La reconstruction passe aussi et d’abord par une reprise normale des activités de l’action catholique. Cette étape de rénovation passe aussi par la politique, dans laquelle des jeunes font leur entrée. Nous tenterons de montrer pourquoi et comment ils « font » de la politique. La guerre a été sur ce plan un tremplin pour toute une partie de la jeune génération.
Les comités diocésains des jeunesses catholiques reprennent leurs activités « administratives » dès l’automne 1944. Dans une lettre du 1er septembre, Rémy Montagne, membre du comité général de l’ACJF, rappelle la nécessaire reprise d’activités. Il souligne que les équipes fédérales doivent se reconstituer et reprendre leur programme et leurs campagnes, sous la direction de leurs Secrétariats Généraux. Il les invite à se réunir en conseil diocésain pour faire le point sous la direction du président diocésain assisté de son aumônier5112. Des réunions de ce genre ont lieu dans le diocèse. Les jeunes organisent leur premier congrès diocésain, le 4 octobre 1944, à Annecy5113. C’est à cette occasion que Charles Bosson, âgé de trente-cinq ans, cède sa place à Félix Gavel, alors qu’André Fumex devient secrétaire général5114. Le compte-rendu nous apprend que les « dirigeants responsables des mouvements spécialisés […] s’inclinent pieusement devant leurs jeunes camarades tombés pour la libération de la France [et qu’ils ] s’unissent à tous leurs frères prisonniers ou déportés […] qui continuent le combat splendidement »5115. Les participants souhaitent que l’union de la « jeunesse française dans la lutte contre le nazisme se réalise plus forte encore dans la reconstruction du pays »5116. Certains mouvements vont se regrouper à la fin de l’année pour poursuivre ce dessein, mais les réalisations ne seront qu’éphémères. Les dirigeants choisissent de travailler à l’établissement « du nouvel ordre chrétien »5117 et surtout d’accentuer la formation des militants, cette dernière devant les préparer « aux tâches de demain »5118. Certains jeunes participent à la vie politique, alors que d’autres s’investissent dans des réalisations de la JAC, pensons par exemple aux maisons familiales rurales.
La guerre a probablement fait évoluer les mentalités et marquer les esprits. En mai 1945, un rapport des renseignements généraux signale qu’une « certaine inquiétude commence à percer parmi la partie saine de la population en constatant qu’une bonne partie de notre jeunesse a totalement perdu l’amour du travail. Cette mentalité s’est propagée jusque dans les campagnes les plus reculées où les éléments jeunes laissent entendre que l’argent n’a plus de valeur et qu’il ne faut travailler que pour soi-même sans se soucier d’autrui »5119. À l’évidence, les jacistes ne peuvent laisser une telle situation, c’est pourquoi le président fédéral de la JAC, Léon Vez, invite ses militants à suivre les directives de l’évêque qui souhaite que « le travail continue »5120, car il faut que les jacistes soient prêts « pour la vraie révolution »5121. Nous pouvons être surpris par l’utilisation du terme de « révolution », mais comme le souligne François Bédarida, tous les jeunes chrétiens « portés par l’atmosphère d’exaltation de la Libération se trouvent unis dans la volonté de travailler à la reconstruction du pays et d’œuvrer pour le renouveau, que la plupart, selon le langage du jour, baptisent du nom de “révolution” »5122. Il est aussi exact qu’une révolution est une évolution, un changement important dans l’ordre moral, social…, et les mouvements de jeunesse souhaitent effectuer ces changements. Ils ne vont d’ailleurs plus être de simples spectateurs, mais bien des acteurs de ces bouleversements.
Léon Vez rappelle que la JAC est incontestablement la « plus grande force organisée [du] monde rural », et que le monde à reconstruire a besoin « d’élite »5123. Pour cela, il donne plusieurs consignes à ses militants. Il leur demande de poursuivre leur formation, tout comme la culture générale, parce que la paysannerie a besoin d’hommes « cultivés et compétents »5124. Les paysans, grâce notamment à la JAC, n’ont plus à rougir de leur condition, ils peuvent être fiers d’être des cultivateurs, leur chant le rappelle d’ailleurs et ils ne doivent plus avoir peur d’occuper une place dans la société5125. Par l’organisation de différents services, notamment des EAC5126, ils ont pu acquérir des connaissances, renforcées par les lectures recommandées par le mouvement. Les semaines rurales leur ont permis d’améliorer leurs connaissances du métier, et les enquêtes, de prendre conscience des manques et des besoins de ce monde rural. Autant d’exemples qui permettent au président de parler d’hommes à la fois cultivés et compétents. La seconde consigne demande l’aide « par tous les moyens »5127 au mouvement, cette dernière est surtout basée sur la prière, la « journée du dimanche » doit d’ailleurs être offerte pour la JAC, par les militants et les aumôniers. Il demande également à tous de se conformer au règlement des cotisations car, sans cette aide financière, le mouvement est fortement handicapé. Les autres mouvements tiennent aussi des réunions, mais les comptes-rendus sont particulièrement concis. Le président jaciste demande également aux parents des militants de faire preuve d’une grande compréhension vis-à-vis du choix de leurs enfants. Pour de nombreux agriculteurs, il s’agit de temps du travail de la terre qui est perdu par la préparation des enquêtes ou par les réunions. Sans doute les aînés ne se rendent-ils pas encore compte de tout le bien que pourra amener la JAC dans les campagnes5128.
Les jeunes filles tiennent leur conseil diocésain de la jeunesse féminine, les 7 et 8 octobre 1944, à Annecy. Une session de responsables JACF se tient à La Roche-sur-Foron en décembre 1944. À cette occasion, les jeunes filles constatent que leurs camarades subissent le « contre coup moral des événements »5129. Les jacistes s’aperçoivent que quelques fois, les jeunes sont abattues, mais « le plus souvent [les jeunes] cherche[nt] à s’étourdir par l’amusement »5130. Marie-Louise Lefebvre-Beetschen, présidente fédérale pendant la guerre, nous rappelait que la reprise des bals avait été concomitante de la baisse des effectifs de la JACF5131.
La JOC, « vrai levain pour la classe ouvrière, […l’] âme du relèvement de la jeunesse ouvrière »5132, effectue un grand travail dans l’avant-guerre ; la fin du conflit et la reprise d’activités normales lui permettent de faire de nouvelles revendications.
Le 10 octobre 1944, à Annecy, se tient une réunion jociste au cours de laquelle Paul Paclet expose les principales revendications du mouvement, à savoir l’obligation de la scolarité jusqu’à seize ans, le développement de l’orientation professionnelle, l’organisation de l’apprentissage. Il souhaite également que trois semaines de congés payés soient accordées au moins de vingt ans et que des visites médicales trimestrielles soient organisées5133. Ces mesures semblent d’ailleurs être parmi les plus urgentes. Sans doute, l’obligation de se rendre en classe jusqu’à seize ans viserait à permettre aux futurs ouvriers d’acquérir des connaissances leur permettant d’évoluer plus tard dans le monde de l’usine. Le problème de l’apprentissage a déjà été évoqué lors de réunions au cours de la guerre5134. Un tract jociste destiné à être distribué lors d’un meeting en novembre 1944, comporte les mêmes thèmes que ceux abordés lors de cette réunion d’octobre5135. Le tract débute par un rappel concis de la situation difficile vécue par la classe ouvrière, puis il rappelle que les jeunes doivent profiter « de ce souffle de liberté, de justice, de fraternité pour achever cette libération de la jeunesse ouvrière »5136. Un manifeste de la JOC est ensuite présenté, s’orientant autour de quatre points essentiels de la vie du jeune travailleur, à savoir la vie au travail, de famille, de loisirs et de jeune citoyen. Pour la vie de travail, la JOC se préoccupe des jeunes livrés trop tôt à l’usine, et pour eux, les jocistes demandent plusieurs choses dont « la révision de l’enseignement, permettant un stage sérieux de préparation au travail et à toute la vie ouvrière »5137, cela s’accompagnant d’une aide pécuniaire « à la famille et un salaire progressif et éducatif pour le jeune »5138 de l’orientation professionnelle. Nous constatons que les jocistes s’appliquent à améliorer le mieux possible la situation de ces jeunes contraints d’entrer rapidement à l’usine, souvent pour aider leur famille. La JOC se préoccupe également de la formation dispensée au sein de l’entreprise pour ces jeunes, préconisant non pas des cours du soir, trop inefficaces, mais plutôt des heures de cours dispensées pendant la journée de travail. Les militants souhaitent que les ouvriers puissent avoir « dans la liberté syndicale le droit absolu d’adhérer au syndicat de [leur] choix »5139, cela montre que les jocistes ont un esprit large. La santé des ouvriers est également une préoccupation pour les jocistes, puisqu’ils demandent une « application stricte des lois sur la durée du travail, le travail de nuit… »5140. Le travail hebdomadaire est également souhaité, pour permettre à l’ouvrier de se reposer et de profiter de son foyer, de ses enfants notamment, s’il est marié. Le mariage et le foyer font partie des préoccupations jocistes, puisqu’il faut construire chrétien. Pour cela, ils militent pour le « retour de la mère au foyer »5141 et ce de façon à ce qu’elles puissent dispenser une éducation correcte et chrétienne à leurs enfants. La présence des femmes mariées dans les usines a été plus ou moins bien tolérée pendant la guerre, au regard des circonstances, mais une fois la paix revenue, les ouvriers préféreraient voir les femmes de retour au foyer, plutôt qu’à l’usine. La JOC milite pour « l’institution immédiate du prêt au mariage »5142. Pour permettre aux familles de vivre décemment, les jocistes demandent, et espèrent obtenir « la destruction progressive des taudis, l’aménagement des égouts et fosses d’aisance »5143. Ces souhaits s’appliquent également au problème de la santé, puisque par ces suppressions, les chances de faire baisser la tuberculose sont possibles. Toutes ces intentions montrent une nouvelle fois, combien les militants appliquent les principes d’aide aux autres, pour leur bien. Le troisième point important de ce manifeste concerne les loisirs. Ces derniers doivent être « sains et éducatifs »5144, car les jocistes « en ont assez de la commercialisation des loisirs »5145 c’est-à-dire « les bistrots, les boîtes louches […] les films immoraux ou à l’eau de rose »5146. Les jocistes se refusent à tout « paternalisme sur les organisations de loisirs […] de même qu’à leur étatisation dans les Maisons de Jeunes »5147. Les jocistes ont des loisirs qui leur sont propres, et ils souhaitent les garder comme tels. Pour l’amélioration de la vie citoyenne, les jocistes aimeraient qu’un « jeune citoyen compétent »5148 prenne en main les intérêts des jeunes travailleurs. Cela se comprend aisément, puisque qui mieux qu’un jeune peut comprendre un jeune, en effet, les préoccupations d’un homme de quarante ans ne sont pas les mêmes que pour un de vingt-cinq ans.
Les jocistes s’intéressent aux prisonniers de guerre, aux requis du STO et aux déportés, qui ont tout quitté, et qui doivent pouvoir retrouver un emploi, perdu pour la Patrie, bien souvent. Le retour à la vie professionnelle de ces personnes doit être assuré, la JOC exige qu’ils soient réintégrés dans un milieu « de travail de leur choix »5149, le reclassement doit tenir compte de la santé des revenants. N’oublions pas que nombreux sont les prisonniers à revenir avec des problèmes pulmonaires, d’estomac, etc. Leur santé s’est fragilisée, notamment en fonction des endroits de détention, à l’évidence, un prisonnier travaillant dans une mine de sel n’a pas les mêmes risques qu’un travaillant dans une carrière de pierres. La JOC demande que ceux qui reviennent d’exil puissent bénéficier des « avantages de l’ancienneté comme s’ils n’avaient pas quitté le travail »5150. Les revendications émises au lendemain de la guerre sont une synthèse des campagnes d’années effectuées avant le conflit. Nous pouvons rappeler les thèmes de ces campagnes : en 1937, la campagne porte sur « l’avenir professionnel des jeunes »5151, l’année suivante c’est « la création des délégués des jeunes »5152, la campagne 1938-1939 s’intéresse à la « troisième semaine de congés payés », et celle de l’année suivante se préoccupe de « la morale des jeunes travailleurs »5153. Sans doute, la guerre permet aux jeunes de constater combien les thèmes étudiés sont importants. Le dernier thème semble être celui qui a le plus préoccupé les jocistes tout comme la hiérarchie. Le développement de la JOC entraîne celui de la CFTC. Ce syndicat, déjà présent depuis le milieu des années Vingt dans le diocèse, connaît une nouvelle impulsion en 1936. Henri Molinos, rappelle que la CFTC naît officiellement dans le diocèse en 1937, sous « la direction de M. Charpail » qui a largement contribué à l’extension du syndicalisme, notamment dans la région de Thônes5154. En 1945, la CFTC compte trois mille huit cent quarante-sept membres5155. Son président est l’ancien jociste annécien puis délégué régional, Alphonse Métral. C’est lui qui signe une revendication du comité d’Unité d’Action CGT-CFTC, en 1945. Dans cette dernière, les syndicats demandent que l’allocation militaire des ouvriers soit égale au salaire de base et que des allocations familiales soient versées pour les enfants5156. Christian Sorrel rappelle que « les responsables de la CFTC sont favorables à l’union avec la CGT par fidélité au combat commun »5157.
En 1945, la JOCF se préoccupe du « statut légal de la jeune travailleuse »5158. Pour cela cent vingt-cinq responsables JOCF émettent cinq propositions, parmi lesquelles un salaire leur permettant de « vivre librement et d’envisager l’avenir avec confiance »5159, que la « dignité de femme soit respectée par leurs chefs »5160, ou encore que « l’argent ne fasse plus la loi en France »5161. C’est sur ces points que les jeunes filles vont s’appliquer à travailler pour permettre une évolution du milieu et de leur condition.
Le mouvement ouvrier est celui qui connaît le plus d’évolutions aux lendemains de la guerre. Si la JOC se préoccupe des changements nécessaires dans son milieu, le mouvement d’adulte tend à se détacher de plus en plus de l’action catholique et en 1950, l’Action Catholique Ouvrière (ACO) fait son apparition.
Un autre mouvement dont l’organisation était déjà amorcée à la veille de la guerre semble reprendre lentement ;il s’agit de la JEC. Le 21 février 1946, les jécistes de l’enseignement libre, malgré des difficultés de communications, se réunissent à Annecy en présence du RP Ferrand, aumônier national5162 et de Mgr Cesbron. Le RP Ferrand rappelle l’importance des rapports entre la formation et l’action. C’est en réfléchissant à ces questions que les « idées jaillissent » et que la JECF « se redécouvre en pleine vie, à l’aide d’exemples vécus apportés par les jécistes »5163. C’est ainsi que des jécistes thononaises montrent à l’aide de tableaux vivants la transformation d’une vie de famille par la JEC. L’évêque « avec sa bonté habituelle » encourage les jeunes filles leur demandant de se préparer par la JECF d’aujourd’hui à l’action catholique de demain5164.
Les jeunes, qui sont l’espoir de chaque génération pour « créer un renouveau » afin de « correspondre plus activement à l’évolution d’une époque » et pour « essayer […] de faire triompher des idées, en les incarnant, en vue de promouvoir des institutions nouvelles qui régiront la nouvelle société »5165. Pour réaliser ce dessein, un certain nombre de militants d’action catholique prennent part à la vie politique.
ADA. 4 K ACJF. Voir annexe n° 94.
Le Courrier Savoyard, n° 1, 14 octobre 1944.
Ibid. Cela équivaut au secrétaire permanent d’avant-guerre.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
ADHS, série 26 W 2.
Le Courrier Savoyard, n° 1, 14 octobre 1944.
Ibid. L’abbé Dufournet, aumônier de la JAC, déclare pour sa part, que la « révolution a commencé avec la libération du sol » dans le Le Courrier Savoyard, 28 octobre 1944.
f. bédarida, « Les jeunes chrétiens face à la politique 1944-1945 », in Chrétiens …, t. 2, La France, p. 493.
Le Courrier Savoyard, n° 1, 14 octobre 1944.
Ibid.
Pendant le conflit, de nombreux citadins se sont trouvés heureux de posséder quelques connaissances à la campagne.
Études Agricoles par Correspondance.
Le Courrier Savoyard, n° 1, 14 octobre 1944.
En décembre 1944, il demande « beaucoup de compréhension, un peu de temps libre [et] des encouragements » da la part des parents jacistes. Le Courrier Savoyard, 23 décembre 1944.
Ibid., 6 janvier 1945.
Ibid.
Entretien avec Marie-Louise Lefebvre-Betscheen, décembre 2003.
Le Courrier Savoyard, 14 juillet 1945.
Jeune Savoie, n° 2, novembre 1944.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 33-34, 14 août 1941, p. 623.
ADA, 4 K JOC/F.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
ADA, 4 K JOC/F.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
x. montclos (de), Église et Chrétiens…, La France, op.cit, t. 1,p. 358.
Ibid.
Ibid.
ADA. 4 K ACGH. Rapport présenté par Molinos en 1951.
ADHS, 47 W 3.
Ibid. Le tract est signé par Charrier pour la CGT et par Métral pour la CFTC.
c. sorrel, dir., Dictionnaire du monde religieux…, La Savoie, op. cit., p. 34.
Le Courrier Savoyard, 7 avril 1945.
Le Courrier Savoyard, 7 avril 1945. Au 17 octobre 1945, la JOCF compte vingt-et-une sections dont trois nouvelles (Ville-la-Grand, Bonneville, Sallanches et une en formation au Fayet). Elle compte huit groupes JOCF, à savoir Thonon, Ambilly, Ville-la-Grand, Saint-André d’Annemasse, Cran (Pont-Neuf), Saint-Maurice d’Annecy et Ugine. ADA. 4 K JOCF 1935-1946.
Ibid.
Ibid.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 11, 14 mars 1946, p. 145.
Ibid.
Ibid.
ADA. 4 K ACJF (Divers). Rapport de synthèse présenté par André Fumex, le 10 septembre 1950.