L’entité féminine, l’autre composante de la cité.

Pour les Grecs anciens, la femme présentait un double visage. Née pour perdre les hommes2, elle formait une entité trouble aux multiples facettes : capable d’être à la fois consciencieuse, travailleuse, fidèle, le symbole même de la despoina - la maîtresse de maison probe et efficace, aux talents domestiques, à la fois mère et épouse - et un être tout à ses passions et désirs, elle-même désirable, séductrice, enjôleuse et ensorcelante qui pouvait égarer les hommes et les entraîner jusqu’à la folie. La femme idéale se devait d’être « Pénélope » par opposition à « Hélène », sans pour autant renier celle-ci. Sa représentation idéalisée trouvait ses modèles parmi les femmes de citoyens aisés qui géraient l’oikos, dirigeaient les esclaves, s’occupaient des enfants avec leur nourrice, recevaient des amies, pratiquaient des activités intellectuelles ou artistiques, musicales et littéraires, s’occupant de leurs toilettes, pratiquant le tissage (activité noble par excellence si ce n’était un travail rémunéré3). Elles n’avaient pas besoin de quitter l’oikos, mais elles ne vivaient pas enfermées dans le gynécée, effectuant des courses, se promenant, participant à des activités chorales, pratiquant des activités sportives, entretenant leurs corps4. Ces modèles présentaient une réalité sélective5, et si les images qu’ils transmettaient « dégageaient une vision positive de la société féminine et de la dignité de la femme6 », elles instauraient également une certaine vision idéalisée de l’univers féminin avec une femme belle, noble, élégante, digne, cultivée, travailleuse : une femme respectable.

Cette image de la femme idéale était reproduite dans la religion, sa biologie et son statut déterminant généralement les rites qu’elle devait accomplir. Ainsi, nombre de fonctions dont elles avaient la charge étaient en rapport avec la fertilité ou les tâches domestiques comme le tissage et le nettoyage. D’une certaine façon, la place des femmes dans la société se voyait dans la religion. Dans le domaine public, la femme n’était pas considérée comme une citoyenne à part entière mais en fonction du statut social de sa famille. De ce fait, elle ne jouait aucun rôle dans les charges politiques, même si dés l’époque hellénistique, l’évolution de la société entraîna une participation de plus en plus active des femmes des élites dans la vie publique en tant que bienfaitrices de leur communauté, en parallèle généralement de charges religieuses ou civiques. Toutefois, les femmes et filles de citoyens n’étaient pas de simples spectatrices de la destinée de la cité. Leur biologie les plaçait au cœur de la continuité de celle-ci, et leur participation dans les sphères religieuses les impliquait dans les affaires de la communauté7. Et si cette dernière cherchait à reproduire dans et par les rituels religieux l’image idéalisée d’une « Pénélope », le monde féminin qui s’exprimait à l’occasion de ces rites ne s’enfermait pas sur lui-même. La femme n’était jamais tout à fait « Pénélope » et les jeunes filles se devaient de devenir « Hélène ». Vivant, dynamique, ce monde se manifestait en fonction de ses propres règles tout en s’inscrivant dans les cadres impartis par les instances civiques.

Notes
2.

Il existe deux principaux récits, datant du VIIIème et VIIème av. J.C., de la création du genre féminin. Le plus connu est celui d’Hésiode (Théogonie, 580-590) qui raconte comment pour se venger du titan Prométhée qui avait offert le feu aux hommes, Zeus créa la première femme Pandora et l’envoya sur terre. Avec elle apparut maux et malheurs : la souffrance, la maladie, la vieillesse et la mort. L’autre récit par Sémonide d’Amorgos (Iambe des femmes) raconte que les femmes étaient issues de deux éléments et de huit espèces animales différentes, avec des vices et des tares sauf une, la mélissa, femme abeille, travailleuse, consciencieuse et aimante. Ainsi, la femme est, dés sa création imaginée, vue comme un mal pour les hommes ; mais c’est un beau mal car elle peut aussi engendrer un fils qui continuera l’homme par delà sa mort. (cf. N. Loraux, « Sur la race des femmes et quelques unes de ses tribus », p. 75-117 ; P. Walcot, « Greek Attitudes towards Women : the Mythological Evidence » Greece and Rome Vol. XXXI, n°1 (1984), p. 37-47.

3.

Cl. Bérard, « L’ordre des femmes », p. 86.

4.

G. Arrigoni, « Donne e sport nel mondo Greco »,p. 106 ; M. Golden, Sport and Society in Ancient Greece, p. 123-132.

5.

Toutes les femmes ne connaissaient pas les mêmes conditions de vie : esclaves, prostituées, femmes de citoyens, d’étrangers, riches ou pauvres, d’une cité ou d’une autre, leur situation différait. Et il y avait aussi de nombreuses différences parmi les femmes de citoyens : celles qui n’avaient pas les moyens financiers d’avoir des esclaves devaient s’occuper elles-mêmes des tâches ménagères et des enfants ; certaines travaillaient avec leurs époux dans les ateliers, les exploitations agricoles ou sur les marchés. (Aristote, Politique, IV, 15, 13 ; Cl. Mossé, La femme dans la Grèce antique, p. 59 ; I. Savalli, La donna nella società grecia, p. 86 ; N. Bernard, Femmes et sociétés dans la Grèce classique, p. 19 ; A. Bielman, Femmes en public dans le monde hellénistique, sur le rôle des femmes dans les sphères politiques, religieuses, économiques, professionnelles. Egalement, S. B. Pomeroy, « Technikai kai Musikai », AJAH Vol. 2, 1 (1977), p. 51-68 sur l’éducation de la femme en Grèce ancienne).

6.

Cl. Bérard, op. cit., p. 91.

7.

N. Bernard, op. cit., p. 131 elles possédaient par ce biais « un droit de cité » qui ne s’exprimait pas seulement par le fait qu’elles étaient celles qui donnaient naissance aux futurs citoyens.