1. Pourquoi mettre en place une pastorale d’ensemble ?

Avant d’évoquer les raisons poussant le clergé à mettre en place cette structure, il nous semble nécessaire de rappeler dans quel cas il convient de parler de pastorale d’ensemble. L’utilisation de ce terme ne semble pourvoir se faire que si trois éléments sont réunis. D’abord, si elle est la pastorale que « veut et décide l’évêque »5472. Ensuite, si son « organisation est diocésaine, c’est-à-dire envisagée pour tout le diocèse et d’une façon permanente », cela n’exclut pas « des efforts plus marqués dans le temps et dans l’espace comme pour les missions régionales ». Enfin, si « elle tend à intégrer et à coordonner toutes les forces apostoliques du diocèse, c’est-à-dire, les divers ministères sacerdotaux ; les diverses forces de la vie religieuse ; les divers mouvements et œuvres d’apostolat des laïcs »5473.

Il semble que la situation préoccupante du monde ouvrier soit à l’origine de la prise de conscience de la rupture entre le monde et l’Église. En regardant de plus près cette question, le clergé – aidé des laïcs – s’est aperçu que « cette distance » n’était pas seulement « le fait de la classe ouvrière » et « que le signe sensible n’était pas toujours et pas partout un abandon des devoirs religieux. Le mal était plus subtil, et c’est pourquoi les régions pratiquantes ont mis du temps à le découvrir »5474. En effet, un phénomène risquait de se produire : celui du « “double secteur” de la vie »5475. Il s’agit pour un individu d’agir en chrétien fidèle, dans l’église, le dimanche ; mais d’agir en matérialiste – consciemment ou non – toute la semaine5476. C’est alors que « la vie et la religion se détachent l’une de l’autre, sans mauvaise volonté des hommes, mais par le mouvement des choses elles-mêmes. D’où, pour le prêtre, le sentiment lourd d’impuissance radicale et même tentation vague de découragement »5477. Cependant, avec le travail effectué, par les laïcs de l’ACJF et par les prêtres, des progrès « qualitatifs » apparaissent. Toutefois, comme le constate le chanoine Boulard, « le christianisme est en progrès dans [les] églises et parmi les pratiquants [mais] il est en recule dans la vie sociale »5478. Comme nous l’avons vu précédemment, les travaux de sociologie mettent en évidence le poids que les conditionnements collectifs (région géographique, milieu social, groupe d’âge) peuvent avoir sur les individus. Ces recherches permettent également d’éclairer le clergé impuissant sur les causes probables de cette situation. Il semble donc que les recherches de sociologie soient à l’origine du changement de la vision « pastorale habituelle »5479. Le clergé prend alors conscience que la pastorale « standard » ne correspond plus aux attentes des contemporains, et qu’il devient nécessaire de prendre en considération un ensemble géographique, et non plus une seule paroisse.

C’est donc petit à petit, que le clergé découvre le rôle de l’unité humaine. Cette zone naturelle – grande, au maximum, comme cinq archiprêtrés – est la base de l’organisation de la pastorale d’ensemble, à qui elle donnera d’ailleurs son nom5480. À cette période, les recherches effectuées mettent l’accent sur le rôle d’attraction que peut jouer une ville, au niveau local. C’est donc autour de cette attraction que se mettent en place les zones pastorales. Il semble que ce soit « expérimentalement qu’est apparue, entre le diocèse et le doyenné, une réalité humaine d’ordre collectif », ce que l’on nomme la « zone humaine »5481. La zone a alors pour « fonction de saisir la réalité sociale en vue d’élaborer la “pastorale sociale” »5482.

En 1957, Pie XII rappelle que « la conversion individuelle ne peut suffire », ajoutant qu’il « faut susciter, parmi les fidèles, un effort collectif de renouveau chrétien de la société »5483. Dans une certaine mesure, la pastorale d’ensemble répond aux attentes pontificales. La zone « humaine » devient « zone pastorale ou apostolique »5484. S’il est important d’avoir mis en évidence l’existence de ces régions naturelles, il n’en reste pas moins qu’il fallait également « la convergence de toutes les forces de l’Église : clergé, état religieux, laïcat »5485. Cette réflexion est faite de manière concomitante par le Père Motte, fondateur du CPMI, et par le chanoine Boulard. Nous retrouvons ici ce que nous évoquions précédemment à propos des missions régionales, lorsque nous déclarions que plusieurs structures se mettaient en place au même moment, sans que l’on sache vraiment laquelle était la première.

Il apparaît rapidement que le prêtre, seul et isolé dans sa paroisse, ne peut suffire à la tâche. C’est pourquoi, la mise en place de commissions pastorales devient nécessaire. Contrairement à la commission d’évangélisation, celle-ci se compose uniquement de prêtres volontaires5486. Cette commission pastorale est « une sorte de “radar” dirigé en permanence sur un point prévis de la vie sociale des hommes de la région »5487. En effet, chacun des membres observe, avec attention, le milieu pris en charge par la commission. Il écoute les paroissiens qui y vivent ou les militants d’action catholique qui y travaillent. C’est au cours de la réunion, regroupant tous les prêtres du secteur, que chacun fait part des réflexions ainsi obtenues. Ce système de travail n’est pas sans rappeler celui que les mouvements d’action catholique effectuent avec leur enquête.

Pour les prêtres, trois éléments importants se dégagent de ces réunions. D’abord, la pastorale paroissiale doit être orientée en fonction des constats dressés par l’enquête. Puis, par ces constats, il leur appartient d’essayer de repérer les militants d’action catholique capables de les aider, et ainsi les amener à prendre conscience de leurs responsabilités chrétiennes, et à les orienter vers « le mouvement d’apostolat qui peut les soutenir »5488. Enfin, le prêtre doit se remettre en cause, il doit faire « une révision de vie », comme dans les mouvements d’action catholique, pour voir si, dans son attitude, dans ses propos, il ne « participe pas au péché qu’il découvre chez les autres »5489.

La pastorale d’ensemble fonctionne sur un secteur défini. Cependant, afin qu’elle puisse avoir une meilleure efficacité, il faut qu’elle soit organisée au niveau diocésain. La mise en place de ces nouvelles structures intervient simultanément au travail des missions régionales. Malgré le travail réalisé pendant les missions, il est peu probable qu’une zone humaine « demeure sur sa lancée si le diocèse en sa tête n’est pas derrière pour la soutenir »5490. La pastorale répond donc à une organisation spécifique, qui est placée sous l’autorité de l’évêque.

Cette nouvelle pastorale qui demande la collaboration active de toutes les forces religieuses, qu’il s’agisse du clergé paroissial, des religieux ou des laïcs, met largement à contribution les mouvements d’action catholique. D’ailleurs, au départ, la question de la survie même de l’action catholique se pose. En effet, certaines personnes craignaient que les commissions ne doublent finalement les mouvements. Or, dès 1959, le chanoine Boulard apporte des précisions en révisant la situation, et « le court-circuit » redouté entre action catholique et pastorale d’ensemble n’a pas eu lieu5491.

Notes
5472.

ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970.

5473.

Ibid. Réflexions sur la pastorale d’ensemble.

5474.

Ibid. Impératifs et modalités de la pastorale d’ensemble, septembre 1962, p. 1.

5475.

Il s’agit d’un thème proche de celui déjà présent au XIXe siècle, qui est celui de la double conscience. Ce dernier s’appliquant davantage à la question politique, où l’individu n’agissait pas toujours de la même façon selon s’il était citoyen ou chrétien. Il pouvait exprimer un vote républicain, tout en assistant régulièrement aux offices.

5476.

ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Impératifs et modalités de la pastorale d’ensemble, septembre 1962, p. 1.

5477.

Ibid.

5478.

Ibid.

5479.

Ibid., p. 2

5480.

Au départ, on parle de « Pastorale diocésaine d’ensemble à base de zones humaines ».

5481.

ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Document sur la pastorale d’ensemble, p. 1. Ce document rappelle que le choix du mot « zone » provient du fait que pour « le français moderne le mot de “région” recouvre une réalité plus vaste. Ce qui est donc recherché, c’est le phénomène humain et non la réalité du sol ou du sous-sol ».

5482.

ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Document sur la pastorale d’ensemble, p. 6.

5483.

ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Impératifs et modalités de la pastorale d’ensemble, septembre 1962, p. 2.

5484.

Ibid.

5485.

Ibid.

5486.

Entre huit et dix prêtres. La commission d’évangélisation, elle, se compose surtout de laïcs.

5487.

ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Impératifs et modalités de la pastorale d’ensemble, septembre 1962, p. 2.

5488.

Ibid., p. 3.

5489.

Ibid.

5490.

Ibid.

5491.

ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Pastorale d’ensemble et action catholique, 1961.