un monde de diversités, limites du sujet.

Le monde grec ancien était un monde de diversités. Les régions concernées par l’étude - Grèce, cités de mer Egée, principales cités du littoral Ouest d’Asie Mineure attestées dés l’époque archaïque, Epire, Etolie, Thessalie et Macédoine (Plan 1) - partageaient une culture commune8 avec des particularismes propres à chacune et à chaque cité qui formaient un ancrage identitaire puissant au territoire. La religion participait à la construction et à l’évolution de la cité dans une société où social, politique et religieux étaient étroitement imbriqués. La religion se vivait sur la place publique, ceux et celles qui étaient choisis par les instances politiques de la cité pour accomplir ces pratiques représentaient la communauté aux yeux de tous et des dieux. Seuls les citoyens, leurs femmes et leurs filles pouvaient prétendre à une charge religieuse civique. Les critères de sélections variaient d’une cité à l’autre, d’un culte à l’autre. En général, les charges les plus prestigieuses étaient accomplies par des eugéneis (biens nées), notion complexe qui se rattachait dans un premier temps à la naissance, une ascendance autochtone qui liait l’être au territoire donc à la notion de noblesse et de richesse ; puis les élites se diversifièrent, de nouveaux riches apparurent, et leurs femmes et filles purent prétendre aux charges religieuses. Les personnes des classes moins privilégiées pouvaient aussi accomplir des charges religieuses mais accédaient rarement aux grands sacerdoces. Celles qui accomplissaient les services religieux étaient généralement issues des familles de l’élite de la cité. Il est vrai que les sources, qui nous sont parvenues et qui commémoraient leur service, étaient généralement le fait de familles aisées qui pouvaient financièrement soutenir le coût d’une telle dépense. Cet aspect pouvait biaiser d’une certaine façon notre perception de ce monde religieux féminin mais non de façon considérable car la main mise des élites sur les charges religieuses était une réalité qui s’accentua de plus en plus pour, à l’époque romaine, constituer une véritable monopolisation. Dés les temps anciens, les femmes ont assumé des fonctions sacerdotales et déjà à l’époque mycénienne elles étaient issues des familles de l’aristocratie9. L’ouverture que la démocratie a engendrée, vers la fin de l’époque archaïque, n’a pas été la même dans toutes les cités, ces dernières évoluant chacune à leur rythme, et même dans les cités les plus démocratiques, comme Athènes, de nombreux critères en réduisaient l’accès. Car les affaires religieuses étaient des affaires civiques et les affaires civiques ne pouvaient être laissées aux mains de tous et à fortiori des premières venues. La diversité sociale existait mais elle n’était pas véritablement un élément déterminant. De fait, étudier ces services religieux féminins impliquait aussi de mieux connaître les femmes et les filles qui les effectuaient, leur statut social et leur cercle de parentèles. Pour certaines de ces fonctions, aucune liste répertoriant les noms de celles qui les avaient accomplies n’existent alors que les sources le permettent, comme pour les thoinarmostriai laconiennes, les kosmèteirai d’Artémis à Ephèse ou les archèides de Delphes. Ces listes existent surtout pour les charges athéniennes dans des ouvrages datant essentiellement d’une trentaine d’années (dont le livre de K. Clinton, The Sacred officials of the Eleusinian Mysteries (1974) et celui de J. A. Turner, Hiereiai, Acquisition of the Priesthoods (1983)). Or de nouvelles informations viennent les compléter, aussi lorsque les informations étaient disponibles, des listes nominatives et des arbres généalogiques ont été établis et sont intégrés dans l’étude. Ces informations permettent d’observer la valeur accordée à ces charges par la société, contribuant ainsi à mieux les appréhender.

Cependant, certaines de ces fonctions nous demeurent encore inconnues en raison du manque de données à leur sujet et au manque de clarté des sources10. De plus, ces charges n’étaient pas figées mais se construisaient et évoluaient avec la société. Quelques unes ont disparu ou ont connu des modifications, d’autres ont été créées, souvent à l’époque romaine alors que se propageait dans le monde Grec un courant de pensée visant à faire revivre les anciennes pratiques. Or certains services plus anciens permettent de mieux comprendre des charges plus récentes, pour lesquelles, paradoxalement, les sources sont moindres. De fait, la chronologie, allant du Vème av. J.C. – avec des incursions dans l’époque archaïque – jusqu’à l’époque impériale, comprenant le Haut Empire, soit jusqu’au II/IIIème ap. J.C., permet d’observer un certain nombre de ces services, sans que la liste soit exhaustive.

Les cadres géographiques et chronologiques choisis sont ainsi étendus afin d’appréhender le plus de charges possibles, de façon à pouvoir faire des comparaisons et des rapprochements entre différentes fonctions, notamment lorsque cette absence de sources ne permet pas de les comprendre individuellement, tout en considérant le contexte social et le contexte historique dans lesquels évoluaient celles qui accomplissaient ces services.

Notes
8.

Hérodote, VII, 14, 4 : le monde hellénique était idéalement constitué par l’ensemble des hommes qui avaient « le même sang, la même langue, sanctuaires et sacrifices commun ».

9.

J. A. Turner, J-C. Billigmeier, « The Socio-economics Roles of Women in Mycenaean Greece », p. 6-18.

10.

Ces sources, littéraires, épigraphiques, iconographiques, offrent chacune une perspective différente et se complètent. Les sources littéraires nous permettent souvent de connaître la nature de la fonction. Il est rare que les auteurs nomment ces femmes, elles sont le plus souvent anonymes. En effet, celles qui accomplissaient les services étaient des femmes honorables et respectables, celles qui précisément ne devaient pas faire parler d’elle et dont on ne devait pas parler. Mais les autres sources, surtout épigraphique, les faisaient cependant sortir de l’ombre et nous permettaient de les connaître. De fait, l’épigraphie s’inscrit dans un contexte socio temporel qui détermine la façon dont sont évoquées ces femmes, en fonction de leur charge, de leur nature féminine, de leur famille. L’iconographie possède son propre langage, les représentations qu’elles proposent sont codées et il n’est pas toujours aisé de les comprendre. L’iconographie matérialise physiquement la femme et la fonction en l’inscrivant dans des contextes socioculturels et chronologiques. Cependant, les sources sont principalement masculines et induisent une certaine idée de la femme. De plus, en certaines régions de Grèce, l’absence de documentation rend difficile la compréhension de la fonction. (cf. D. Schaps, « The Woman least Mentionned Etiquette and Women’s Name », CQ 27 (1977), p. 323-330 ; C. Vial, « La femme athénienne vue par les orateurs », TMO 10 (1985), p. 47-60 ; A.-M. Vérilhac, « L’image de la femme dans les épigrammes funéraires grecques », TMO 10 (1985), p. 85-112 ; N. Bernard, op. cit., p. 7-21 ; Fr. Frontisi-Ducroux, « Images grecques du féminin : tendances actuelles de l’interprétation », Clio 19 (2004) Site Internet de la Revue).