Les jeunes filles se dirigent ensuite à Morette, où elles rendent hommage à Lucien Cotterlaz-Rannard, ainsi qu’aux jocistes de Bonneville. Dans le même numéro du Courrier Savoyard, nous apprenons que lors de l’apposition de la plaque à l’Hôtel de France, en hommage à Tom Morel, Georges Descours et Jean Frizon, « tous les mouvements de jeunesse sont invités à y participer »5089. Glières prend une place importante dans l’histoire de la Résistance. Pour les mouvements de jeunesse, ce rassemblement occupe une place particulière, puisque plusieurs membres de l’équipe fédérale de l’ACJF s’y retrouvaient5090. De plus, des membres de tous les mouvements s’y regroupent sous la direction d’un ancien scout5091.

En septembre 1946, ce sont six mille jeunes qui se retrouvent à Annecy pour le premier rassemblement des mouvements de l’après-guerre5092. Cette cérémonie se déroule bien, même si « la présence évocatrice et émotionnante [sic] de ceux des leurs qui payèrent de leur sacrifice suprême nos libertés reconquises (abbé Folliet, Lucien Cotterlaz-Rannard, Pierre Gavel et tant d’autres) » pèse sur les jeunes5093. Cette évocation a probablement pour but de rappeler aux vivants que ces sacrifices ne doivent pas rester vains. Tous doivent alors poursuivre la formation, les activités et l’affirmation de la foi.

Après avoir évoqué ces souvenirs récurrents, nous pouvons à présent nous intéresser à la reconstruction du pays. Il faut que les sacrifices des militants morts au combat servent pour le futur, c’est peut-être aussi pour cette raison que leur souvenir est évoqué de manière aussi fréquente. La guerre permet aux jeunes de participer à la vie politique. Cette participation déjà amorcée dans l’entre-deux-guerres, n’aurait peut-être pas été aussi massive et rapide si la guerre n’avait pas eu lieu. François Bédarida rappelle que « héritière de la voix d’Antigone, la voix des martyrs de la Résistance va résonner sans cesse »5094.

Notes
5084.

Le Courrier Savoyard, 7 juillet 1945.

5085.

ADHS, série 26 W 2. Note datée du 4 juin 1945.

5086.

Le Courrier Savoyard, 7 juillet 1945.

5087.

Elle est la fille d’Arthur Ballanfat, fusillé par les Allemands le 1er avril 1944. Ses deux enfants, déjà orphelins de mère, perdent tout puisque la maison est brûlée. Entretien avec René Rey, née Ballanfat († 2007).

5088.

Le Courrier Savoyard, 7 juillet 1945. En fait, le journaliste se laisse emporter par sa plume, puisque les corps de Morel et Descours ont été transférés à Morette en mai 1944. La croix rappelant l’emplacement des tombes est posée en présence de l’abbé Truffy, peu de temps après son retour des camps. Il est d’ailleurs intéressant de souligner que la croix présentée aujourd’hui à Morette, est totalement différente de celle présente sur les photos de 1945. Nous pouvons dès lors nous demander s’il s’agit bien de la bonne croix.

5089.

Le Courrier Savoyard, 28 juillet 1945.

5090.

Entretiens avec André Fumex et Alphonse Métral.

5091.

Tom Morel était scout. Des membres de la JAC, de la JOC, de la JIC, s’y trouvent, tout comme certains ayant été membres du mouvement des Avants-Gardes.

5092.

Le Courrier Savoyard, 7 septembre 1946. À cette occasion, les jeunes de la jeunesse catholique adressent un message. Revue du Diocèse d’Annecy, n° 37, 12 septembre 1946, p. 521.

5093.

Ibid.

5094.

f. bédarida, « Les jeunes chrétiens face à la politique 1944-1945 », in Chrétiens …, t. 2, La France, p. 500.