En 1959, à l’occasion d’une retraite tenue dans le diocèse, le chanoine Boulard déclare que « la pastorale d’ensemble c’est le ciment qui relie tout. Ce n’est pas quelque chose à côté de l’essentiel, c’est l’essentiel. Elle se fait par les conseils de zones5492 qui coordonnent toute l’activité spirituelle d’une région économique. Elle se fait par les commissions dont le premier but n’est pas la référence économique et sociale, mais la réflexion du clergé et l’adaptation de sa pastorale à la situation actuelle ; elles [les commissions] doivent aider les prêtres à être les éducateurs de la foi. Elle se fait par les réunions d’archiprêtrés »5493. Comme le souligne le chanoine Boulard, la pastorale d’ensemble est très structurée. Elle répond à des besoins précis par une organisation clairement établie. L’évêque en est le directeur, et il doit apporter des modifications à son administration diocésaine afin de mieux répondre aux besoins nouveaux. Les archidiacres retrouvent une mission « d’abord et principalement pastorale »5494. Ensuite, la mise en place d’un conseil diocésain de pastorale doit se faire. Il a pour but de permettre les rencontres fréquentes entre l’évêque et ses collaborateurs, chargés de la question pastorale.
Les conseils de zone, présidés par l’Ordinaire, sont organisés au moins une fois par an. Ils regroupent les archidiacres – en charge des secteurs – les doyens, les responsables des commissions, le directeur de l’action catholique, les supérieurs des collèges tenus par des ecclésiastiques et des prêtres. La préparation de ces rencontres se fait à la fois, sur le plan diocésain, avec les archidiacres, et sur le plan de la zone, où les doyens et les chefs de commissions expriment leurs désirs. Chaque participant joue un rôle précis. L’évêque préside même si c’est « l’archidiacre qui dirige et doit aider les présents à faire une révision de vie sacerdotale ». Les doyens, ou archiprêtres, se chargent de « toute la vie » et se « préoccupent du doyenné », alors que les « chefs de commissions » font le « point sur leur travail et soumettent leur conclusion pour obtenir un avis »5495.
Ces conseils de zone ont plusieurs buts. D’abord, ils doivent permettre à l’évêque d’être informé « des vrais problèmes de pastorale »5496. Ensuite, ils doivent empêcher les « commissions de s’endormir ou de dévier ». Enfin, « de faire progresser, en nombre et en qualité, les rencontres décennales »5497, notamment en obligeant les membres à « regarder les problèmes pastoraux prioritaires » et en soutenant « l’action catholique dans la zone »5498.
Un responsable de zone est désigné, il n’est pas « celui qui sait tout, mais celui qui sait où se trouvent les gens compétents et qui provoque leur insertion dans l’action de la zone »5499. C’est à lui qu’incombe la réalisation progressive du plan d’évangélisation de la zone. Afin de permettre une meilleure collaboration, ce sont les archidiacres et/ou les vicaires généraux qui prennent la tête de ses zones5500. Les vicaires généraux sont d’ailleurs « déchargés des autres tâches pour s’occuper » uniquement de la pastorale d’ensemble5501. Chacun prend la tête de trois zones contiguës. Dans le diocèse, les responsables de zones sont les vicaires généraux – et archidiacres – en charge des archidiaconés de Thonon et d’Annecy5502. Le chanoine Boulard semble toujours être présent pour répondre aux questions, et aux attentes du clergé, du moins dans les premières années, celles de la mise en place. En effet, il est sollicité par le chanoine Duret, vicaire général, pour recevoir et commenter les comptes-rendus des réunions tenues dans les différentes zones du diocèse. C’est le 14 mai 1958 que le chanoine Boulard donne un accord favorable à la demande du vicaire général5503. Le 16 juillet 1959, il le remercie pour la fidélité avec laquelle il lui adresse les comptes-rendus des « travaux effectués dans les zones »5504.
Des critères précis définissent le découpage des zones, tout comme ils précisent les caractéristiques nécessaires à la mise en place des commissions. Pour être « viable[s] »5505, les zones rurales doivent être composées au « minimum de trois cantons » et « au maximum de cinq »5506. Leur population doit osciller entre vingt et cinquante mille habitants, et ce sont au minimum « vingt prêtres du ministère paroissial » qui doivent se regrouper5507. Les zones urbaines, à elles seules, peuvent également composer un secteur, tel est le cas pour Annecy. Une note s’intéressant à la mise en place des zones apostoliques précise que les zones urbaines concernent principalement « les agglomérations de quarante mille habitants », mais qu’il est possible de leur adjoindre « le territoire rural qui […] entoure » l’agglomération5508. Tel est le cas pour le secteur d’Annemasse, qui groupe l’agglomération et les quelques communes rurales qui sont attirées par l’espace urbain.
Les limites de zones évoluent et il semble qu’une période de deux années soit nécessaire pour permettre un bon découpage des secteurs. Tel est le cas pour le secteur de « Thônes-Faverges-Ugine » qui groupe trois cantons, auxquels s’ajoutent quelques communes de ceux d’Annecy nord et d’Annecy sud5509. En 1956, ces zones sont présentées comme étant deux entités différentes (Thônes et Faverges-Ugine)5510, ce qui semblait plus correspondre à la réalité du terrain5511.
Dans chaque zone, des commissions pastorales se mettent en place. Elles varient selon les besoins de chaque secteur et ne doivent pas être plus de trois5512. Le nombre de leurs membres varie entre cinq et sept, l’idéal étant que chaque archiprêtré puisse envoyer au moins un prêtre dans chaque commission. D’autant plus qu’avec cette organisation, la liaison « permanente entre le travail des commissions et celui des doyennés est plus facilement assurée »5513. Elles portent leur attention sur un « point précis de la vie sociale » et sont en « quelque sorte […] un bureau d’étude sacerdotale au service de l’action pastorale locale (paroisses) ou d’ensemble (zone) »5514. En 1960, le chanoine Boulard écrit à propos des commissions : « Oui, insistez patiemment pour qu’elles s’articulent bien avec les archiprêtrés, c’est un point capital »5515.
Il n’existe pas de programme pré-établi pour les questions que les commissions doivent traiter. Les résultats livrés par l’enquête sociologique sont souvent à l’origine des premières questions étudiées par les commissions pastorales. Les prêtres sont invités à collaborer avec les mouvements d’action catholique déjà existants dans le secteur, de manière à ce que ces derniers puissent fournir au clergé les réflexions sur les différents milieux5516. Les commissions n’agissent pas directement, elles sont avant tout des lieux de recherches. Elles « débouchent dans l’action »5517 par les journées pastorales de zones, ou par la mise en place de mouvements d’action catholique, là où ils ne sont pas organisés. Afin d’offrir une meilleure efficacité, les commissions organisent des réunions, où un plan de travail précis est mis en place5518. La collaboration avec le laïcat est activement recherchée, puisque le seul regard sacerdotal ne peut pas suffire à comprendre certains faits de la société.
Le questionnaire est au centre des travaux des différentes commissions. Il est réalisé en équipe par les commissions et en relation avec les laïcs5519. Les membres de la commission effectuent, dans leur paroisse, ce qu’on pourrait appeler un questionnaire pilote. Ce dernier est destiné à connaître la faisabilité de l’enquête, à l’échelle de la zone. Les membres sont également invités à prévoir la façon dont ils devront traiter l’information, et surtout quels points précis pourront être utilisés efficacement.
Comme pour les missions régionales, des réunions sont organisées, pour le clergé de la zone, ce sont les « journées pastorales »5520. Préparées par le conseil de zone, elles se tiennent annuellement5521. Cette périodicité permet ainsi de ne pas dévaloriser ces rencontres auprès des participants qui pourraient être lassés d’un nombre trop important de rassemblements. Suivant les cas, les réunions peuvent avoir lieu de façon trimestrielle, toutefois seule une commission se réunit à la fois5522. Dans la mesure du possible, l’évêque préside ces rencontres, et en cas d’impossibilité, il délègue l’archidiacre – en charge de la zone – pour le remplacer5523. Au cours de cette journée, qui réunit tous les prêtres de la zone, trois axes principaux sont étudiés. Il s’agit d’abord de s’intéresser à « l’action sacerdotale collective sur la vue sociale »5524. Ensuite, la pastorale ordinaire des archiprêtrés est révisée « en fonction du problème étudié ». Enfin, le dernier axe s’intéresse à l’action catholique, c’est-à-dire à son « renforcement […] et à son soutien par tout le clergé »5525. En 1959, 75 % du clergé participant aux journées pastorales, « y reste passif »5526. Cela ne doit pas faire perdre de vue qu’il semble être « pris par cette pastorale qui traite ses problèmes », et que de manière générale « la mentalité du clergé y est favorable »5527.
Les thèmes abordés lors des journées pastorales sont assez variés et fouillés. En 1961, dans la haute vallée de l’Arve, l’abbé Philippe, curé des Gets, présente le rapport, établi par la commission dont il est membre, et qui porte sur « les temps libres des employées d’hôtel », alors que l’abbé Bel, archiprêtre, expose la « présence sacerdotale au monde scolaire » ou encore que l’abbé Ducrey présente « l’épouse en tant que compagne de vie de son mari »5528. Dans la zone d’Annecy, l’abbé Benoît s’intéresse au « dimanche chrétien », alors que l’abbé Saultier porte son attention sur « le travail du dimanche »5529. En 1962, malgré le décès de Mgr Cesbron, les journées pastorales de zones se tiennent, et les thèmes abordés sont « les ruraux ouvriers et l’agriculture » dans la moyenne vallée de l’Arve, alors que pour la basse vallée de l’Arve, l’abbé Veyrat-Delachenal présente « le changement de mentalité des ruraux ouvriers »5530.
La mise en place d’une telle structure modifie-t-elle le comportement religieux dans le diocèse ? Il semble qu’elle permette en tout cas une meilleure appréhension des besoins réels des fidèles. Le fait de travailler en groupe, de collaborer avec les mouvements d’action catholique, permet au clergé de prendre conscience des efforts nécessaires pour maintenir les fidèles dans l’Église, d’avoir une meilleure compréhension des changements qui s’opèrent dans la société d’alors. Elle est en mouvement et le clergé doit s’adapter. Toutes ces modifications apparaissent à un moment où l’Église change, notamment avec l’élection de Jean XXIII, en 1958, qui marque une rupture. L’Église a besoin de revoir ses modes de fonctionnement5531.
La mise en place de cette nouvelle pastorale permet également au clergé de prendre conscience des nécessités qui s’imposent à lui en matière d’organisation plus administrative du territoire diocésain. En effet, certains centres urbains, comme Annecy ou Annemasse, connaissent une croissance importante, il est donc nécessaire de prévoir l’accueil des fidèles en construisant de nouvelles églises. Au cours de la dernière décennie de son épiscopat, Mgr Cesbron doit repenser une nouvelle organisation de l’espace en fonction de l’accroissement de l’espace urbain et de la démographie.
ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Pastorale d’ensemble et action catholique, 1961. En 1958, les zones du Chablais, de la Basse et de la moyenne vallée de l’Arve tiennent leurs conseils de zones en trois fois, alors qu’en 1959, un seul conseil a lieu par secteur.
Ibid. Cercle d’études du jeudi, septembre 1959.
Ibid. Impératifs et modalités de la pastorale d’ensemble, septembre 1962, p. 4.
Ibid. Précisions sur le conseil de zone.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Précisions sur le conseil de zone. Il est rappelé qu’il ne « faut pas de responsable de zone “isolé”, mais chacun très étroitement rattaché à son Évêque. C’est du reste pourquoi il semble préférable de chercher les solutions dans la direction d’un archidiacre ou vicaire général plutôt que dans celle d’un archiprêtre qui risquerait d’être moins étroitement soudé à son évêque ».
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 32, 5 décembre 1957, p. 565.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 32, 5 décembre 1957, p. 565.Le chanoine Duret est en charge l’archidiaconé de Thonon, alors que le chanoine Chauplannaz s’occupe de celui d’Annecy. ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Le dispositif pastoral du Chablais a été précisé le 18 décembre 1957 à Thonon-les-Bains. Le premier conseil de zone est tenu, pour ce secteur, le 21 janvier 1958.
ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Lettre du chanoine Boulard au vicaire général Duret, 14 mai 1958.
Ibid. Lettre du chanoine Boulard au vicaire général Duret, 16 juillet 1959.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Il s’agit des communes dont les paroisses composent l’archiprêtré de Dingy-Saint-Clair, alors que les autres sont celles de l’archiprêtré de Saint-Jorioz.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 50, 13 décembre 1956, p. 722.
Les habitants de la vallée de Thônes sont plus tournés vers Annecy que vers Ugine, alors que ceux de Faverges se rendent plus facilement à Ugine qu’à Annecy.
ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. La Revue du Diocèse d’Annecy de 1961 rappelle que « depuis 1958, plusieurs commissions ont disparu, d’autres sont nées au gré des besoins ». Revue du Diocèse d’Annecy, p. 394.
ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Pastorale diocésaine d’ensemble à base de zones humaines, p. 3.
Ibid. Pastorale diocésaine d’ensemble à base de zones humaines, p. 3. Il est écrit : « Pas trop de commissions dans chaque zone : deux ou trois au maximum. Le témoignage d’une ou deux commissions actives vaut mieux que celui de quatre commissions en demi-sommeil (en demi-sommeil parce que, trop nombreuses, on ne peut pas les suivre d’assez près ».
ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Lettre du chanoine Boulard soit à Mgr Cesbron, soit au vicaire général Chauplannaz, 14 octobre 1960. Le chanoine Boulard écrit « Monseigneur » à son correspondant.
ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. « On sera sage de consulter d’abord les mouvements d’action catholique déjà au travail dans la zone : il serait extraordinaire qu’ils n’aient pas déjà décelé les principaux problèmes … impliqués dans la vie sociale de la zone. Donner priorité à leurs objectifs assurera d’emblée plus intime collaboration avec eux et meilleure efficacité dans l’action d’ensemble ».
Ibid.
Ibid. Pastorale diocésaine d’ensemble à base de zones humaines, p. 4. « Ordre du jour attentivement prévu et envoyé – compte-rendu précis et lecture du compte-rendu au début de chaque réunion. Faire la guerre aux objectifs trop vastes ou trop vagues ».
ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970.
Ibid.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 32, 5 décembre 1957, p. 565.
ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970.
Ibid.
Ibid.
Ibid. Document « pastorale d’ensemble ».
ADA. 4 F VAP. Pastorale d’ensemble, 1956-1970. Document « pastorale d’ensemble ».
Ibid.
Revue du Diocèse d’Annecy, n° 19, 5 octobre 1961, p. 394-395.
Ibid.
Ibid., n° 19, 11 octobre 1962, p. 410.
Les nombreux départs qui se feront, au tournant des années 1960-1970, semblent résider dans le fait qu’il y avait une adéquation entre le mode de pensée et de fonctionnement, hérité du séminaire, et la réalité du terrain. Plusieurs prêtres n’ont pas supporté ces changements auxquels ils n’avaient pas été préparés. Certains n’ont pas accepté non plus les changements liés à l’Église d’alors.